Lors de la Grande Récession, les principales banques centrales ont ramené leurs taux directeurs au plus proche de zéro sans pour autant parvenir à éliminer l’insuffisance de la demande globale. Malgré les taux d’intérêt nominaux collés à leur borne inférieure zéro (zero lower bound), les économies étaient susceptibles de connaître un cercle vicieux où la déflation accroîtrait les taux d’intérêt réels et déprimerait par là davantage la demande globale. Les banques centrales ont dû alors adopter des mesures non conventionnelles, notamment l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) et le forward guidance, pour davantage assouplir leurs politiques monétaires.
A la différence de la Fed, de la Banque d’Angleterre et de la Banque du Japon, la Banque Centrale Européenne a tardé à adopter un programme d’assouplissement quantitatif. Entre 2010 et 2012, elle a certes adopté des mesures non conventionnelles, comme les programmes LTRO, OMT et SMP, mais elle s’est longtemps révélée réticente à acheter de la dette publique en raison de son mandat. Avec le basculement de la zone euro dans la déflation, la BCE a annoncé le 22 janvier 2015 un programme étendu d’achats d’actifs. Elle a déclaré avoir l’intention d’acheter chaque mois des obligations pour un montant de 60 milliards d’euros, notamment des obligations souveraines, et ce au moins jusqu’à septembre 2016.
Il n’est pas certain que cette mesure ait des effets expansionnistes sur l’activité, en particulier si la faiblesse de l’investissement des entreprises ne s’explique pas par des problèmes de financement. (Par contre, elle pourrait stimuler l’activité si elle génère des effets de richesse incitant les ménages à consommer ou si elle entraîne une dépréciation de l’euro favorable aux exportations.) De plus, si l’assouplissement quantitatif de la BCE ne stimule que les valeurs financières, il pourrait alimenter les inégalités de revenu au sein de la zone euro, dans la mesure où le patrimoine financier est avant tout détenu par les ménages les plus riches. D’autre part, ce programme d’assouplissement quantitatif est susceptible de générer des risques d’instabilité financière en alimentant des bulles spéculatives, non seulement au sein de la zone euro, mais aussi dans le reste du monde. En l’occurrence, il peut provoquer des afflux de capitaux déstabilisateurs au sein des pays émergents, en y alimentant l’expansion du crédit, la hausse des prix d’actifs et l’appréciation de leurs devises.
A la différence des mesures non conventionnelles adoptées par la Fed au cours de la Grande Récession et lors de la reprise subséquente, les mesures non conventionnelles adoptées par la BCE ont fait l’objet d’un nombre plus limité d’études. Marcel Fratzscher, Marco Lo Duca et Roland Straub (2014) ont toutefois récemment observé l’impact que les politiques non conventionnelles que la BCE avaient adoptées entre mai 2007 et septembre 2012 ont pu avoir sur les prix d’actifs de la zone euro et du reste du monde. Leur analyse suggère que les injections de liquidités à travers les LTRO, le programme OMT et le SMP ont positivement affecté les cours boursiers dans le cœur de la zone euro, tout comme dans sa périphérie ; ils réduisirent la fragmentation des marchés obligataires en réduisant les rendements obligataires dans la périphérie. Si les politiques non conventionnelles de la BCE affectèrent principalement les marchés de la zone euro, elles ont également eu des répercussions positives sur les marchés financiers mondiaux en accroissant la confiance et en réduisant l’aversion au risque. Elles ont également entraîné une réduction du risque souverain en zone euro et dans d’autres pays du G20, ainsi qu’une baisse du risque bancaire pour les établissements de la zone euro. Il n’y eut qu’une faible réaction des flux de portefeuille internationaux aux politiques de la BCE, alors que les politiques non conventionnelles de la Fed semblent avoir entraîné un ample rééquilibrage des portefeuilles d’une classe d’actifs à l’autre, et d’un pays à l’autre. Le fait que les effets de débordement associés aux mesures adoptées par la BCE soient moindres que ceux associés aux politiques adoptées par la Fed suggère que les Etats-Unis jouent un rôle plus important dans le cycle financier mondial.
Georgios Georgiadis et Johannes Gräb (2015) ont estimé l’impact des annonces de la BCE sur les cours boursiers, les rendements obligataires et le taux de change. Ils constatent que l’annonce d’un programme étendu d’achats d’actifs du 22 janvier 2015 a bénéficié aux marchés financiers mondiaux en stimulant les cours boursier au sein de la zone euro, mais aussi dans le reste du monde. Elle a également provoqué une dépréciation de l’euro vis-à-vis des devises des pays avancés et des pays émergents. Par contre, elle n’a eu qu’un impact réduit sur les rendements obligataires.
Georgiadis et Gräb ont alors cherché à identifier les canaux par lesquels l’annonce de la BCE s’est transmise aux marchés financiers mondiaux. Lors de l’annonce du 22 janvier, les actions mondiales ont bénéficié des effets positifs de confiance, tandis que les actions de la zone euro à travers les canaux du signalement, de la confiance et du rééquilibrage des portefeuilles. En effet, en adoptant enfin un programme d’assouplissement quantitatif, la BCE a indiqué aux participants de marché qu’elle maintiendrait durablement une politique monétaire accommodante. A la différence des autres annonces majeures de mesures non conventionnelles majeures de la BCE, seule l’annonce du programme étendu d’achats d’actifs du 22 janvier a eu un impact immédiat sur le taux de change de l’euro, et ce essentiellement via le canal du signalement. Les actions de la zone euro bénéficièrent seulement des annonces du programme OMT et du programme étendu d’achats d’actifs. En l’occurrence, l’annonce du programme OMT a stimulé le cours des actions de la zone euro essentiellement via les effets de confiance ; l’annonce du programme étendu des achats d’actifs s’est essentiellement transmise aux actions de la zone euro via le canal du rééquilibrage des portefeuilles et du signalement. Les cours boursiers du reste du monde ont réagi à l’ensemble des mesures non conventionnelles majeures adoptées par la BCE. Le programme OMT et le programme étendu d’achats d’actifs ont influencé les actions du reste du monde essentiellement via les effets de confiance, tandis que l’annonce du SMP s’est transmise aux actions du reste du monde essentiellement via le canal du rééquilibrage des portefeuilles.
Références