Après l’introduction de l’impôt sur le revenu personnel, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) s’est révélée être l’une des plus grandes innovations en matière de fiscalité. Il y a une soixantaine d’années, elle n’existait qu’en France. Aujourd’hui, elle fait partie du système fiscal d’une majorité de pays : en 2007, elle rapportait 20 % de l’ensemble des recettes fiscales et affectait 4 milliards de personnes dans le monde [Keen et Lockwood, 2007]. C’est dans les années 1960 que l’usage de la TVA commence à se diffuser à travers le monde, tout d’abord via les pays européens, puis les pays latino-américains. L’adoption d’une TVA par les pays en développement a plutôt été récente : beaucoup d’entre eux, notamment en Afrique subsaharienne, l’ont adopté au cours des années 1990. Très souvent, l’introduction de la TVA s’est accompagnée d’une baisse des tarifs douaniers.
GRAPHIQUE Nombre de pays dans le monde ayant adopté la TVA
source : Alavuotunki et alii (2017)
La TVA présente en effet plusieurs avantages pour les autorités publiques. Dans la mesure où il s’agit d’un impôt indirect, elle est relativement indolore : ce sont les ménages qui la supportent, à travers leurs dépenses de consommation, mais ce ne sont pas eux qui la versent aux administrations publiques, si bien qu’ils n’ont pas pleinement conscience de s’acquitter d’un impôt lors de leurs achats. Dans leur analyse empirique sur données macroéconomiques, Michael Keen et Ben Lockwood (2007) ont constaté que la TVA constituait une source efficace de recettes fiscales, dans la mesure où elle a permis aux gouvernements qui l’ont adopté de gagner bien plus de recettes que s’ils ne l’avaient pas fait. D’un autre côté, beaucoup ont décrié la TVA comme étant un impôt régressif. En effet, les ménages payent le même taux de TVA qu’importe leur niveau de revenu, or les ménages consacrent une part d’autant moins importante à la consommation que leur revenu est élevé, si bien que les ménages supportent d’autant plus la TVA que leur revenu est faible. Autrement dit, la TVA pourrait contribuer à accroître les inégalités de revenu. Cependant, certains ont suggéré que la TVA a beau constituer un impôt régressif, elle est moins régressive que les tarifs douaniers qu’elle a eu tendance à remplacer. D’autre part, les recettes fiscales que les autorités publiques tirent de la TVA peuvent être utilisées pour financer le versement d’aides sociales et les services publics, or ceux-ci contribuent à réduire les inégalités de revenu. Autrement dit, sur le seul plan théorique, l’impact de la TVA sur les inégalités apparaît ambigu.
Kaisa Alavuotunki, Mika Haapanen et Jukka Pirttilä (2017) ont alors étudié l’impact que peut avoir l’introduction d’une TVA sur les inégalités et les recettes publiques en utilisant de nouvelles données empiriques au niveau macroéconomique, notamment celles issues de la World Income Inequality Database (WIID). Ils ont notamment cherché à actualiser et à affiner les résultats obtenus par Keen et Lockwwod. Ils constatent qu’en moyenne l’adoption d’une TVA n’a pas entraîné une hausse des inégalités. Surtout, lorsque les inégalités sont mesurées à partir de la consommation, les données ne suggèrent pas que l’introduction d’une TVA tende à alimenter les inégalités. Par contre, plusieurs preuves empiriques robustes suggèrent que, lorsqu’elles sont mesurées à partir du revenu disponible, les inégalités ont davantage augmenté dans les pays qui ont introduit une TVA plutôt que les autres. Dans la mesure où les pays pour lesquels les inégalités sont mesurées en utilisant un coefficient de Gini basé sur le revenu sont souvent des pays à haut revenu, alors les résultats suggèrent qu’il n’y a donc pas de preuves empiriques suggérant que la TVA ait creusé des écarts de bien-être dans le cas des pays à faible revenu. Dans la mesure où il y a très peu de données exploitables pour déterminer les inégalités dans les pays à faible revenu en se basant sur le revenu, Alavuotunki et ses coauteurs ne peuvent donc analyser comment la TVA influe exactement dans ces pays sur les inégalités de revenu.
Références
Observatoire des inégalités (2012), « La TVA est-elle juste ? », 8 novembre.