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1 mai 2015 5 01 /05 /mai /2015 18:29

Une monnaie remplit trois fonctions : celle d’intermédiaire des échanges, celle d’unité de compte et celle de réserve de valeur. Selon Paul Krugman (1991), une devise internationale n’assure pas de la même manière chacune de ces trois fonctions selon qu’elle est utilisée par le secteur privé ou par le secteur public. Une devise internationale joue le rôle de monnaie véhiculaire, de monnaie de libellé et de monnaie d’investissement pour le secteur privé : en effet, les résidents utilisent la devise internationale comme intermédiaire pour échanger des biens, des services et des actifs financiers avec le reste du monde ; les acheteurs peuvent plus facilement comparer les prix lorsque ceux-ci sont libellés dans la même devise ; les résidents investissent en devise internationale pour réduire leur exposition au risque et préserver leur liquidité.  Une devise internationale joue le rôle de monnaie d’intervention, de monnaie d’ancrage et de monnaie de réserve pour le secteur public : une banque centrale peut acheter ou vendre de la devise internationale pour alimenter la dépréciation ou l’appréciation de sa devise ; l’ancrage d’une monnaie sur la devise internationale permet de limiter les fluctuations du taux de change et ainsi de favoriser les échanges avec l’économie émettant la devise internationale ; une banque centrale peut accumuler de la devise internationale pour se constituer des réserves et protéger plus efficacement son taux de change.

C’est notamment au regard de ce cadre conceptuel qu’Agnès Bénassy-Quéré (2015) se demande si l’euro peut rivaliser avec le dollar comme devise internationale. Elle note que depuis son introduction en 1999, l’euro a été utilisé de plus en plus comme réserve de valeur, aussi bien pour le secteur public que pour les agents privés, comme le suggère par exemple sa part croissante dans les encours d’obligations internationales. Sa part dans les portefeuilles internationaux est toutefois restée limitée. Si l’euro a de plus en plus été utilisé comme monnaie de diversification, son poids en tant que monnaie véhiculaire a peu varié. En effet, l’euro est rarement utilisé dans les transactions n’impliquant pas la zone euro. L’euro est certes utilisé dans 33,4 % des conversions de devises en avril 2013, mais cette part chute à 9,3 % si l’on exclut les conversions euro-dollar. Le dollar garde son rôle majeur sur le marché des changes.

Bénassy-Quéré passe ensuite en revue les avantages d’une internationalisation de l’euro. Si l’euro acquérait le statut de devise internationale, la zone euro bénéficierait de gains de seigneuriage et elle obtiendrait le « privilège exorbitant » d’émettre de la dette internationale libellée en euro. L’incertitude et les coûts de transaction diminueraient pour les résidents de la zone euro qui commerceront avec le reste du monde en euro. Enfin, la zone euro gagnerait en influence internationale. Bénassy-Quéré note cependant que l’internationalisation de l’euro ne se ferait pas sans coûts. La zone euro pourrait notamment perdre le contrôle sur sa politique monétaire. En effet, les banques du reste du monde accorderaient des prêts en euro, ce qui déstabiliserait la création monétaire. Si ces banques étaient à court de liquidité, la BCE devrait jouer un rôle de prêteur international en dernier ressort, au détriment des objectifs domestiques de politique monétaire. Plus largement, la BCE devrait prendre en compte la situation du reste du monde pour orienter sa politique monétaire, à nouveau au détriment des objectifs domestiques. En outre, le risque serait que l’euro ait tendance à être surévalué si le reste du monde désire investir en actifs libellés en euro.

L’analyse théorique et historique suggère qu’une devise peut jouer un rôle pivot au niveau international si elle est émise par une grande économie, si cette dernière est dotée de marchés financiers profonds et liquides, si elle présente une stabilité nominale aussi bien interne (une faible inflation) qu’externe externe (un taux de change stable), si elle se dote d’un environnement réglementaire suffisamment sûr pour maintenir la stabilité financière et si elle possède certains attributs de pouvoir autres qu’économiques (notamment une réelle puissance militaire et une voix unique dans les instances et forums internationaux).

A la différence des Etats-Unis, la zone euro ne possède pas tous ces attributs. En effet, elle est plus peuplée que les Etats-Unis et elle pèse davantage que ces derniers dans le commerce international. En outre, la zone euro représente 12,1 % du PIB mondial. Toutefois, cette part est non seulement inférieure à la part des Etats-Unis dans le PIB mondial, mais elle tend également à diminuer plus rapidement que cette dernière. La part de la Chine dans le PIB mondial est déjà égale à celle des Etats-Unis et elle continue à croître. La zone euro ne dispose pas de marchés financiers aussi profonds et liquides que les Etats-Unis. La crise de la zone euro a réduit l’attractivité de l’euro comme devise internationale, tout du moins à court terme. Si l’inflation a été particulièrement faible et stable en zone euro (ce qui est favorable à l’usage de l’euro comme devise internationale), le taux de change de l’euro s’est révélé instable vis-à-vis du dollar. Enfin, la zone euro manquera d’influence géopolitique tant que les Etats-membres ne consentiront pas à transférer davantage de leur souveraineté nationale.

Bénassy-Quéré estime toutefois qu’il n’est pas impossible pour l’euro d’atteindre un statut similaire à celui du dollar au niveau international. Un système monétaire multipolaire se révèlerait même stabilisateur dans une économie mondiale elle-même multipolaire. Cependant, la fenêtre d’opportunité qui se présente à l’euro pour atteindre ce statut se sera très certainement refermée d’ici une décennie avec l’ascension du renminbi. Avoir une devise internationale n’a jamais été un objectif de l’unification monétaire en Europe ; par contre, Pékin affiche plus ouvertement une stratégie d’internationalisation du renminbi. En outre, la croissance chinoise est bien plus rapide que la croissance de la zone euro.

 

Références

BENASSY-QUERE, Agnès (2015), « The euro as an international currency », mars.

BENASSY-QUERE, Agnès, & Benoît CŒURE (2010), Economie de l’euro, La Découverte, deuxième édition.

KRUGMAN, Paul (1991), Currency and Crises, MIT Press.

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