Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
18 juin 2019 2 18 /06 /juin /2019 15:27
La libéralisation du commerce extérieur promeut-elle la croissance économique ?

Des années cinquante aux années quatre-vingt, la plupart des pays en développement cherchaient à restreindre les importations, voyant notamment la concurrence étrangère comme un possible frein à leur développement économique. Ces restrictions passaient notamment par l’adoption de droits de douane élevés, de quotas à l’importation, de taux de change multiples, etc. Rares étaient les pays qui s’engageaient dans des réformes visant à libéraliser leur commerce extérieur, c’est-à-dire qui réduisaient unilatéralement leurs barrières à l’échange ; ce fut toutefois le cas de Taïwan entre 1958-1962, de la Corée du Sud entre 1964 et 1968 ou encore du Chili entre 1974 et 1979. 

GRAPHIQUE 1  Nombre de pays entreprenant des réformes commerciales

La libéralisation du commerce extérieur promeut-elle la croissance économique ?

source : Irwin (2019), d’après Sachs et Warner (1995) et Wacziarg et Welch (2008)

Durant la décennie qui suivit 1985, les pays en développement connurent une vague de réformes commerciales, très souvent parce qu’ils cherchaient plus largement à libéraliser l’ensemble de leurs marchés. Ce fut tout particulièrement le cas des anciens pays du bloc communiste qui amorcèrent leur transition vers l’économie de marché au début des années quatre-vingt-dix (cf. graphique 1). En conséquence de ces réformes commerciales, les droits de douane chutèrent régulièrement durant les années quatre-vingt, puis plus rapidement au début des années quatre-vingt-dix, pour ensuite continuer de baisser, mais plus lentement (cf. graphique 2). Selon Will Martin et Francis Ng (2004), les droits de douane moyens pondérés dans les pays en développement passèrent de 30 % à 11 % entre 1983 et 2003 et les trois quarts de cette baisse découlent des libéralisations commerciales que ces pays opérèrent.

GRAPHIQUE 2  Droits de douane moyens non pondérés dans les pays développés et dans les pays en développement (en %)

La libéralisation du commerce extérieur promeut-elle la croissance économique ?

source : Irwin (2019)

Les grandes institutions internationales comme la Banque mondiale et le FMI soutinrent de telles réformes. Certes, leurs appels peuvent être confortés par un raisonnement économique standard : d’une part, l’accroissement de la concurrence auxquelles font face les entreprises domestiques suite à la baisse des barrières à l’échange les incite à être plus efficaces, par exemple à réduire leurs prix de ventes, donc leurs coûts, à différentier leur offre et à innover ; d’autre part, la réduction des barrières à l’échange permet aux entreprises domestiques d’importer davantage de biens de production, moins chers, ce qui leur permet de réduire leurs coûts de production, de bénéficier d’intrants de meilleure qualité et de disposer de technologies plus performantes. Mais, même au début des années quatre-vingt, tous les économistes, et en premier lieu Dani Rodrik (1992), ne partagèrent pas l’optimisme des institutions internationales : après tout, ce n’est pas parce que des gains d’efficience sont possibles que la croissance économique s’en trouvera forcément stimulée. Ces doutes ont contribué à susciter une vague de travaux empiriques.

Dans les années quatre-vingt-dix, plusieurs études, comme celles de David Dollar (1992), Jeffrey Sachs et Andrew Warner (1995) et Sebastian Edwards (1998) mirent en avant des preuves empiriques suggérant que l’ouverture au commerce extérieur était associée à de meilleures performances économiques. Quelques années plus tard, Francesco Rodriguez et Dani Rodrik (2000) réalisèrent une importante revue de la littérature qui les amena toutefois à conclure que « la relation entre politique commerciale et croissance économique reste une question ouverte » et « est loin d’être établie sur des bases empiriques », notamment parce que les études qu’ils recensent ne sont pas sans souffrir de fragilités méthodologiques.

Près de deux décennies après l’étude de Rodriguez et Rodrik, Douglas Irwin (2019) a jugé opportun de réexaminer le lien empirique entre libéralisations commerciales et croissance économique, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, les diverses études qui étaient disponibles lorsque Rodriguez et Rodrik réalisèrent leur revue de la littérature s’appuyaient sur des échantillons de données n’allant pas plus loin que le début des années quatre-vingt-dix, si bien qu’elles manquaient de recul pour pleinement saisir les effets de moyen et long terme des réformes majeures qui furent mises en place au début de cette décennie pour libéraliser le commerce extérieur. Deuxièmement, de nombreux pays qui étaient jusqu’alors des économies relativement fermées, comme la Chine, l’Inde, le Vietnam, le Cambodge et le Bangladesh ont depuis adopté des réformes pour s’ouvrir au commerce international. Troisièmement, les études qui ont été réalisées ces deux dernières décennies se sont basées sur des méthodes empiriques plus solides. Elles ont notamment moins cherché à réaliser des comparaisons entre pays pour davantage observer les effets que des réformes précises ont eus sur les économies où elles furent mises en œuvre.

