Dans les pays développés, la production a connu des baisses durables suite à la crise financière mondiale ; celles-ci se sont accompagnées d’amples révisions de la production potentielle. Par exemple, les estimations de la production potentielle des Etats-Unis ont été systématiquement révisées à la baisse depuis la Grande Récession, si bien que la déviation de la production par rapport à sa trajectoire d’avant-crise est désormais réinterprétée comme traduisant une dégradation permanente des capacités de production de l’économie (cf. graphique).
GRAPHIQUE Trajectoire observée de la production étasunienne et estimations de la production potentielle par le CBO en différentes dates (déviation logarithmique par rapport au premier trimestre 2007)
source : Coibion et alii (2017)
Beaucoup ont alors estimé que la production des pays développés ne reviendrait pas à la trajectoire qu’elle suivait avant la crise : nous sommes définitivement plus pauvres que nous ne le serions si la crise financière mondiale n’avait pas eu lieu. C’est notamment ce que suggèrent Jane Haltmaier (2012), Laurence Ball (2014), le FMI (2015), Robert Martin et alii (2015), Olivier Blanchard et alii (2015) ou encore Antonio Fatás et Larry Summers (2015), qui se sont focalisés sur les dommages à long terme des plans d’austérité. Ces diverses études suggèrent que des effets d’hystérèse ont pu être à l’œuvre et ainsi contribuer à ce que la mauvaise conjoncture laisse des stigmates permanents sur l'activité : les travailleurs qui se sont retrouvés au chômage ont durablement perdu en compétences, donc en efficacité ; comme la faiblesse de la demande a pu désinciter les entreprises à investir (et le rationnement du crédit les empêcher de le faire), le stock de capital physique s’est peut-être fortement détérioré, ce qui freine toute hausse de la production à moyen terme et par là même l’absorption du chômage ; la faiblesse des dépenses de recherche-développement a pu durablement freiner l’innovation, etc. Or, si la production potentielle s’est fortement détériorée, les autorités publiques disposent d’une moindre marge de manœuvre pour stimuler l’activité économique via leurs politiques conjoncturelles. Par exemple, si l’écart de production (output gap) est moins important qu’on ne le pense, les politiques de demande pourraient difficilement accroître la production et risqueraient surtout de se traduire par une accélération de l’inflation.
En utilisant diverses estimations de la production potentielle pour les Etats-Unis et d’autres pays développés, Olivier Coibion, Yuriy Gorodnichenko et Mauricio Ulate (2017) constatent que les estimations en temps réel du PIB potentiel réagissent aux chocs conjoncturels qui n’ont qu’un impact transitoire sur l’activité économique, mais aussi qu’elles réagissent graduellement aux chocs qui ont des effets durables sur l’activité. Qu’importe la nature des chocs, les estimations en temps réel du PIB potentiel s’ajustent graduellement à ceux-ci, à l’instar d’une moyenne mobile des variations passées de la production. Par conséquent, étant donné la lenteur des ajustements aux chocs et l’incapacité des estimations à distinguer entre les chocs qui affectent durablement l’activité et ceux qui ne le font pas, les estimations de la PIB potentiel ne renseignent pas davantage à propos des changements touchant celle-ci que ne le font les simples mesures de tendances statistiques. Autrement dit, le fait que les estimations du PIB potentiel soient révisées, que ce soit à la hausse ou à la baisse, dit peu de choses sur d’éventuels changements permanents du PIB.
S’appuyant notamment sur les données de diverses institutions comme le CBO, la Fed, le FMI et l’OCDE, Coibion et ses coauteurs observent l’évolution de production potentielle et de ses estimations suite à divers chocs, non seulement aux Etats-Unis, mais aussi dans d’autres pays développés. Premièrement, ils ont beau constater que les chocs monétaires n’ont que des effets transitoires sur le PIB, ils observent que ces chocs sont suivis par un changement graduel des estimations du PIB potentiel. Deuxièmement, les hausses de dépenses publiques ne semblent avoir que des effets transitoires sur le PIB, mais les estimations de PIB potentiel réagissent lentement à ces chocs budgétaires, et ce dans le même sens que le PIB à court terme. Ces deux premiers constats montrent que les estimations du PIB potentiel sont sensibles aux fluctuations conjoncturelles du PIB que génèrent les chocs de demande. Troisièmement, les chocs de productivité ont des effets immédiats et durables sur le PIB, mais les estimations du PIB potentiel répondent seulement très graduellement à ces chocs ; elles n’incorporent pleinement les gains de productivité qu’après plusieurs années. Quatrièmement, avec les chocs fiscaux, les estimations de PIB potentiel ne rattrapent qu’avec un gros retard les variations effectives du PIB. Ainsi, ces deux derniers constats indiquent que les estimations du PIB potentiel capturent correctement les changements touchant celui-ci, mais lentement : les estimations du PIB potentiel présentent une trop faible sensibilité conjoncturelle aux chocs d’offre.
Coibion et ses coauteurs estiment que certains modèles vectoriels autorégressifs (VAR) structurels permettent d’éviter de telles erreurs, notamment en temps réel. Ces modèles suggèrent que la production potentielle aurait moins décliné dans le sillage de la Grande Récession que nous ne le pensons. Par exemple, selon leurs estimations, la production américaine serait toujours inférieure à 10 points de pourcentage à son niveau potentiel. Par conséquent, les autorités publiques disposent d’une plus grande marge de manœuvre que nous ne le pensons pour stimuler l’activité économique et réduire le chômage en assouplissant leurs politiques conjoncturelles.
Références