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2 août 2018 4 02 /08 /août /2018 15:01
Aux sources du cycle d’affaires

Pour expliquer les cycles d’affaires, les économistes ont très souvent favorisé des récits ou des modèles où les fluctuations sont générées par une unique source de « chocs » : les monétaristes et les nouveaux classiques mettent l’accent sur les chocs monétaires ; les théoriciens des cycles d’affaires réels (real business cycles) sur les chocs technologiques, correspondant aux variations de la productivité globale des facteurs (PGF) ; les keynésiens sur la demande globale ; les nouveaux keynésiens sur les chocs de demande, mais dans un contexte de rigidités nominales ; Nicholas Bloom (2009) sur les chocs d’incertitude, etc.

Plusieurs études ont cherché à identifier quel est le modèle le plus pertinent, quelle est la nature du choc qui semble impulser le cycle d’affaires. Par exemple, Jordi Galí (1999) a constaté que les chocs technologiques semblent pousser la productivité et l’emploi dans des directions opposées, que l’emploi diminue durablement suite à un choc technologique positif et que la productivité mesurée s’accroît temporairement suite à un choc de demande positif. Selon lui, ces constats empiriques amènent à rejeter les modèles de cycles d’affaires réels, mais ils peuvent facilement être reproduits dans un modèle nouveau keynésien, caractérisé par une concurrence monopolistique et des prix visqueux. Partant de l’observation que les cycles d’affaires aux Etats-Unis au cours des trois dernières décennies ont été caractérisés par des chocs technologiques contracycliques, Beaudry et Portier (2014) pensent également que les modèles de cycles d’affaires réels ne peuvent expliquer ces cycles d’affaires. D’un autre côté, ces derniers sont également caractérisés par une inflation constante. Ce dernier constat ne colle pas avec les modèles nouveaux keynésiens où les chocs de demande négatifs se traduisent par des pressions déflationnistes et les chocs de demande positifs par des pressions inflationnistes. De leur côté, Michal Andrle, Jan Brůha et Serhat Solmaz (2013, 2016) notent en étudiant la zone euro, puis l’ensemble des pays développés, que le cycle d’affaires semble tiré par un unique facteur et que la tendance de la production réelle et de l’inflation à varier dans le même sens (à la fréquence du cycle d’affaires) amène à penser qu’il s’agit de la demande globale.

A travers un modèle autorégressif vectoriel, George-Marios Angeletos, Fabrice Collard et Harris Dellas (2018) se sont récemment penchés sur l’évolution de plusieurs variables macroéconomiques clés, en l’occurrence le chômage, le PIB, la consommation, l’investissement, le nombre total d’heures travaillées, la productivité du travail, la PGF ajustée en fonction de l’utilisation des capacités de production, la part du revenu rémunérant le travail, l’inflation et le taux des fonds fédéraux. Ils ont cherché à identifier le choc qui contribue le plus à la volatilité de ces variables aux fréquences du cycle d’affaires. Une fois ce choc identifié, ils se sont appuyés sur ses propriétés empiriques pour évaluer la pertinence de plusieurs modèles.

Il apparaît que le choc qui explique l’essentiel du cycle d’affaires explique peu la variation à long terme de la production, de l’investissement, de la consommation et de la productivité du travail. Symétriquement, le choc qui explique l’essentiel de la volatilité à long terme d’une quelconque de ces variables contribue de façon négligeable au cycle d’affaires. Ce constat fait écho à ceux obtenus par Olivier Blanchard et Danny Quah (1989) et par Jordi Galí (1999), suggérant que le choc derrière la productivité et la production à long terme n’explique qu’une faible part des variations du chômage et des heures travaillées au cours du cycle d’affaires. Il amène à rejeter les modèles qui, à l’instar de celui de Paul Beaudry et Franck Portier (2006), expliquent les fluctuations de l’activité par les nouvelles quant à la croissance de la productivité à moyen ou long terme. Angeletos et ses coauteurs estiment plutôt que leur analyse est cohérente avec l’idée que le cycle d’affaires est impulsé par les changements dans les croyances des agents qui ne concernent pas la productivité et qui découlent des nouvelles quant aux perspectives économiques à court terme.

En outre, le choc qui explique l’essentiel du cycle d’affaires est déconnecté des variations de la PGF à chaque fréquence. Un tel constat amène à rejeter le modèle de base des cycles d’affaires réels à la Kydland et Prescott (1982), où les cycles d’affaires sont impulsés par des chocs technologiques, aussi bien que ses variantes qui introduisent d’autres chocs (notamment des chocs financiers et des chocs d’incertitude) pour expliquer les fluctuations de la PGF. Ce constat ne colle pas non plus avec les modèles nouveaux keynésiens, comme celui de Guido Lorenzoni (2009), qui expliquent les fluctuations de la demande globale par les révisions des anticipations des agents quant à l’évolution future de la productivité. 

