L’inflation de la zone euro a ralenti ces deux dernières années, au point que la zone euro a basculé dans la déflation en décembre 2014. Certains ont suggéré que ce ralentissement résultait de la baisse des prix du pétrole et des autres matières premières, mais l’inflation sous-jacente est elle-même durablement faible. Par exemple, en décembre 2014, le taux d’inflation global était de - 0,2 %, tandis que le taux d’inflation sous-jacente était de 0,7 %. L’inflation a atteint des niveaux historiquement faibles, non seulement dans les pays qui ont directement subis des turbulences sur les marchés obligataires lors de la crise de la dette souveraine, mais aussi ceux qui en ont été épargnés. En avril 2015, 9 des 19 pays-membres de la zone euro connaissaient une déflation. Le fait que la faiblesse de l’inflation touche de nombreux secteurs économiques et de nombreux pays laisse à penser que la demande globale joue un rôle important. Plusieurs facteurs contribuent à la faiblesse de la demande : le secteur privé comme le secteur public freinent leurs dépenses pour se désendetter, si bien que la production demeure inférieure à son potentiel. Marianna Riggi et Fabrizio Venditti (2015) ont notamment suggéré que l’inflation sous-jacente était devenue plus sensible à l’écart de production (output-gap) ; ce dernier étant négatif, les prix sont davantage susceptibles de chuter.
GRAPHIQUE Taux d'inflation dans la zone euro et en Union européenne (en %)
source : Eurostat (2015)
La période désinflationniste actuelle se distingue de celle de 2008-2009. Cette dernière est survenue lors de la phase la plus aiguë de la crise financière mondiale, lorsque la demande mondiale et les prix du pétrole chutèrent fortement. Les enquêtes suggéraient alors que les anticipations d’inflation à long terme étaient fermement ancrées à la cible de la BCE. Dans l’épisode désinflationniste actuel, les prévisionnistes professionnels ont régulièrement revu à la baisse leurs estimations des anticipations d’inflation de long terme et celles-ci semblent désormais atteindre en moyenne 1,77 %, soit un niveau historiquement faible. Or, plus le taux d’inflation s’écarte de la cible de la BCE, plus cette dernière risque de voir sa crédibilité s’effriter, plus l’économie risque de basculer dans la déflation. Avec les révisions à la baisse des anticipations d’inflation, les taux d’intérêt réels sont poussés à la hausse, ce qui tend à freiner l’activité économique et à alimenter ainsi la baisse des prix. Dans la mesure où ses taux directeurs butent déjà sur leur borne inférieure zéro, la BCE n’a qu’une marge de manœuvre limitée pour contrer les pressions déflationnistes. Le basculement de la zone euro dans la déflation l’a ainsi contrainte à adopter un programme d’assouplissement quantitatif au début de l’année 2015, mais il n’est pas certain qu’un tel programme soit efficace pour ramener l’inflation à sa cible.
Antonio Conti, Stefano Neri et Andrea Nobili (2015) ont utilisé un modèle vectoriel autorégressif (VAR) pour quantifier le rôle exact joué par les prix du pétrole, par la demande globale et par la politique monétaire dans l’évolution de l’inflation en zone euro, en se focalisant tout particulièrement sur la désinflation survenue en 2013 et en 2014. Dans l’ensemble de l’échantillon, les dynamiques de la demande domestique et de la demande extérieure sont les principaux moteurs de l’inflation. L’offre de pétrole fut un facteur pertinent pour expliquer l’accélération de l’inflation durant la première moitié de l’année 2008, mais elle joua un rôle moins important lors de la subséquente désinflation. En outre, la politique monétaire fut excessivement restrictive, ce qui contribua à la chute de l’inflation : l’activité fut si déprimée que la BCE aurait dû adopter des taux négatifs pour maintenir la stabilité des prix. Depuis 2013, la borne inférieure zéro empêche la BCE de réduire ses taux directeurs pour suffisamment stimuler l’activité. A la borne inférieure zéro, la chute des anticipations d’inflation s’apparente à un resserrement de la politique monétaire, si bien qu’elle accentue la déprime de l’activité et de l’inflation. La politique monétaire a joué un rôle plus important dans les pays les plus affectés par la crise de la dette souveraine que dans le reste de la zone euro. Les dynamiques de la demande globale et de l’offre de pétrole sont les principaux facteurs poussant le taux d’inflation à la baisse, même si leurs contributions respectives ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Selon Conti et ses coauteurs, ce résultat accrédite l’idée que la désinflation constitue un phénomène généralisé et non la conséquence d’un ajustement des prix relatifs au sein de l’union monétaire. Quantitativement, les chocs monétaires et les chocs de demande domestique contribuent autant que les chocs d’offre de pétrole pour expliquer la désinflation.
Références
CONTI, Antonio M., Stefano NERI & Andrea NOBILI (2015), « Why is inflation so low in the euro area? », Banque d’Italie, temi di discussion, n° 1019, juillet.
RIGGI, Marianna, & Fabrizio VENDITTI (2015). « Failing to forecast low inflation and Phillips curve instability: A euroarea perspective », in International Finance, vol. 18, n° 1.