Environ 65 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre proviennent de la combustion de carburants fossiles. Ces émissions proviennent pour 45 % du charbon, pour 35 % du pétrole et pour 20 % de gaz naturel. Pour freiner significativement le changement climatique, deux options semblent se présenter : parvenir à capturer le carbone présent dans l’air ; réduire drastiquement la consommation d’énergies fossiles. Cependant peu de pays ont mis en œuvre des politiques cherchant véritablement à limiter la consommation d’énergies fossiles ou qui allouent de réelles ressources pour développer des sources d’énergies faiblement émettrices en carbone. Dans les pays de l’OCDE, la consommation de pétrole et de charbon s’est certes réduite de 10 % par rapport à son niveau de 2005, mais la consommation de gaz naturel s’est quant à elle accrue de 10 %. Dans le reste du monde, les consommations de charbon, de pétrole et de gaz naturel ont respectivement augmenté de 46 %, 33 % et 35 %. Au final, les consommations mondiales de pétrole, de charbon et de gaz naturel ont augmenté respectivement de 7,5 %, 24 % et 20 % entre 2005 et 2014.
En fait, pour Thomas Covert, Michael Greenstone et Christopher Knittel (2016), c’est comme si le monde faisait le pari que l’offre et/ou la demande d’énergies fossiles finiront pas s’effondrer : d’un côté, la consommation soutenue d’énergies fossiles pousserait le coût marginal d’extraction des énergies fossiles à la hausse et finirait par les rendre plus coûteuses que les énergies plus propres ; de l’autre, les avancées technologiques devraient se traduire par l’amélioration de l’efficacité énergétique des technologies existantes et par l’apparition de nouvelles technologies non émettrices de carbone. C’est précisément la puissance de ces forces qui s’exercent du côté de l’offre et du côté de la demande que Covert et ses coauteurs cherchent à évaluer.
GRAPHIQUE 1 Ratio réserves prouvées d’énergies fossiles sur consommation annuelle
source : Covert et alii (2016)
Ils rappellent tout d’abord l’évolution du ratio rapportant la quantité de réserves prouvées sur la consommation annuelle courante (cf. graphique 1). Les réserves prouvées désignent les réserves qui sont techniquement et économiquement exploitables aux prix courants ; elles ne prennent donc en compte ni les réserves découvertes mais non exploitées (car leur exploitation n’est pas rentable, tout du moins pas avec les prix et technologies actuels), ni les réserves qui ne sont pas encore découvertes. Ainsi, le montant de réserves totales d’énergies fossiles disponibles sur la planète est relativement fixe, mais le montant des réserves prouvées peut aussi bien s’accroître ou diminuer, en fonction des prix, des technologies d’extraction et des découvertes de gisements. Le ratio réserves prouvées sur consommation annuelle courante représente donc le nombre d’années de consommation courante que les gisements connus peuvent techniquement et économiquement satisfaire. A n’importe quel moment au cours de ces trente dernières années, le monde disposait sous terre de 50 ans de réserves prouvées en pétrole et en gaz naturel : chaque année, de nouvelles réserves deviennent économiquement/techniquement exploitables et compensent la consommation annuelle. Le ratio associé au charbon a par contre tendance à diminuer, mais, si la consommation de charbon se maintient au rythme actuel, il reste davantage d’années de réserves de charbon que de pétrole ou de gaz naturel.
Covert et alii se penchent plus particulièrement sur le comportement de l’offre de carburants fossiles au cours des trois dernières décennies. Les données historiques indiquent que l’offre de carburants fossiles a régulièrement augmenté au cours du temps, notamment grâce au développement de techniques d’extraction toujours plus efficaces et moins coûteuses. Par exemple, il est possible de forer dans des eaux toujours plus profondes et des types de ressources qui n’étaient auparavant pas considérées comme exploitables le deviennent, comme récemment le pétrole des sables bitumeux et le pétrole des dépôts de schiste. Les réserves en pétrole et en gaz naturel ont ainsi pu s’accroître au rythme moyen de 2,7 % par an (cf. graphique 2). Le total des réserves prouvées de pétrole n’a chuté qu’au cours d’une année et cette chute fut suivie l’année suivante par une hausse de 12,2 %. Si les avancées technologiques se poursuivent au même rythme que par le passé, alors il n’y a pratiquement aucune limite à la quantité de réserves de carburants fossiles qui, même si elles ne sont pas encore rentables d’exploiter aux prix actuels, peuvent devenir économiquement rentables à l’avenir, tout du moins sur l’échelle de temps qui importe pour la question du changement climatique. Même si les forces de marché ou des politiques tendaient à pousser les prix des énergies fossiles à la hausse, les avancées technologiques continueraient à réduire les coûts d’extraction de ces combustibles.
GRAPHIQUE 2 Quantité de réserves prouvées de pétrole, de gaz naturel et de charbon au cours du temps
source : Covert et alii (2016)
Ensuite, Covert et ses coauteurs se tournent du côté de la demande. Certes des substituts aux combustibles fossiles, peu émetteurs en carbone, comme l’énergie hydroélectrique, l’énergie solaire, l’énergie éolienne et le nucléaire, existent déjà, mais la demande pour les combustibles fossiles pourrait ne pas chuter pour autant. Les données historiques indiquent que le prix relatif des carburants fossiles vis-à-vis des sources d’énergies faiblement émettrices de carbone n’a pas fortement diminué au cours du temps et les auteurs doutent qu’elle diminue fortement à moyen terme. Par conséquent, la consommation de carburants fossiles devrait continuer d’augmenter et notamment représenter en 2040 les quatre cinquièmes de l’offre totale d’énergies.
Cette étude aboutit donc à un constat alarmant. Non seulement les forces de marché ne laissent aucunement entrevoir un ralentissement des émissions de carbone, mais les politiques d’atténuation qui ont été mises en place jusqu’à présent se révèlent insuffisantes pour résoudre ces défaillances de marché. Le progrès technique contribue certes au développement de substituts moins polluants, mais il contribue également à rendre toujours plus rentable l’extraction d’énergies fossiles. Des politiques plus agressives doivent donc nécessairement être mises en place pour atténuer l’émission de carbone et freiner le réchauffement climatique.
Références
COVERT, Thomas, Michael GREENSTONE & Christopher R. KNITTEL (2016), « Will we ever stop using fossil fuels? », in Journal of Economic Perspectives, vol. 30, n° 1, hiver.