L’immigration a occupé une place importante dans la récente campagne présidentielle aux Etats-Unis. Donald Trump a non seulement joué sur la peur que suscite le terrorisme islamique, mais aussi la menace que constitue, selon lui, l’immigration illégale pour l’emploi et les salaires des citoyens étasuniens. Ainsi, parmi ses premières décisions en tant que Président, ont figuré l’interdiction de séjour (rapidement avortée) pour les citoyens issus de certains pays musulmans, mais aussi le lancement de la construction d’un mur à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, mur censé freiner l'immigration illégale du premier vers ces derniers.
Les Etats-Unis ont effectivement connu un grand afflux d’immigrés illégaux ces dernières décennies. Selon le Pew Research Center, le nombre d’immigrés sans papiers a augmenté en moyenne de 510.000 individus par an entre 1990 et 2007. Il représentait environ les deux tiers de la population adulte américaine qui était née à l’étranger et qui avait suivi une scolarité au maximum douze ans. Cette vague d’immigrés a contribué à accroître aux Etats-Unis le nombre de travailleurs peu qualifiés nés à l’étranger : le nombre d’immigrés en âge de travailler et ayant au maximum douze ans de scolarité a plus que doublé entre 1990 et 2007, puisqu’il est passé au cours de cette période de 8,5 à 17,8 millions d’individus.
Gordon Hanson, Chen Liu et Craig McIntosh (2017) ont étudié comment le volume et la composition de l’immigration peu qualifiée a évolué au cours du temps aux Etats-Unis. Ils notent que, contrairement à ce que peuvent suggérer les médias et les déclarations de Trump, le territoire étasunien est devenu moins attractif pour les migrants peu qualifiés depuis la Grande Récession. En effet, le nombre d’immigrants sans papiers a diminué en termes absolus entre 2007 et 2014, tandis que la population globale de travailleurs peu qualifiés qui sont nés à l’étranger est restée globalement stable.
Ce recul de l’immigration n’est, selon eux, pas surprenant. D’une part, il s’explique aisément par le dynamisme, ou plutôt le manque de dynamisme, de l’économie américaine : la Grande Récession a été provoquée par un effondrement du marché immobilier, or la construction constitue le deuxième plus grand secteur d’embauche pour les immigrés sans papiers et le troisième secteur d’embauche pour les immigrés peu qualifiés. Plus globalement, la faiblesse persistante de la croissance américaine depuis la crise financière a pu durablement réduire l’incitation à y migrer pour les potentiels immigrés. D’autre part, environ la moitié des immigrés peu qualifiés aux Etats-Unis provient du Mexique, tandis qu’un quart provient du reste de l’Amérique latine. Or ces pays ont connu une forte réduction de leurs taux de fécondité à partir de la fin des années 1970. Ils ont donc connu un fort ralentissement de la croissance de leur population active à partir des années 2000, ce qui a mécaniquement freiné l’émigration.
D’autres facteurs ont contribué à réduire l’émigration peu qualifiée à destination des Etats-Unis, notamment le renforcement même de la politique migratoire américaine. Par exemple, le nombre d’agents de patrouille aux frontières a doublé entre 2000 et 2010 : il est passé au cours de la période de 8.600 à 17.500 agents et il demeure encore aujourd’hui à des niveaux historiquement élevés. En outre, le nombre de reconductions à la frontière d’étrangers non criminels est passé de 116.000 en 2001 à une moyenne de 226.000 par an entre 2007 et 2015. Or ce renforcement de la politique migratoire américaine a ainsi réduit, d’une part, l’attrait des potentiels migrants pour les Etats-Unis et, d’autre part, la population de sans papiers déjà présente aux Etats-Unis.
Au final, Hanson et ses coauteurs jugent tout particulièrement anachronique l’actuel débat qui se tient aux Etats-Unis autour de l’immigration. La grande vague d’immigration qu’ont connue les Etats-Unis à la fin du vingtième siècle s’expliquait par la vigueur de leur croissance économique et par la forte natalité des pays latino-américains. Avec le ralentissement durable de la croissance économique aux Etats-Unis et de la natalité en Amérique latine, les Etats-Unis ont naturellement basculé dans un régime de faible immigration. Comme les principaux pays d’origine des migrants à destination des Etats-Unis vont continuer de connaître une faible croissance de l’offre de travail relativement aux Etats-Unis ces prochaines décennies, l’émigration de jeunes peu qualifiés vers les Etats-Unis risque de davantage décliner, et ce même si les Etats-Unis ne resserrent pas davantage leur politique migratoire.
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