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18 août 2016 4 18 /08 /août /2016 20:29

La théorie mainstream considère qu’en économie fermée l’investissement d’un pays est contraint par l’épargne nationale : pour financer leurs dépenses d’investissement, les entreprises peuvent soit utiliser leur propre « épargne », soit drainer l’épargne du reste de l’économie via le système financier. Donc, plus une économie génère d’épargne, plus elle est à même de financer des projets d’investissement. Par conséquent, si un pays est pauvre, il est susceptible de le rester : la faiblesse de son revenu national l’empêche de générer suffisamment d’épargne pour accumuler du capital, accroître sa production et accroître au final ce revenu. Mais en économie ouverte, dès lors que chaque agent peut placer son épargne dans le pays qu’il désire, l’investissement domestique n’est pas nécessairement égal à l’épargne domestique : certains pays peuvent investir plus qu’ils épargnent en captant une part de l’épargne étrangère, c’est-à-dire via les entrées de capitaux [1]. Ainsi, en théorie, un pays pauvre caractérisé par un faible taux d’épargne, mais aussi par de bonnes perspectives de croissance, peut accumuler du capital en creusant le déficit de son compte courant.

Malheureusement, beaucoup ont souligné les risques auxquels un pays fait face en creusant durablement son déficit courant, ne serait-ce que parce que les entrées de capitaux peuvent se révéler déstabilisatrices [Blanchard et alii, 2015]. En effet, à long terme, elles sont susceptibles de dégrader le potentiel de croissance en entraînant une mauvaise allocation des capitaux [Benigno et alii, 2015]. A court terme, elles peuvent alimenter un cercle vicieux où boom du crédit et appréciation de la devise se renforcent mutuellement jusqu’à devenir insoutenables. L’économie risque alors de connaître un arrêt brusque (sudden stop) des entrées de capitaux, suivi par un écroulement du crédit, une contraction de l’activité domestique et une chute des prix d’actifs, notamment des cours boursiers, des prix de l’immobilier ou encore du taux de change. De tels enchaînements ont précisément été à l’œuvre dans les pays émergents, comme le Mexique ou la Thaïlande, au milieu des années quatre-vingt-dix ou bien plus récemment dans la périphérie de la zone euro.

En outre, l’analyse empirique ne décèle pas forcément de déconnexion entre épargne et investissement en économie ouverte. Martin Feldstein et Charles Horioka (1980) avaient analysé les données relatives à 16 pays de l’OCDE entre 1960 et 1974 pour déterminer à quel point l’offre mondiale de capitaux est mobile. Or, ils constataient que l’investissement domestique et l’épargne domestique restaient très corrélés entre eux malgré l’ouverture des économies. Certains expliquent ce « puzzle » par les « imperfections » des marchés de capitaux internationaux : celles-ci empêcheraient les capitaux de se déplacer librement d’un pays à l’autre. La crainte que l’économie connaisse un sudden stop pourrait précisément désinciter les étrangers à y investir leurs capitaux. Certains ont toutefois remis en cause (ou tout du moins nuancé) la réalité empirique du paradoxe de Feldstein et Horioka. Par exemple, Tamim Bayoumi (1990) et Alan Taylor (1994) ont suggéré que les données utilisées par Feldstein et Horioka sont très différentes avant 1913, lorsque la corrélation entre l’épargne et l’investissement était plus souple et que des pays qui se sont développés tardivement (comme le Canada, l’Australie et l’Argentine) se sont appuyés sur l’épargne étrangère pour financer leur investissement domestique. L’ère de Bretton Woods a été effectivement marquée par une faible mobilité internationale des capitaux, mais ce n’est pas forcément le cas avant la Grande Dépression des années trente, ni après les années soixante-dix.

