John Komlos (2016) a cherché à déterminer comment les fruits de la croissance économique ont été répartis dans la population américaine au cours des trois dernières décennies. L’auteur a utilisé les données du Census et du Congressional Budget Office (CBO) pour évaluer la croissance du revenu des différents quintiles entre 1979 et 2011, ainsi que les variations associées du bien-être. Ses constats sont cohérents avec l’idée d’une « érosion » de la classe moyenne aux Etats-Unis. Le revenu des deuxième et troisième quintiles se sont accrus à un rythme compris entre 0,1 % et 0,7 %, soit à un rythme presque nul. Ce rythme est d’autant plus désolé qu’il n’a pu être atteint qu’avec l’accroissement substantiel des revenus de transfert à destination des classes moyennes. Si l’estimation la plus basse (une croissance annuelle de 0,1 %) est juste, alors il faudra environ six siècles pour que les revenus du deuxième quintile double. Un tel rythme est précisément le même que celui qui prévalait avant la Révolution industrielle.
GRAPHIQUE Estimations du taux de croissance du revenu en fonction des quintiles et centiles entre 1979 et 2011 (par an, en %)
Malgré tout, le revenu du premier quintile a connu une croissance positive. Les 20 % des Américains les plus pauvres ont connu une croissance du revenu comprise entre 0,5 % et 1 %, c’est-à-dire à un rythme plus rapide que les deuxième et troisième quintiles, mais égal à celui du quatrième. Ce résultat est d’autant plus surprenant que le premier quintile a reçu de moins en moins de revenus de transferts au cours du temps, contrairement aux classes moyennes. Le revenu du premier quintile reste au strict minimum pour vivre aux Etats-Unis. En effet, son revenu moyen, équivalent à environ 17.900 par an en 2011, était à peu près au même niveau que le seuil de pauvreté pour une famille de trois personnes.
Le seul quintile qui a bénéficié d’une amélioration significative de son niveau de vie est le dernier, ce qui confirme un profond creusement des inégalités de revenu au cours des dernières décennies [Piketty et Saez, 2003 ; Saez, 2015]. Le revenu des 1 % des ménages les plus aisés s’est accru à un rythme compris entre 3,4 et 3,9 % par an au cours des trois décennies observées. La valeur annuelle moyenne de leur revenu a plus que triplé entre 1979 et 2011, en passant d’environ 281.000 dollars à 918.000 dollars. Le revenu après redistribution des 1 % des plus aisés représentait 51 fois celui du première quintile en 2011, contre 21 en 1979. Le revenu des personnes comprises entre les 96ème et 99ème centiles sont passés d’un multiple de 8,1 à un multiple de 11,3.
Au final, Komlos estime que l’économie américaine a échoué à améliorer le bien-être de tous les résidents et même de la majorité d’entre eux. Le revenu moyen a beau avoir augmenté, une partie de la population n’a pas vu sa situation s’améliorer. En effet, la classe moyenne américaine a connu une baisse relative de son revenu et de son bien-être, ce qui explique selon Komlos pourquoi les indices de satisfaction de vivre des Américains a pu avoir tendance à diminuer avant même qu’éclate la crise financière [Easterlin, 2016].
Références
EASTERLIN, Richard A. (2016), « Paradox lost? », IZA, discussion paper, n° 9676, janvier.
SAEZ, Emmanuel (2015), « Striking it richer: The evolution of top incomes in the United States ».