Face au ralentissement de l'inflation, la BCE a adopté toute une série de mesures d’assouplissement depuis le milieu de l’année 2014, notamment en poussant son taux de facilité de dépôts en territoire négatif et en ciblant de nouvelles opérations de refinancement de long terme (LTRO). En septembre 2014, la BCE annonça un programme d’achats d’actifs privés, comprenant des titres adossés sur actifs (ABS) et des obligations sécurisées, qu’elle mit en œuvre à partir du quatrième trimestre. Ces mesures ne sont toutefois pas parvenues à mettre un terme à la contraction du bilan de la BCE et au déclin des anticipations d’inflation. Incitée à approfondir davantage sa politique monétaire avec le basculement de la zone euro dans la déflation en décembre 2014, la BCE a annoncé en janvier 2015 un programme d’achat de titres publics. Le montant des achats de titres publics, s’élevant à 840 milliards d’euros, promet un accroissement substantiel du bilan de la BCE. Il signale l’engagement de cette dernière à relever les anticipations d’inflation afin d’honorer son mandat de stabilité des prix. Entre le début des achats de titres souverains en mars et fin juin, son bilan s’est déjà accru de 19 %.
Deux économistes du FMI, Pelin Berkmen et Andreas Jobst (2015), ont cherché à évaluer l’efficacité de l’assouplissement quantitatif de la BCE. Ils notent que celui-ci a d’ores et déjà eu des effets positifs sur les conditions de financement et les anticipations d’inflation, mais que son impact sur l’économie réelle prendra plus de temps avant de se matérialiser pleinement. En effet, l’expérience des autres pays avec l’assouplissement quantitatif suggère que la stimulation de la croissance atteint son maximum après 2 à 8 trimestres et que la stimulation de l’inflation atteint son maximum après 3 à 16 trimestres. Par exemple, dans le cas des Etats-Unis, Engen et ses coauteurs (2015) estiment que les réponses du chômage et de l’inflation aux différents programmes d’assouplissement quantitatif menés par la Fed depuis le début de l’année 2009 vont atteindre leur pic respectivement en 2015 et 2016.
L’assouplissement quantitatif de la BCE est susceptible d’influencer l’activité via plusieurs canaux de transmission. Le premier canal est celui du rééquilibrage et du signalement. Le programme d’assouplissement quantitatif, tel qu’il a été annoncé, a été plus large que ne l’attendaient les marchés. En signalant la volonté de la BCE de maintenir les conditions monétaires aussi accommodantes que possible tant que l'inflation n'est pas revenue à sa cible, il a poussé davantage les taux d’intérêt à la baisse. Le deuxième canal est celui des prix d’actifs. Suite à l’annonce de l’assouplissement quantitatif, les cours boursiers européens ont grimpé. La hausse initiale des valeurs boursières, impulsée par la chute des primes de risque et par la dépréciation de l’euro, a été en partir inversée depuis. Les cours boursiers pourraient s’accroître davantage si l’assouplissement quantitatif alimentait l’inflation, nourrissait la confiance et stimulait la croissance. Dans la mesure où les ménages ne détiennent qu’une faible part des actions, les effets de richesse seront toutefois initialement faibles. Une hausse des prix immobiliers peut également générer des effets de richesse, mais la demande reste encore faible et plusieurs pays souffrent encore de surcapacités. Le troisième canal est celui du taux de change. L’euro s’est fortement déprécié depuis le milieu de l’année 2014. L’affaiblissement de l’euro va soutenir les exportations et l’inflation. Ce soutien sera plus ou moins fort selon les pays et dépendra du degré d’ouverture et des élasticités des échanges. Par exemple, l’Allemagne est plus ouverte que la France ou l’Espagne. Par contre, ce sont les pays avec des positions extérieures négatives comme le Portugal, l’Italie et l’Espagne qui présenteront les plus fortes élasticités des échanges. Le quatrième canal est celui des anticipations d’inflation et de la confiance. Avec l’assouplissement quantitatif, le déclin des anticipations d’inflation a été inversé. L’amélioration de la confiance peut inciter les résidents à avancer leurs dépenses (en particulier de biens durables) et générer ainsi un véritable cercle vertueux. Elle peut notamment participer à la hausse des prix d’actifs et à la baisse de la prime de risque. Le cinquième canal est celui du crédit. L’assouplissement quantitatif a réduit les coûts de financement de marché. Les banques ont réduit leurs taux d’intérêt prêteurs et emprunteurs. En outre, la fragmentation s’est réduite : les différentiels de taux d’intérêt se sont réduits entre les pays du cœur de la zone euro et les pays périphériques. La demande de crédit a augmenté. Dans la mesure où le financement dans la zone euro repose essentiellement sur le prêt bancaire, le canal du crédit a été le principal canal de transmission de la politique monétaire à l’économie réelle. Malheureusement, comme le suggère l’expérience des autres pays, la reprise du crédit après un assouplissement quantitatif prend du temps.
A partir du système souple de modèles mondiaux du FMI, Berkmen et Jobst estiment que la poursuite de la dépréciation de l’euro va stimuler la croissance économique dans la zone euro en stimulant tout d’abord les exportations, puis la demande domestique à partir de 2016. En effet, les recettes tirées des exportations finiront par alimenter la demande domestique, tandis que l’accélération de l’inflation poussera les taux d’intérêt réels à la baisse. Les économies les plus ouvertes (comme l’Allemagne) bénéficieront le plus de la dépréciation. Parallèlement, une amélioration du fonctionnement du canal du crédit et un relèvement des anticipations d’inflation devraient la croissance en stimulant plus directement la demande domestique. La baisse des taux d’intérêt prêteurs et la hausse des anticipations d’inflation vont réduire les taux d’intérêt réels, stimulant la consommation et l’investissement. La hausse de l’investissement se traduira par un accroissement du stock de capital, ce qui augmentera la demande de travail et les salaires réels. La hausse des revenus et richesses incitera les ménages à consommer plus. Ce sont les pays rencontrant les plus fortes contraintes de crédit (comme l’Italie) qui bénéficieront le plus d’une amélioration du canal du crédit et qui connaîtront la plus forte baisse des taux d’intérêt réels. L’inflation devrait quant à elle s’accélérer fortement dans tous les pays.
Berkmen et Jobst concluent enfin que les répercussions de l’assouplissement quantitatif de la BCE sur le reste du monde seront positives, dans la mesure où ce dernier bénéficiera d’une plus forte demande. Par contre, la poursuite de la dépréciation de l’euro aura initialement tendance à nuire aux voisins immédiats de la zone euro et aux autres économies avancées, mais ces effets pervers seront ensuite compensés par l’accroissement de la demande.
Références