Eduardo Cavallo, Barry Eichengreen et Ugo Panizza (2016a, 2016b) ont récemment cherché à déterminer s’il est possible et opportun pour les pays de financer leur investissement domestique par les capitaux étrangers. Contrairement à une idée reçue, ils constatent que beaucoup de pays ont été capables de financer un part significative de l’investissement domestique en utilisant l’épargne étrangère pendant une période prolongée. Depuis 1970, plusieurs pays ont en effet généré des déficits courants supérieurs à 4 %, voire à 6 % et même 8 % du PIB pendant au moins une décennie. La plupart de ces épisodes se sont produits au sein de pays à faible revenu, notamment en Afrique sub-saharienne, où les fonds publics ont joué un rôle plus important que les fonds privés. Les auteurs identifient aussi de nombreux épisodes au cours desquels une fraction substantielle de l’investissement domestique a été essentiellement financée par des entrées de capitaux privés ; cela a en particulier été le cas en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Pour autant, Cavallo et ses coauteurs notent que l’épargne étrangère n’est pas un bon substitut à l’épargne domestique. Les épisodes de déficits larges et durables sont certes caractérisés par une croissance supérieure à la moyenne au cours des 4 à 5 premières années de l’épisode, mais ces gains s’effacent entièrement après 5 ans. Sur une période de 20 ans, l’effet net sur la croissance devient négatif. Une possible explication est que les pays déficitaires n’utilisent pas les capitaux étrangers pour financer l’investissement dans l’équipement, qui constitue pourtant l’un des moteurs de la croissance économique selon Brad DeLong et Larry Summers (1991) ; cette explication rejoint l’idée que les booms dans les afflux de capitaux entraînent une mauvaise allocation des ressources dans l’économie. En testant cette hypothèse, Cavallo et ses coauteurs constatent effectivement que les déficits amples et durables du compte courant sont suivis, non pas par une hausse des importations de machines et autres biens d’équipement, mais par une baisse de ce type d’importations. En outre, très souvent, les épisodes de déficits courants amples et persistants ne finissent pas sans heurts. En fait, ils se soldent souvent par un arrêt soudain des entrées de capitaux, suivi par une inversion brutale du solde courant, une dépréciation du taux de change réel, ainsi qu’une chute de l’investissement et de la production. Ainsi, Cavallo et ses coauteurs en concluent que le financement de la croissance et de l’investissement par l’épargne étrangère n’est pas impossible, mais il est risqué.

 

[1] Auquel cas d’autres pays devront forcément davantage épargner qu’ils n’investissent, puisqu’au niveau mondial, l’épargne est forcément égale à l’investissement. 

 

Références

BAYOUMI, Tamim (1990), « Savings-investment correlations: Immobile capital, government policy or endogenous behavior? », FMI, staff paper, n° 37.

BENIGNO, Gianluca, Nathan CONVERSE & Luca FORNARO (2015), « Large capital inflows, sectoral allocation, and economic performance », Réserve fédérale, international finance discussion paper, n° 1132, mars.

BLANCHARD, Olivier, Jonathan D. OSTRY, Atish R. GHOSH & Marcos CHAMON (2015), « Are capital inflows expansionary or contractionary? Theory, policy implications, and some evidence », NBER, working paper, n° 21619, octobre.

CAVALLO, Eduardo, Barry EICHENGREEN & Ugo PANIZZA (2016a), « Can countries rely on foreign saving for investment and economic development? », IHEID, working paper, n° 07-2016.

CAVALLO, Eduardo, Barry EICHENGREEN & Ugo PANIZZA (2016b), « Foreign savings: No gain, some pain », in VoxEU.org, 8 août.

DELONG, J. Brad, & Lawrence H. SUMMERS (1991), « Equipment investment and economic growth », in The Quarterly Journal of Economics, vol. 106, n° 2.

FELDSTEIN, Martin, & Charles HORIOKA (1980), « Domestic saving and international capital flows », in Economic Journal, vol. 90, n° 358.

TAYLOR, Alan (1994), « Domestic saving and international capital flows reconsidered », NBER, working paper, n° 4892.

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