Selon des institutions internationales comme le FMI (2014), le temps est venu de relancer l’investissement dans les infrastructures publiques. En effet, la croissance mondiale est relativement décevante ; elle est faible dans les pays développés et en particulier dans les pays de la zone euro. En outre, les coûts d’emprunt des gouvernements se maintiennent à des niveaux historiquement faibles. Enfin, des goulots d’étranglement du côté de l’offre sont susceptibles de freiner la croissance potentielle et la croissance à moyen terme dans plusieurs pays en développement. Le stock de capital public reste insuffisant dans les pays en développement, tandis qu’il s’est dégradé ces dernières décennies dans les pays avancés, notamment aux Etats-Unis et en Allemagne.
Certains économistes, comme Paul Krugman (2016), vont encore plus loin en affirmant que de nombreuses économies font toujours face à une trappe à liquidité ou sortent à peine de celle-ci. Dans une telle situation, le taux d’intérêt qui ramène les économies au plein emploi (le « taux d’intérêt naturel ») est négatif, or le taux d’intérêt nominal peut difficilement aller en-deçà de zéro. La politique monétaire conventionnelle voit sa marge de manœuvre limitée, alors même que l’efficacité des mesures non conventionnelles (notamment le forward guidance et l’assouplissement quantitatif, le quantitative easing) est discutable. Le fait que les taux d’intérêt nominaux soient contraints par leur borne inférieure rend encore moins probable que les banques centrales resserrent leur politique monétaire face à une relance budgétaire. Surtout, la relance budgétaire, si elle passe par un surcroît d’investissement public, contribuerait par contre efficacement à relever le taux d’intérêt naturel et à sortir les économies de la trappe à liquidité. Certains vont encore plus loin en suggérant, à travers l’hypothèse d’une stagnation séculaire, que le taux d’intérêt naturel est structurellement poussé en territoire négatif, en raison d’une faiblesse persistante de l’investissement et d’une épargne excessive [Summers, 2014]. Autrement dit, les économies, en particulier développées, font face à une insuffisance durable de la demande globale et au risque récurrent de se retrouver dans une trappe à liquidité. Une relance par les infrastructures publiques contribuerait à accroître l’investissement et à absorber une partie de l’épargne excédentaire.
En utilisant des données de panel à partir d’un large échantillon de pays et des simulations de modèles, le FMI (2014) concluait que la hausse de l’investissement dans les infrastructures publiques pouvait accroître la production non seulement à court terme (via les effets multiplicateurs), mais aussi à long terme (via son impact positif sur les capacités de production de l’économie), en particulier lorsque l’activité économique est fragile et la politique monétaire accommodante. En outre, même si cette relance est financée par emprunt, le ratio dette publique sur PIB est susceptible de diminuer, dans la mesure où le numérateur s’accroître plus lentement que le dénominateur. Autrement dit, si elle est correctement mise en œuvre, elle peut s’autofinancer. Focalisés dans le cadre de la zone euro, Selim Elekdag et Dirk Muir (2014) se sont penchées sur les répercussions d’une relance budgétaire allemande qui prendrait la forme d’un surcroît d’investissement public. Ils estiment que celle-ci pourrait non seulement stimuler la demande domestique à moyen terme et réduirait les excédents courants, mais qu’elle stimulerait également la production domestique à long terme et l’activité dans le reste de la zone euro, si bien qu'elle contribuerait à l'ajustement de l'union monétaire. A nouveau, les effets de la relance par les infrastructures publiques sont d’autant plus importants que la politique monétaire est accommodante et les taux d’intérêt bas.
Plus récemment, Giovanni Ganelli et Juha Tervala (2016) ont analysé les multiplicateurs de bien-être des dépenses publiques, c’est-à-dire les variations du bien-être, équivalentes en termes de consommation, pour un euro de dépense publique) dans un modèle DSGE d’obédience néo-keynésienne. Les multiplicateurs de bien-être associés à l’investissement en infrastructures publiques sont positifs si ce dernier est suffisamment efficace, c’est-à-dire si l’élasticité de la production à l’investissement en infrastructures publiques est élevée. La méta-analyse réalisée par Pedro Bom et Jenny Ligthart (2013) suggérait que l’élasticité-production de l’infrastructure publique s’élève à environ 8 % ; or, Ganelli et Tervala constatent que le multiplicateur de bien-être est positif, dès lors que l’élasticité-production de l’infrastructure publique est légèrement supérieur à 3 %. Si les multiplicateurs de la production à moyen terme sont du même ordre que ceux obtenus par les estimations empiriques (c’est-à-dire compris entre 1 et 1,4), le multiplicateur de bien-être domestique s’élève à 0,8, ce qui signifie que tout euro supplémentaire que le gouvernement dépense en investissement accroît le bien-être de la population de l’équivalent d’un supplément de 0,8 euros de dépenses de consommation privée. Cela suggère que les gains en bien-être de l’investissement public dans les infrastructures peuvent être substantiels. Surtout, si l’ensemble des pays adoptaient simultanément des plans de relance se renforceraient mutuellement via le canal des échanges internationaux. Ganelli et Tervala estiment en effet que le multiplicateur de bien-être mondial s’élève à 0,9. Au final, il apparaît qu’une relance mondiale des infrastructures publiques n’aurait pas pour seules conséquences d’accroître la production et de réduire le ratio dette publique sur PIB ; elle aurait également de larges bénéfices en termes de bien-être.
Références
BOM, Pedro R.D., & Jenny E. LIGTHART (2013), « What have we learned from three decades of research on the productivity of public capital », in Journal of Economic Surveys, vol. 28, n° 5.
KRUGMAN, Paul (2016), « The cases for public investment », in The Conscience of a Liberal (blog), 27 février. Traduction disponible sur Annotations.