Les chocs macroéconomiques se propagent d’un pays à l’autre essentiellement via deux canaux, en l’occurrence via le commerce international et via le système financier. En effet, lorsqu’une économie connaît une récession, les résidents réduisent leurs dépenses (les ménages réduisent leurs dépenses de consommation finale, les entreprises réduisent leurs dépenses de consommation finale et d’investissement…), si bien que les importations tendent à diminuer. Par définition, les autres pays voient leur demande extérieure décliner, ce qui les expose également à une récession. D’autre part, Par exemple, les banques ont généralement des activités dans plusieurs pays. Par conséquent, lorsque dans un pays soumis à une récession, les résidents ont davantage de difficultés à rembourser leur crédit, les banques sont susceptibles de resserrer le crédit non seulement dans ce pays, mais également dans les autres pays. Ces derniers voient alors leur propre activité domestique qui n’étaient initialement pas touchés par une récession, mais qui risquent d’en connaître une avec le resserrement du crédit auxquelles leurs banques procèdent. De plus, lorsque les consommateurs de plusieurs pays ont placé une partie de leur épargne dans les actions d’un pays donné, ils réduiront leur consommation si ce dernier connaît un krach boursier. En outre, lorsqu’un pays connaît une crise financière, cette dernière risque de se transmettre aux autres pays par voie de contagion et d’accroître le niveau mondial d’aversion au risque.
Plusieurs études ont effectivement mis en évidence l’existence d’un véritable cycle d’affaires mondial. C’est notamment le cas de Robin Lumsdaine et Eswar Prasad (2003), qui ont examiné les corrélations entre les fluctuations de la production industrielle de 17 pays développés afin d’en extraire une composante commune. A partir d’un échantillon de 60 pays, Ayhan Kose, Christopher Otrok et Charles Whiteman (2003) concluent de leur côté qu’un facteur mondial commun constitue une source importante de volatilité de la production agrégée de la plupart des pays, ce qui tend à confirmer l’existence d’un cycle d’affaires mondial. Ils constatent que les facteurs spécifiques à la région ne jouent qu’un rôle mineur pour expliquer les fluctuations de l’activité économique.
A partir des années quatre-vingt, les pays ont connu une mondialisation commerciale et une globalisation financière, ce qui amène beaucoup à penser que les cycles d’affaires nationaux ont eu tendance à davantage se synchroniser. D’une part, les échanges internationaux de biens et services se sont accrus plus rapidement que la production mondiale. Par conséquent, chaque économie devrait être plus sensible aux évolutions de la demande mondiale, tout comme le reste du monde devrait être davantage sensible aux évolutions de sa demande domestique. D’autre part, les restrictions aux mouvements des capitaux ont reculé et les systèmes financiers sont de plus en plus interconnectés, en particulier depuis la fin du système de Bretton Woods.
Toutefois, plusieurs raisons amènent à douter que la mondialisation, que ce soit sous sa forme commerciale ou bien financière, ait davantage synchronisé les cycles d’affaires nationaux. Par exemple, si la mondialisation commerciale s’est traduite par une plus forte spécialisation sectorielle des pays et si les chocs sectoriels dominent, alors le degré de covariation des cycles d’affaires pourrait au contraire décliner. D’une part, si un pays connaît un choc, il risque de subir une fuite de capitaux, qui aggrave certes sa situation, mais améliore la conjoncture dans les pays qui les reçoivent désormais.
En parvenant à des conclusions divergentes, les études empiriques ne parviennent pas à trancher le désaccord théorique. Par exemple, en observant un ensemble de pays développés et en développement, Ayhan Kose, Eswar Prasad et Marco Terrones (2003) estiment que peu d’éléments empiriques démontrent que la mondialisation ait accru le degré de synchronisation des cycles d’affaires pour l’ensemble des pays. En moyenne, la corrélation entre les consommations nationales ne s’est pas accrue à partir des années quatre-vingt-dix, alors même que cette décennie marquait un nouvel approfondissement de l’intégration financière, en particulier dans les pays en développement.