La modélisation d’Angeletos et alii amène également à rejeter le modèle nouveau keynésien de base. En effet, selon ce dernier, les chocs de demande amènent la production à s’écarter de son potentiel et ces écarts influenceraient l’inflation. Or, le principal choc du cycle d’affaires est presque orthogonal à l’inflation à chaque fréquence. En effet, le principal choc qui explique l’essentiel de la variation du chômage n’explique qu’une faible part de la variation de l’inflation ; symétriquement, le choc qui explique l’essentiel de la variation de l’inflation n’explique qu’une faible part de la variation du chômage. Il y a également une déconnexion entre l’inflation et la part du revenu rémunérant le travail, qui est habituellement utilisée comme indicateur du coût marginal réel auquel les nouveaux keynésiens prêtent un rôle crucial dans leurs modèles. 

Bref, les données empiriques semblent ne pas coller avec les théories qui donnent un rôle proéminent aux fluctuations de la PGF, aux nouvelles à propos de la productivité à moyen ou long terme ou encore aux chocs de demande tels que les conçoivent les nouveaux keynésiens. Elles semblent plutôt accréditer les théories qui donnent le premier rôle aux fluctuations tirées par la demande, mais sans faire intervenir rigidités nominales, ni de courbes de Phillips. Au final, Angeletos et ses coauteurs notent que même le modèle DSGE le plus efficace ne contient pas le mécanisme de propagation dessiné par les constats empiriques. Toutefois, plusieurs modèles récents sont selon eux assez prometteurs : Angeletos et La’O (2013), Bai et alii (2017), Beaudry et alii (2018), Beaudry et Portier (2018), Benhabib et alii (2015) ou encore Ilut et Schneider (2014) ont précisément cherché à faire émerger des fluctuations tirées par la demande sans introduire de rigidités nominales ou de courbe de Phillips dans leur modélisation.

 

Références

ANDRLE, Michal, Jan BRŮHA & Serhat SOLMAZ (2013), « Inflation and output comovement in the euro area: Love at second sight? », FMI, working paper, n° 13/192.

ANDRLE, Michal, Jan BRŮHA & Serhat SOLMAZ (2016), « Output and inflation co-movement: An update on business-cycle stylized facts », FMI, working paper, n° 16/241.

ANGELETOS, George-Marios, Fabrice COLLARD & Harris DELLAS (2018), « Business cycle anatomy », NBER, working paper, n° 24875.

ANGELETOS, George-Marios, & Jennifer LA’O (2013), « Sentiments », in Econometrica, vol. 81, n° 2.

BAI, Yan, José-Vıctor RÍOS-RULL & Kjetil STORESLETTEN (2017), « Demand shocks as productivity shocks ».

BEAUDRY Paul, Dana GALIZIA & Franck PORTIER (2014), « Reconciling Hayek's and Keynes' views of recessions », NBER, working paper, n° 20101.

BEAUDRY, Paul, & Franck PORTIER (2006), « Stock prices, news, and economic fluctuations », in American Economic Review, vol. 96, n° 4.

BEAUDRY, Paul, & Franck PORTIER (2014), « Understanding noninflationary demand-driven business cycles », in NBER Macroeconomics Annual, vol. 28, n° 1.

BEAUDRY, Paul, & Franck PORTIER (2018), « Real Keynesian models and sticky prices », NBER, working paper, n° 24223.

BENHABIB, Jess, Pengfei WANG & Yi WEN (2015), « Sentiments and aggregate demand fluctuations », in Econometrica, vol. 83, n° 2.

BLANCHARD, Olivier J., & Danny QUAH (1989), « The dynamic effects of aggregate demand and supply disturbances », in American Economic Review, vol. 79, n° 4.

BLOOM, Nicholas (2009), « The impact of uncertainty shocks », in Econometrica, vol. 77, n° 3.

GALÍ, Jordi (1999), « Technology, employment, and the business cycle: Do technology shocks explain aggregate fluctuations? », in American Economic Review, vol. 89, n° 1.

ILUT, Cosmin, & Martin SCHNEIDER (2014), « Ambiguous business cycles », in American Economic Review, vol. 104, n° 8.

KYDLAND, Finn E., & Edward C. PRESCOTT (1982), « Time to build and aggregate fluctuations », in Econometrica, vol. 50, n° 6.

LORENZONI, Guido (2009), « A theory of demand shocks », in American Economic Review, vol. 99, n° 5.

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