Olivier Blanchard et Pedro Portugal (2017) ont récemment proposé une vision synthétique des grandes tendances macroéconomiques qui ont marqué le Portugal depuis le milieu des années quatre-vingt-dix ; ce faisant, ils actualisent une étude réalisée dix ans auparavant par Blanchard (2007). Leur analyse montre qu’au cours des deux dernières décennies l’économie portugaise a connu successivement un boom (jusqu’en 2002), un ralentissement de la croissance, un arrêt soudain dans les afflux de capitaux (à partir de 2008), puis enfin une lente reprise (depuis 2013).
Le boom portugais a commencé au milieu des années quatre-vingt-dix. L’accession à la zone euro et la perspective d’une accélération subséquente de la croissance portugaise a incité les institutions étrangères à davantage prêter aux Portugais, tandis que la baisse subséquente des taux d’intérêt (aussi bien nominaux que réels) a contribué à inciter les Portugais à davantage emprunter. Les entrées de capitaux se sont accrues et sont passées par l’intermédiaire des banques portugaises pour financer les résidents. Entre 1997 et 2001, le ratio prêts sur dépôts est alors passé de 75 % à 128 %, la dette des ménages de 52 % à 118 % du revenu disponible et la dette des sociétés non financières de 121 % à 147 % du PIB.
Entre 1995 et 2001, le crédit a alimenté la demande globale et par là la croissance économique ; celle-ci s’est maintenue au rythme de 3,5 % par an, tandis que le taux de chômage passait de 6,6% à 4,4 %. La politique budgétaire était alors été expansionniste, donc procyclique, si bien qu’elle a contribué au boom de l’activité ; pour autant, le poids de la dette publique a décliné, en passant de 58 % à 53 % du PIB. Les salaires nominaux ont augmenté de 4,9 % par an en moyenne, tandis que la croissance de la productivité se maintenait au rythme moyen de 1,8 % par an, si bien que les coûts du travail ont augmenté de 20 %, bien au-delà de la moyenne de la zone euro (en l’occurrence 4,3 %). La hausse des importations impulsée par la forte croissance, d’une part, et le freinage des exportations associé à la dégradation de la compétitivité, d’autre part, ont contribué à une détérioration du compte courant : le déficit courant est passé de 0,2 % à 10,4 % du PIB.
Le boom laisse place à un ralentissement de l’activité en 2002 : entre 2002 et 2007, la croissance s’est élevée en moyenne à 1,1 % par an au Portugal, soit à un rythme bien inférieur à celui de la croissance de la zone euro, tandis que le taux de chômage passait de 4,4 % à 8,7 %. Ce ralentissement de la croissance résulte de l’essoufflement de la demande intérieure. Ce dernier pourrait notamment s’expliquer par le fait que l’effet accélérateur se soit essoufflé, aussi bien pour les entreprises que pour les ménages : une fois que ces derniers ont acquis les biens durables qu’ils désiraient, ils ont eu tendance à réduire leurs dépenses. Le gouvernement a alors assoupli sa politique budgétaire pour stimuler la demande globale : non seulement la croissance économique s’en est trouvée peu stimulée, mais le ratio dette publique sur PIB est passé de 53 % à 68 % entre 2001 et 2007. Avec la faiblesse de la croissance, l’endettement privé a également poursuivi sa hausse : la dette des ménages est passée de 118 % à 146 % du revenu disponible pour les ménages et de 147 % à 185 % du PIB pour les entreprises. Le déficit courant s’est maintenu, notamment sous l’effet de la dégradation de la compétitivité portugaise et l’accentuation de la concurrence des pays d’Europe de l’Est.
Comme les autres pays européens, le Portugal a subi deux gros chocs négatifs à partir de 2008. Tout d’abord, la crise financière mondiale a non seulement directement freiné son activité en déprimant ses exportations, mais elle a aussi entraîné une hausse des coûts de financement et par là un resserrement du crédit. La politique budgétaire s’est initialement assouplie et le déficit primaire ajusté en fonction de la conjoncture s’est fortement détérioré, en passant de 1,5 % à 9,8 % entre 2007 et 2010, ce qui n’a pas empêché le PIB de chuter dès 2009. Ensuite, le Portugal fut touché par la crise de la zone euro, dans le sillage de la crise grecque de 2010. Avec l’écroulement des entrées de capitaux, l’économie portugaise a alors été contrainte à subir un douloureux ajustement interne.
Entre 2008 et 2013, le PIB a décliné au rythme moyen de 1,3 %, tandis que le taux de chômage augmentait de 8,7 % à 16,2 %. Avec la perte d’accès au financement de marché, la politique budgétaire est devenue fortement restrictive, contribuant à une amélioration du solde primaire ajusté, qui est passé d’un déficit de 9,8 % en 2010 à un excédent de 2,3 % en 2013, mais certainement en déprimant l’activité. L’endettement public a donc continué d’augmenter, en passant de 68 % à 129 % du PIB entre 2007 et 2013, ce qui a contribué à alimenter la défiance des marchés vis-à-vis des titres portugais. L’endettement privé s’est maintenu à un niveau élevé, ce qui s’est traduit par une multiplication des prêts non performants. Le solde courant s’est certes amélioré au cours de cette période, en passant d’un déficit de 9,7 % à un excédent de 1,4 % du PIB, mais essentiellement en conséquence de la faiblesse de la demande intérieure, qui s’est traduite par un effondrement des importations. Pour autant, les exportations ont augmenté à un rythme de 2,7 % par an. Si les coûts unitaires du travail ne se sont que très faiblement accrus au cours de cette période, cela ne s’est pas traduit par une baisse des prix à l’exportation, mais par une hausse du taux de marge des entreprises.
A partir de 2014, le Portugal connaît une timide reprise. La croissance du PIB s’est élevée en moyenne à 1,3 % par an entre 2014 et 2016 et le FMI s’attend à ce qu’elle se poursuive à ce rythme au moins jusqu’en 2021, notamment en raison de la faiblesse de la croissance potentielle. Pour autant, le taux de chômage a diminué, en passant de 16,2 % à 11,1 % entre 2013 et 2016. D’après les prévisions du FMI, les exportations devraient croître plus rapidement que le PIB, mais moins que les importations ; si la demande continue de s’améliorer, l’excédent courant risque de laisser place à un déficit croissant. Avec la faiblesse de la croissance, l’endettement privé et public va rester à un rythme élevé. Le ratio dette publique sur PIB était de 129 % du PIB en 2013 ; le FMI s’attend à ce qu’il ne diminue que lentement (il devrait notamment atteindre 124 % en 2021).
Blanchard et Portugal concluent leur étude en passant en revue les options en matière de politique économique. Selon eux, l’austérité budgétaire, la réduction des salaires et prix nominaux et la sortie de la zone euro ne sont absolument pas désirables, notamment parce que mesures risqueraient de dégrader sans nécessité l’activité économique. Par contre, le gouvernement doit s’attaquer au problème des prêts non performants, notamment via des recapitalisations, afin que les banques puissent de nouveau jouer efficacement leur rôle d’intermédiaires ; des réformes structurelles devraient être adoptées pour stimuler la croissance potentielle et inciter les entreprises à réduire leurs prix à l’exportation ; même si le ratio d’endettement public est élevé, la politique budgétaire doit être assouplie pour financer la recapitalisation des banques, pour stimuler la croissance de court terme en renforçant la demande globale et pour compenser les effets adverses des réformes structurelles à court terme.
Références