La crise financière mondiale de 2008 a entraîné un accroissement de la dette publique : d’une part, elle a réduit directement les recettes fiscales en freinant l’activité économique ; d’autre part, elle a pu inciter les gouvernements à adopter des plans de relance, c’est-à-dire à accroître délibérément leurs dépenses publiques et à alléger la fiscalité, pour stimuler l’activité. Dans plusieurs pays, en particulier les pays avancés, les déficits publics se sont fortement détériorés alors même que le niveau de dette publique était initialement élevé. Cette nouvelle détérioration des ratios d'endettement a suscité d’autant plus d’inquiétudes que de nombreux pays font face à un vieillissement démographique qui pèsera immanquablement ces prochaines décennies sur les finances publiques.
Isabel Ortiz, Matthew Cummins, Jeronim Capaldo et Kalaivani Karunanethy (2015) ont examiné les prévisions budgétaires de 187 pays fournies par le FMI pour la période s’étalant entre 2005 et 2020. L’analyse des prévisions budgétaires met en évidence deux phases distinctes dans les dynamiques budgétaires depuis le début de la crise financière mondiale. Lors d’une première période s’écoulant entre 2008 et 2009, la plupart des gouvernements ont adopté des plans de relance budgétaire afin de soutenir l’activité et l’emploi. Par contre, à partir de 2010, les gouvernements ont cherché à stabiliser leur endettement, si bien que les baisses de dépenses publiques et les hausses d’impôts ont eu tendance à se généraliser à travers le monde. La seconde période est caractérisée par deux chocs budgétaires majeurs : un premier survenant entre 2010 et 2011 et un second commençant en 2016 et durant au moins jusqu’en 2020.
Les mesures de consolidation budgétaire, quelle que soit leur forme, pèsent sur l’activité économique et l’emploi, ce qui contribue par là même à réduire leur efficacité. Le resserrement de la politique budgétaire en 2010 a pu apparaître prématuré dans la mesure où la reprise était lente et où le chômage restait élevé dans plusieurs pays, alors même que les pertes de production occasionnées par la crise financière mondiale n’avaient pas été comblées. Les mesures d’austérité ont pu conduire à éloigner davantage le PIB et l’emploi des trajectoires qu’ils auraient suivie s’il n’y avait eu ni crise financière mondiale, ni ajustement budgétaire. Autrement dit, la Grande Récession et la généralisation de l’austérité qui l’a suivie ont appauvri de façon permanente les populations. Au final, la Grande Récession a beau avoir été moins sévère et plus courte que la Grande Dépression, grâce à l’assouplissement des politiques conjoncturelles, mais la reprise qui l’a suivie a été plus lente que celle qui a suivi la crise des années trente en raison de l’austérité budgétaire : sept ans après le début de la crise, les pertes en production mondiale suite à la Grande Récession se sont révélées être plus persistantes que celles occasionnées lors de la Grande Dépression [O’Rourke, 2015].
GRAPHIQUE Production industrielle mondiale (en indices, base 100 au pic d’avant-crise)
Ortiz et ses coauteurs ont examiné 616 country reports réalisés par le FMI pour identifier quelle forme prend l’ajustement budgétaire dans chaque pays. Ils constatent que les gouvernements s’appuient sur diverses mesures pour consolider leurs finances publiques. En l’occurrence, 132 pays ont recours à des réductions de subventions, notamment sur le carburant, l’agriculture et les produits alimentaires ; 130 pays ont réductions à des réductions ou gels des salaires, notamment dans les secteurs publics de l’éducation et de la santé ; 107 pays réduisent les aides sociales ; 105 pays réforment leur système de retraite ; 89 pays réforment leur marché du travail ; 56 pays réforment leur système de santé. Outre les réductions de dépenses publiques, plusieurs pays ont recours à des hausses d’impôts pour consolider leurs finances publiques. En l’occurrence, 138 pays introduisent ou augmentent des taxes à la consommation (notamment une TVA) ; 55 pays privatisent les services publics et vendent des actifs publics. Les auteurs notent que les mesures d’austérité sont loin d’être adoptées par les seuls gouvernements européens. La majorité des mesures d’austérité qui sont mises en œuvre à travers le monde sont en fait adoptées par les pays en développement.
L’ajustement budgétaire à venir devrait affecter 132 pays en 2016 et persister jusqu’en 2020 selon les estimations d’Ortiz et alii. Le monde en développement en sera le plus sévèrement affecté. 81 pays en développement et 45 pays à haut revenu devraient réduire leurs dépenses publiques au cours du prochain choc. La comparaison du choc prévu ces prochaines années avec la période comprise entre 2005 et 2007 suggère qu’un tiers des pays réduisent excessivement leurs dépenses publiques. L’austérité budgétaire devrait affecter plus des deux tiers des pays entre 2016 et 2020 et concerneront par là même plus de 6 milliards de personnes, soit 80 % de la population mondiale.
La poursuite de l’austérité après 2016 ne manquera pas d’affecter le PIB et l’emploi via ses répercussions sur la demande globale. Les prévisions que réalisent Ortiz et ses coauteurs à partir d’un modèle macroéconomique des Nations Unies indiquent que les réductions budgétaires de ces cinq prochaines années affecteront négativement le PIB et l’emploi dans toutes les régions. En 2020, le PIB mondial sera inférieur de 5,5 % à ce qu’il serait si les gouvernements n’adoptaient pas de mesures d’austérité ces cinq prochaines années ; cette perte en production mondiale se traduira par la perte nette de 12 millions d’emplois à travers le monde sur la seule période comprise entre 2016 et 2020. Les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure seront les pays les plus affectés par l’austérité : en 2020, le PIB des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure sera inférieur de 7,5 % à ce qu’il serait en l’absence d’austérité ces cinq prochaines années ; le PIB des pays à faible revenu sera inférieur de 6 % à ce qu’il serait en l’absence d’austérité. Quant aux pays à haut revenu, leur PIB et leur emploi seront respectivement inférieurs de 4,98 % et 4,75 % aux niveaux qu’ils atteindraient si leurs gouvernements n’adoptaient pas de mesures d’austérité. Géographiquement, ce seront les pays de l’Asie de l’Est et du Pacifique (subissant en moyenne une perte de 11 % de leur PIB) qui seront les plus affectés. En l’occurrence, l’austérité devrait amputer 13 % du PIB en Chine.
Références
O’ROURKE, Kevin (2015), « It has finally happened », in The Irish Economy (blog), 29 novembre. Traduction française, « C’est finalement arrivé », in Annotations.