Ces dernières décennies ont été marquées par un véritable mouvement de désinflation : l’inflation et sa volatilité ont eu tendance à diminuer à partir du milieu des années quatre-vingt dans les pays développés, puis à partir du milieu des années quatre-vingt-dix dans les pays émergents et en développement. Diverses explications ont été proposées. Elles mettent notamment l’accent sur la mondialisation, sur l’essor des exportations de produits à bas coûts en provenance des pays émergents, sur la plus grande crédibilité des banques centrales dans la lutte contre l’inflation, etc.
En outre, de plus en plus d’études suggèrent que les taux d’inflation nationaux sont assez synchronisés entre eux ; c’est le cas de celle de Hakkio (2009) et de celle réalisée par Ciccarelli et Mojon (2010). Mais ces études ne s’appuient souvent que sur des échantillons restreints, en l’occurrence aux seuls pays développés. Jongrim Ha, Ayhan Kose et Franziska Ohnsorge (2019) ont récemment cherché à déterminer dans quelle mesure les taux d’inflation nationaux sont synchronisés au niveau mondial, mais en étudiant un large échantillon de pays, comprenant 25 pays développés et 74 pays émergents et en développement sur la période allant de 1970 à 2017. Leur analyse aboutit à cinq grands résultats.
Premièrement, Ha et ses coauteurs identifient bel et bien une composante mondiale dans les taux d’inflation, mais elle dépend du degré de développement des pays. Celle-ci explique 12 % de la variation des taux d’inflation nationaux sur la période allant de 1970 à 2017. Elle est plus importante (24 %) pour le pays développé médian, moins importante (10 %) dans le pays émergent médian et négligeable pour le pays à faible revenu médian.
Deuxièmement, la contribution de la composante mondiale à la variation de l’inflation était plus grande entre 1970 et 1985, c’est-à-dire au cours d’une période émaillées par deux chocs pétroliers et deux récessions mondiales), qu’entre 1986 et 2000 (cf. graphique). Les taux d’inflation se sont davantage synchronisés à partir de 2001, notamment dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008, puis du contre-choc pétrolier de 2014-2016. Au cours de cette dernière période, la composante mondiale de l’inflation a expliqué 22 % de l’inflation nationale dans l’échantillon de pays développés. Ces résultats contrastent avec ceux obtenus par les précédentes études, qui ne mettaient pas en évidence une hausse du degré de synchronisation au cours de la période récente.
GRAPHIQUE Contribution du facteur mondial à l’inflation (en %)
Troisièmement, les taux d’inflations nationaux se révèlent être davantage synchronisés que les taux de croissance de la production. Par exemple, depuis 2001, la contribution médiane du facteur mondial à la variation des taux de croissance de la production s’élevait à 12 %, soit près de deux fois moins que la contribution du facteur mondial à la variation des taux d’inflation.
Quatrièmement, outre une synchronisation au niveau mondial, il y a également une synchronisation des taux d’inflation au niveau de groupes de pays en particulier. Tout comme la synchronisation au niveau mondial, cette synchronisation régionale s’est accentuée après 2000.
Cinquièmement, la synchronisation de l’inflation se manifeste sur un nombre croissant d’indicateurs. Sur la période allant de 1970 à 1985, l’ampleur de la synchronisation de l’inflation n’apparaissait clairement que pour des indicateurs d’inflation donnant un poids important aux biens et services échangeables ; plus récemment, elle a été mise en évidence pour tous les indicateurs d’inflation.
Ha et ses coauteurs évoquent les différentes raisons susceptibles d'expliquer la synchronisation mondiale des taux d’inflation domestiques. Tout d’abord, celle-ci peut découler de l’existence de chocs communs, qui se diffusent pareillement et simultanément aux pays. Par exemple, les chocs touchant les prix des matières premières ou les chocs de demande aux origines des récessions mondiales peuvent fortement affecter le comportement des inflations domestiques, et ce dans le même sens. De même, une récession dans une grande économie risque d’avoir des répercussions sur l’activité et l’inflation de ses partenaires à l’échange [Huidrom et alii, 2017].
Plusieurs études ont mis l’accent sur les politiques monétaires nationales. D’une part, plusieurs banques centrales peuvent chercher à se coordonner ou à coopérer. D’autre part, si elles adoptent le même cadre de politique monétaire, elles auront tendance à se comporter similairement face aux chocs mondiaux. Par exemple, les banques centrales ont de plus en plus cherché à cibler un faible taux d’inflation à partir des années quatre-vingt-dix ; adoptant les mêmes objectifs, elles ont eu plus de chances de se comporter de la même façon.
Enfin, la synchronisation mondiale de l’inflation peut s’expliquer par des changements structurels. Par exemple, ces dernières décennies ont été marquées par un vague de mondialisations commerciale et financière, ce qui a pu contribuer à transmettre plus facilement des chocs d’un pays à l’autre. Un resserrement des liens commerciaux accroît l’exposition d’un pays aux chocs étrangers, si bien que l’inflation domestique devient plus sensible aux chocs touchant les prix à l’importation [Bianchi et Civelli, 2015]. Récemment, beaucoup d’études ont mis l’accent sur le rôle qu’a pu jouer l’apparition de chaines de valeur mondiales dans le sillage de la décomposition internationale des processus productifs [Auer et alii, 2017].
Cette plus grande synchronisation des taux d’inflation domestiques n’est pas sans affecter la mise en œuvre de la politique monétaire. Plusieurs banquiers centraux, notamment Ben Bernanke (2007), Mark Carney (2015) et Mario Draghi (2015) ont notamment souligné la nécessité pour les banques centrales de tenir compte de l’environnement international dans leurs décisions. Si l’inflation domestique dépend de plus en plus de facteurs extérieurs, alors les canaux de transmissions de la politique monétaire s’affaiblissent, si bien qu’il pourrait être de plus en plus nécessaire que les autorités budgétaires participent à la stabilisation de l’activité domestique. D’autre part, cette perte d’efficacité des politiques monétaires domestiques prises isolément plaide pour une plus forte coopération entre les banques centrales.
Références
BERNANKE, Ben (2007), « Globalization and monetary policy », discours prononcé à Stanford.
DRAGHI, Mario (2015), « Global and domestic inflation », discours prononcé à l’Economic Club of New York. Traduction française, « Inflation mondiale et inflation intérieure ».