L’économie chinoise contribue à une part croissante de la production mondiale et des échanges internationaux. Par exemple, la Chine réalisait 9,5 % des exportations mondiales en 2008, contre 3,3 % en 1998. Une telle dynamique est susceptible d’alimenter la désindustrialisation et cette dernière peut en retour affecter le reste de l’économie domestique. La France est susceptible d’en être particulier pénalisée. En effet, comme d’autres pays à haut revenu, la France a vu les importations chinoises s’accroître à un rythme rapide ; en comparaison avec les autres pays à haut revenu, la France se singularise par un important déficit commercial vis-à-vis de la Chine.
L’essor de l’économie chinoise a ainsi alimenté des craintes dans les pays développés quant à son impact sur les salaires et l’emploi. Par là même, beaucoup craignent que l’ouverture de la Chine aux échanges internationaux se traduise par un creusement des inégalités de salaires dans les pays développés, comme le suggère le théorème Stolper-Samuelson : comme les pays développés sont relativement abondants en main-d’œuvre qualifiée relativement aux pays émergents comme la Chine, les premiers se spécialisent dans les activités intensives en travail qualifié, tandis que les seconds se spécialisent dans les activités intensives en travail peu qualifié. Dans les pays avancés, ce sont alors les travailleurs les moins qualifiés qui sont les plus exposés aux baisses de salaires et aux destructions d’emplois associées aux délocalisations vers la Chine et aux faillites d’entreprises domestiques. Le reste de l’économie peut s’en trouver affectée, via la baisse des investissements (des entreprises du secteur manufacturier) et de la consommation (de la part des personnes travaillant dans le secteur manufacturier). D’un autre côté, l’ensemble des résidents bénéficie de produits moins chers grâce aux importations, ce qui contribue à soutenir le pouvoir d’achat des moins qualifiés et plus largement à stimuler la demande, notamment en faveur des produits nationaux.
Dans une étude très influente, David Autor, David Dorn et Gordon Hanson (2013) ont analysé les effets de l’intensification de la concurrence des importations chinoises sur les marchés du travail locaux des Etats-Unis entre 1990 et 2007. Ils ont confirmé que l’accroissement des importations chinoises avait entraîné une hausse du chômage, une baisse de la population active et une baisse des salaires dans les marchés du travail locaux. En l’occurrence, l’intensification de la concurrence chinoise pourrait expliquer un quart de la baisse de l’emploi manufacturier qui a été observée au cours de la période dans l’ensemble des Etats-Unis.
Reprenant l’approche adoptée par Autor et alii, mais en l’appliquant cette fois-ci au cas français, Clément Malgouyres (2016) a récemment étudié l’ajustement des marchés du travail locaux face à l’accroissement de la concurrence chinoise. En l’occurrence, il a examiné comment la concurrence des importations chinoises a affecté la structure de l’emploi et des salaires, aussi bien dans l’industrie française que dans le reste de l’économie française, sur la période s’étalant entre 1995 à 2007.
Malgouyres met en évidence un effet négatif de la concurrence chinoise sur l’emploi, aussi bien dans le secteur manufacturier que dans les autres secteurs. Entre 2001 et 2007, les importations chinoises ont pu entraîner la destruction de 90.000 emplois dans le secteur manufacturier et de 180.000 emplois dans le secteur des biens non échangeables. Ainsi, l’intensification de la concurrence des importations chinoises a pu contribuer à environ 13 % du déclin total de l’emploi manufacturier que l’on a pu observer sur la période. Ce chiffre est plus faible que celui-obtenu par Autor et alii dans le cas des Etats-Unis, mais plus important que les valeurs trouvées pour d’autres pays européens, notamment l’Allemagne et la Norvège. Malgouyres observe un véritable effet multiplicateur dans les destructions d’emplois en France, allant du secteur manufacturier au reste de l’économie locale : chaque emploi détruit dans le secteur manufacturier entraîne la destruction d’environ 1,5 emploi supplémentaire au niveau local.
Lorsqu’il observe l’impact sur la composition des emplois, Malgouyres constate que les destructions d’emplois sont concentrées dans les professions à faibles compétences et dans les professions exigeant un niveau intermédiaire de compétences. La concurrence chinoise est associée à une polarisation de la structure des emplois dans le secteur manufacturier, puisqu’au sein de ce dernier les destructions d’emplois sont les plus fortes dans les professions à compétences intermédiaires.
Enfin, Malgouyres a étudié comment l’accroissement de la concurrence chinoise a influencé la distribution des salaires en France. Il confirme que cet effet est négatif, mais il constate aussi que celui-ci n’est pas le même d’un secteur à l’autre. C’est l’ensemble des salaires qui tend à diminuer dans le secteur manufacturier, un résultat qui contraste avec les résultats obtenus dans le cas des Etats-Unis ou dans le cas de l’Allemagne, où il ne semble pas y avoir d’impact sur les salaires du secteur manufacturier. Par conséquent, il n’y a pas eu d’accroissement des inégalités salariales dans le secteur manufacturier en France, malgré la polarisation des emplois entraînée par l’intensification de la concurrence chinoise. Par contre, l’impact de cette dernière se concentre sur le milieu de la distribution dans les autres secteurs : seuls les salaires au milieu de la distribution sont poussés à la baisse dans le secteur abrité. C’est donc dans ce dernier que la concurrence chinoise entraîne une polarisation des salaires. Malgouyres observe le ratio rapportant le salaire du 85ème centile sur le salaire afin de préciser l’impact sur les inégalités salariales. Il constate que ce ratio ne se modifie pas en moyenne, mais qu’il tend à s’accroître suite au choc associé aux importations chinoises dans les zones où le salaire minimum s’avère peu contraignant, ce qui montre que les institutions du marché du travail contribuent à façonner l’impact des chocs commerciaux sur la répartition des salaires.
Références
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