Sans examiner le lien entre niveau des barrières commerciales et croissance économique, ni l’impact distributionnel des réformes commerciales (notamment sur les inégalités de revenu), Irwin a passé en revue trois ensembles de récents travaux qui ont cherché à déterminer comment les réformes commerciales affectent la croissance économique des pays qui les mettent en œuvre : les régressions transnationales se focalisant sur la croissance au sein des pays [Wacziarg et Welch, 2008 ; Estevadeordal et Taylor, 2013 ; Winters et Masters, 2013], les méthodes de contrôle synthétique portant sur des réformes spécifiques [Billmeier et Nannicini, 2011 ; Billmeier et Nannicini, 2013] et les études cherchant à déceler les canaux via lesquels la réduction des barrières à l’échange sont susceptibles d’accroître la productivité dans des pays en particulier comme le Chili, l’Indonésie, l’Inde et la Chine [Pavcnik, 2002 ; Amiti et Konings, 2007 ; Topalova et Khandelwal, 2011 ; Brandt et alii, 2017]. Ces travaux suggèrent que les réformes commerciales qui réduisent significativement les droits de douane sur les importations ont en moyenne un impact positif sur la croissance économique, mais il y a une très forte hétérogénéité d’un pays à l’autre. Le constat empirique obtenu au niveau plus microéconomique selon lequel la baisse des droits de douane sur les biens intermédiaires entraîne une meilleure productivité des producteurs de biens finaux domestiques est plus robuste.

Pour Irwin, celle conclusion rejoint deux autres constats auxquels ont aboutissent les récentes études. D’une part, beaucoup d’études avaient suggéré l’absence de convergence entre les pays : les pays les plus pauvres ne semblaient pas connaître forcément une croissance plus rapide que les pays les plus riches ; ils peuvent connaître une convergence, mais vis-à-vis de pays aux caractéristiques similaires. Or Dev Patel, Justin Sandefur et Arvind Subramanian (2018) ont mis en avant des preuves empiriques robustes suggérant qu’une convergence inconditionnelle des revenus entre les pays est à l’œuvre depuis 1990, et de façon marquée depuis 1995. D’autre part, alors que les études antérieures peinaient à mettre en évidence un lien significatif entre les réformes économiques et les performances économiques, des études plus récentes, comme celles de William Easterly (2018), constatent que les performances économiques et l’élaboration même des politiques économiques se sont considérablement améliorées depuis les années quatre-vingt-dix, mais aussi qu’elles sont plus étroitement corrélées.

 

Références

AMITI, Mary, & Jozef KONINGS (2007), « Trade liberalization, intermediate inputs, and productivity: Evidence from Indonesia », in American Economic Review, vol. 97.

BILLMEIER, Andreas, & Tommaso NANNICINI (2011), « Economies in transition: How important is trade openness for growth? », in Oxford Bulletin of Economics and Statistics, vol. 73. 

BILLMEIER, Andreas, & Tommaso NANNICINI (2013), « Assessing economic liberalization episodes: A synthetic control approach », in Review of Economics and Statistics, vol. 95.

BRANDT, Loren, Johannes Van BIESEBROECK, Luhang WANG & Yifan ZHANG (2017), « WTO accession and performance of Chinese manufacturing firms », in American Economic Review, vol. 107.

DOLLAR, David (1992), « Outward-oriented developing economies really do grow more rapidly: Evidence from 95 LDCs, 1976–1985 », in Economic Development and Cultural Change, vol. 40.

EASTERLY, William (2018), « In search of reforms for growth: New stylized facts on policy and growth outcomes », New York University.

EDWARDS, Sebastian (1998), « Openness, productivity, and growth: What do we really know? », in Economic Journal, vol. 108.

ESTEVADEORDAL, Antoni, & Alan M. TAYLOR (2013), « Is the Washington consensus dead? Growth, openness, and the Great Liberalization, 1970s–2000s », in Review of Economics and Statistics, vol. 95.

IRWIN, Douglas A. (2019), « Does trade reform promote economic growth? A review of recent evidence », PIIE, working paper, n° 19-9.

MARTIN, Will, & Francis NG (2004), « A note on sources of tariff reductions in developing countries, 1983–2003 », Banque mondiale.

PATEL, Dev, Justin SANDEFUR, & Arvind SUBRAMANIAN (2018), « Everything you know about cross-country convergence is wrong », Center for Global Development.

PAVCNIK, Nina (2002), « Trade liberalization, exit, and productivity improvements: Evidence from Chilean plants », in Review of Economic Studies, vol. 69.

RODRÍGUEZ, Francesco, & Dani RODRIK (2000), « Trade policy and growth: A skeptic’s guide to the cross-national evidence », in NBER Macroeconomic Annual 2000.

RODRIK, Dani (1992), « The limits of trade policy reform in developing countries », in Journal of Economic Perspectives, vol. 6.

SACHS, Jeffrey D., & Andrew WARNER (1995), « Economic reform and the process of global integration », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 1995, n° 1.

TOPALOVA, Petia, & Amit K. KHANDELWAL (2011), « Trade liberalization and firm productivity: The case of India », in Review of Economics and Statistics, vol. 93.

WACZIARG, Romain, & Karen Horn WELCH (2008), « Trade liberalization and growth: New evidence », in World Bank Economic Review, vol. 22.

WINTERS, L. Alan, & Andrew MASTERS (2013), « Openness and growth: Still an open question?  », in Journal of International Development, vol. 25.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher