Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, de nombreuses études empiriques ont pu donner raison à la théorie quantitative de la monnaie en mettant en évidence une relation positive et significative entre l’inflation et la croissance de la masse monétaire (même si les économistes ne se sont pas forcément accordés sur le sens du lien de causalité entre les deux variables). Elles ont pu alors justifier l’adoption de politiques monétaristes à partir des années soixante-dix, notamment le fort resserrement monétaire face au dérapage de l’inflation que connaissaient alors les pays développés et le contrôle strict de la croissance de la masse monétaire.
Avec le resserrement des politiques monétaires et le basculement subséquent des économies dans la récession, l’ensemble des pays, aussi bien développés qu’en développement, ont connu une forte désinflation depuis les années quatre-vingt. Ceux-ci ont parallèlement procédé à une ouverture financière de leur économie. Or la libéralisation financière et la désinflation peuvent affaiblir le lien empirique entre la croissance de la masse monétaire et l’inflation. Par exemple, la libéralisation financière modifie la vitesse de circulation de la monnaie via l’innovation financière et facilite la substitution entre monnaie et autres actifs financiers.
Et effectivement, les études empiriques réalisées à partir des années quatre-vingt-dix ont fortement nuancé les résultats obtenus par les précédentes. Arturo Estrella et Frederic Mishkin (1997) ont montré que, dans le cas des Etats-Unis et de l’Allemagne, la relation entre la croissance de la masse monétaire et l’inflation a disparu depuis le début des années quatre-vingt. Plusieurs études ont alors suggéré que cette relation tend précisément à disparaître lorsque l’inflation atteint un faible niveau. En observant un échantillon d’environ 160 pays au cours des trois précédentes décennies, Paul De Grauwe et Magdalena Polan (2005) constatent une forte relation positive entre l’inflation à long terme et le taux de croissance de la masse monétaire. Toutefois, cette relation n’est pas proportionnelle. Surtout, ce lien s’explique surtout par les pays ayant une fort inflation, voire qui connaissent une hyperinflation. En fait, la relation entre inflation et croissance de la masse monétaire est faible pour les pays connaissant une faible inflation, en l’occurrence une inflation inférieure à 10 % par an. Pedro Teles et Harald Uhlig (2013) ont également testé si la théorie quantitative de la monnaie était toujours valide. Or, ils confirment que, dans les pays caractérisés par une faible inflation, la relation entre inflation moyenne et taux de croissance de la masse monétaire est au mieux ténue.
Par contre, si le crédit semble moins susceptible d’alimenter l’inflation des prix des biens et services, il pourrait par contre davantage alimenter l’inflation des prix d’actifs, c’est-à-dire contribuer à l’émergence de bulles spéculatives. Les crises financières ont en effet eu tendance à devenir plus fréquentes depuis les années quatre-vingt, en parallèle avec la globalisation financière. Claudio Borio et Philip Lowe (2002) ont mis à jour des preuves empiriques confirmant un lien entre crédit et instabilité financière. En s’appuyant sur un large échantillon de pays, ils montrent qu’une croissance du crédit supérieure à sa tendance à long terme indique un risque croissant de crise financière systémique. En l’occurrence, la faible inflation pourrait contribuer à alimenter les déséquilibres financiers en nourrissant la spéculation et les prises de risque. Les deux auteurs suggèrent notamment un véritable « paradoxe de la crédibilité » des banques centrales : rassurés à l’idée que les banques centrales aient dompté l’inflation, les agents seraient davantage incités à prendre de risques. En se focalisant sur la Grande Dépression, Barry Eichengreen et Kris Mitchener (2003) ont démontré que celle-ci résultait d’un boom du crédit qui a « mal tourné ». Plus récemment, en observant de nombreux pays développés et en développement entre 1973 et 2010, c’est-à-dire dans la période postérieure au système de Bretton Woods, Pierre-Olivier Gourinchas et Maurice Obstfeld (2012) constatent que les indicateurs de crédit domestique sont des indicateurs avancés de crises financières. en un échantillon de 14 pays développés sur la période entre 1870 et 2008, Moritz Schularick et Alan Taylor (2012) ont confirmé que la croissance du crédit est un indicateur avancé des crises financières particulièrement robuste. En l’occurrence, ils suggèrent que les crises financières sont toujours « des booms du crédit qui ont mal tourné ». Dans les divers travaux qu’ils ont réalisés ensemble ces dernières années, Oscar Jordà, Moritz Schularick et Alan Taylor ont précisé le lien empirique entre crédit et crises financières.
Pavel Gertler et Boris Hofmann (2016) ont les données relatives à 46 économies au cours de la période suivant la Seconde Guerre mondiale pour revisiter deux faits monétaires clés : d’une part, le lien à long terme entre la croissance de la masse monétaire et l’inflation ; d’autre part, le lien entre la croissance du crédit et la fréquence des crises financières. Leur analyse empirique révèle que le premier lien s’est affaibli au cours du temps, tandis que le second a eu tendance à se renforcer. En outre, le lien entre la masse monétaire et l’inflation apparaît plus robuste dans les pays en développement que dans les pays développés, tandis que le lien entre crédit et crises financières est moins robuste dans les premiers que dans les seconds. Ces constats suggèrent une relation inverse entre les deux faits monétaires. Le lien entre la masse monétaire et l’inflation est plus faible dans les environnements caractérisés dans une faible inflation et des systèmes financiers fortement libéralisés, tandis que c’est l’inverse pour le lien entre crédit et crises financières.
Références
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