De nombreuses études se sont penchées sur la faiblesse dont fait preuve l’investissement dans les pays développés depuis la crise financière mondiale sans vraiment parvenir à un consensus sur ses causes. Christine Lewis, Nigel Pain, Jan Strasky et Fusako Menkyna (2014) estiment que la faiblesse de l’investissement dans les pays développés s’explique avant tout par la faiblesse de la demande et, dans une moindre mesure, par les facteurs financiers et l’incertitude. Le FMI (2015) a montré que la faiblesse de l’investissement s’expliquait avant tout par la faiblesse de l’investissement des entreprises ; cette dernière résulterait essentiellement de la faiblesse globale de l’activité économique ; dans certains pays, les contraintes financières et l’incertitude autour de la politique économique ont pu également y contribuer. A partir d’un modèle d’accélérateur qu’ils appliquent à une vingtaine de pays développés, Matthieu Bussière, Laurent Ferrara et Juliana Milovich (2015) suggèrent que la révision à la baisse des anticipations de demande suffit à expliquer la faiblesse de l’investissement depuis la crise financière mondiale ; selon leur analyse, l’incertitude a joué un rôle important, tandis que les contraintes financières semblent avoir joué un rôle mineur. Pour Maxime Leboeuf et Bob Fay (2016), la faiblesse de l’investissement dans le monde ces dernières années s’explique essentiellement par le pessimisme des entreprises vis-à-vis de la robustesse de la demande future ; si l’incertitude a pu jouer un rôle, ce n’est plus vraiment le cas depuis 2013 ; les contraintes de crédit ne semblent plus jouer un rôle déterminant depuis 2010.
Dans une récente étude présentée lors de la conférence organisée par la BCE à Sintra, en Italie, Robin Döttling, Germán Gutiérrez et Thomas Philippon (2017) ont analysé la faiblesse de l’investissement fixe privé dans les pays européens et aux Etats-Unis au cours des deux dernières décennies. Pour expliquer cette faiblesse, ils s’appuient sur le ratio Q de Tobin pour mettre en concurrence deux types de théories : d’une part, les théories qui prédisent un faible investissement en raison d’un faible ratio Q de Tobin, en raison par exemple d’une forte prime de risque ou de faibles anticipations de croissance ; d’autre part, les théories qui prédisent un faible ratio Q de Tobin malgré un ratio Q de Tobin élevé, en raison par exemple de la structure du marché, des problèmes de gouvernance et du court-termisme des actionnaires.
L’analyse des données suggère que les raisons derrière la faiblesse de l’investissement ne sont pas les mêmes des deux côtés de l’Atlantique : en Europe, la faiblesse de l’investissement s’explique avant tout par des raisons conjoncturelles, tandis qu’elle s’explique plutôt par des raisons structurelles aux Etats-Unis.
Döttling et ses coauteurs confirment en l’occurrence les résultats obtenus quelques mois plus tôt par Germán Gutiérrez et Thomas Philippon (2016). Aux Etats-Unis, depuis environ 2000, l’investissement est plus faible qu’on aurait pu le prévoir en se basant sur les fondamentaux : l’investissement est faible alors même que le ratio Q de Tobin est élevé. Ce retard d’investissement s’observe surtout dans les secteurs où la concurrence a décliné au cours du temps. La baisse de l’investissement américain a coïncidé avec le relâchement de la réglementation concurrentielle et la hausse de la concentration, une dynamique que David Autor, David Dorn, Lawrence Katz, Christina Patterson et John Van Reenen (2017) ont liée à l’apparition de « firmes superstars ».
En Europe, le niveau observé de l’investissement est proche de celui auquel on pourrait s’attendre en se basant avec le niveau de la profitabilité et le ratio Q de Tobin dans la majorité des pays, sauf au pic de la crise. En effet, la faiblesse de l’investissement s’explique en Europe par la faible valorisation des actifs, ce qui est cohérent l’idée que des contraintes financières, des primes de risque élevées, l’anticipation d’une faible demande et l’anticipation de faibles flux de trésorerie aient pu freiner l’investissement. A la différence des Etats-Unis, la concentration a été stable, voire a même décliné, en Europe, tandis que la réglementation concurrentielle se resserrait.
En ce qui concerne l’investissement immatériel, Döttling et ses coauteurs constatent que son essor explique une partie, mais pas la majorité, de la faiblesse de l’investissement mesuré. Les entreprises européennes ont eu tendance à rattraper les entreprises américaines en matière de capital immatériel. L’approfondissement incorporel se réalise au sein des entreprises dans les pays européens (les entreprises en place accumulent lentement de plus en plus de biens incorporels), tandis qu’il s’opère plutôt entre les entreprises aux Etats-Unis (avec l’entrée de nouvelles entreprises présentant des ratios de biens incorporels élevés).
Références
FMI (2015), « Private investment: What’s the holdup? », World Economic Outlook, chapitre 4.