Eric Monnet et Damien Puy (2016) ont cherché à évaluer le degré de synchronisation des cycles d’affaires entre 1950 et 2014 à partir d’un échantillon de 21 pays en utilisant une nouvelle base de données trimestrielles du FMI. Ils constatent que, durant les périodes de chocs communs (notamment la période entre 1972 et 1983 ou encore entre 2007 et 2014), l’importance de la composante mondiale dans la dynamique de production mondiale tend à fortement augmenter lors des chocs communs. Par exemple, entre 2007 et 2014, 65 % de la variance de la croissance de la production s’expliquait par la composante mondiale, ce qui suggère qu’aucun pays n’évoluait alors selon ses seules dynamiques domestiques. Contrairement à l’idée communément admise, ils constatent que la période de la mondialisation n’est pas associée à une hausse du degré de synchronisation entre les productions nationales. En fait, le cycle d’affaires mondial était aussi fort entre 1950 et 1971, c’est-à-dire durant l’ère de Bretton Woods, qu’entre 1984 et 2006, une période de mondialisation. En moyenne, la dynamique mondiale explique 20 % de la volatilité de la production au cours des deux périodes.
Bien que la covariation moyenne au cours des deux périodes identifiées ne change pas, le degré auquel la production de chaque pays co-varie avec celle du reste du monde a fortement changé au cours du temps. La production de certains pays, comme le Royaume-Uni, la Belgique ou la Suède, co-variait fortement avec celle du reste du monde durant l’ère de Bretton Woods, mais elle s’est déconnectée de la dynamique mondiale au cours de la période de mondialisation. A l’inverse, des pays comme la France, l’Italie et les Etats-Unis étaient dominés par des dynamiques idiosyncratiques, c’est-à-dire propres à leur économie, pendant l’ère de Bretton Woods, puis ils se sont davantage synchronisés avec le cycle mondial.
Monnet et Puy cherchent alors à expliquer pourquoi les pays se synchronisent ou se désynchronisent du cycle mondial. Ils constatent que le degré de synchronisation varie en fonction des dynamiques d’intégration financière et d’intégration commerciale. En l’occurrence, l’intégration financière conduit à désynchroniser les productions nationales au cycle mondial, tandis que l’intégration commerciale tend à les synchroniser. En temps normal, l’effet désynchronisateur compense l’impact synchronisateur de d’autres forces, notamment de l’intégration commerciale. Son amplitude dépend toutefois du type de chocs frappant l’économie mondiale. Par exemple, il s’efface durant les périodes de crises financières, au cours desquelles les productions des économies intégrées tendent à davantage co-varier que les productions des autres pays. Enfin, Monnet et Puy estiment que des variables souvent mises en avant par la littérature, notamment le degré de spécialisation de l’économie et le régime de taux de change, ne semblent pas jouer un rôle déterminant dans la synchronisation de la production d’un pays avec la dynamique mondiale.
Ces résultats amènent Monnet et Puy à conclure qu’un faible niveau d’intégration n’implique pas un faible degré de covariation des cycles d’affaires. Contrairement à ce que certains auteurs comme Dani Rodrik (2002) ont pu suggérer, ils ne constatent pas de preuves empiriques robustes suggérant qu’un recul de l’intégration financière et commerciale ait davantage protégé les pays des chocs étrangers ou laissé davantage de marge de manœuvre aux politiques conjoncturelles au cours des années cinquante et soixante que durant la période 1984-2006. Un recul de l’intégration financière ne diminuerait le degré de covariation que durant les chocs financiers mondiaux, mais accroîtrait probablement le degré de covariation en temps normal, lorsque le monde est dominé par des chocs idiosyncratiques.
Références
RODRIK, Dani (2002), « Feasible globalizations », NBER, working paper, n° 9129.
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