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27 septembre 2019 5 27 /09 /septembre /2019 15:26
A la recherche du cycle mondial

Depuis les années quatre-vingt-dix, les économistes ont multiplié les études empiriques pour tenter de mettre à jour l’existence d’un cycle d’affaires et d’un cycle financier au niveau mondial. Pour Eric Monnet et Damien Puy (2019), trois conclusions semblent avoir émergé de cette littérature et faire l’objet d’un relatif consensus. Tout d’abord, il existerait effectivement des cycles à l’œuvre à l’échelle mondiale et ceux-ci trouveraient essentiellement leur origine aux Etats-Unis. De plus, ces cycles mondiaux auraient des effets particulièrement importants sur les variables réelles et financières. Enfin, ils auraient tendance à se renforcer. Autrement dit, le cycle d’affaires et le cycle financier à l’œuvre dans un pays donné tendraient de plus en plus à se synchroniser avec ceux des autres pays, en l’occurrence du fait de la mondialisation à partir des années quatre-vingt. Si c’est le cas, les autorités en charge de la politique économique auraient perdu en autonomie : elles auraient de plus en plus de difficultés à influencer les variables domestiques.

C’est notamment ce que concluait Hélène Rey (2013) en rejetant le triangle des incompatibilités de la finance internationale : lorsque les capitaux circulent librement, le flottement du taux de change ne garantit pas l’indépendance de la politique monétaire. Parce qu’il existe un cycle financier mondial, étroitement lié à la politique monétaire de la Réserve fédérale, les autres banques centrales, en particulier celles des pays émergents, ne peuvent retrouver la pleine autonomie de leur politique monétaire qu’au prix d’un contrôle des capitaux.

Puy et Monnet estiment toutefois que cette littérature souffre de plusieurs limites. Premièrement, elle a tendance à se focaliser sur les seuls pays développés. Deuxièmement, les données qu’elle analyse concerne une période restreinte, en l’occurrence postérieure aux années quatre-vingt-dix. Troisièmement, elle se focalise davantage sur les prix, en particulier les prix d’actifs, plutôt que sur les quantités, comme le volume de la production.

Les deux économistes ont alors cherché à mettre en évidence des cycles mondiaux en utilisant une nouvelle base de données trimestrielles du FMI relatives à la production, à l’inflation, au crédit et aux prix d’actifs concernant un large échantillon de pays développés et émergents depuis 1950. Leur analyse confirme que les cycles mondiaux, aussi bien réels que financiers, existent. Les cycles mondiaux trouvent généralement leur origine dans des chocs touchant les Etats-Unis : il peut notamment s’agir de chocs monétaires, budgétaires et d’incertitude, et ce aussi bien pour le cycle économique que pour le cycle financier. 

Mais Monnet et Puy remettent aussi en question plusieurs idées qui font selon eux consensus dans la littérature. Tout d’abord, lorsqu’ils cherchent à quantifier l’importance des cycles mondiaux, leur analyse les amène certes à conclure que les cycles mondiaux ont été une source importante de volatilité pour les variables domestiques suite à la Seconde Guerre mondiale, mais aussi que l’importance des cycles mondiaux varie fortement selon la période, l’économie ou la variable considérée. Généralement, la part de la variance des variables domestiques qui se trouve expliquée par la dynamique mondiale tend à chuter une fois que sont écartées de l’échantillon étudiée les événements extrêmes comme les chocs pétroliers des années soixante-dix et la crise financière mondiale des années 2008-2009. En temps normal, le cycle d’affaires mondial a un faible impact sur la production domestique. En définitive, les cycles mondiaux n’ont réellement un impact que sur les pays développés et les prix d’actifs. 

Monnet et Puy remettent également en question l’idée que la synchronisation se soit accentuée au fil des décennies. Certes, leur analyse suggère qu’une synchronisation a effectivement été à l’œuvre pour l’inflation et les prix d’actifs, mais qu’elle ne l’a pas été pour la production et le crédit. Les cycles de la production et le cycle du crédit étaient aussi puissants durant la période de mondialisations commerciale et financière, entre 1984 et 2006, que durant l’ère de Bretton Woods, entre 1950 et 1972. Pour la plupart des pays, la sensibilité de la production domestique vis-à-vis de la production du reste du monde semble avoir bien peu varié au cours des sept dernières décennies. 

Ces résultats amènent Monnet et Puy à chercher à comprendre pourquoi la synchronisation de la production est restée stable. Selon leur analyse, cette stabilité résulte de deux forces agissant en sens opposés. D’un côté, un approfondissement de l’intégration commerciale tend à synchroniser davantage la production domestique avec le cycle mondial. D’un autre côté, une poursuite de l’intégration financière tend à désynchroniser la production domestique du cycle mondial. Ce n’est que lors de la crise financière mondiale que les pays les plus financièrement ouverts ont connu une plus forte synchronisation de leur production avec le cycle mondial.

Monnet et Puy concluent en tirant les implications de leurs constats en termes de politique économique. Ils soulignent qu’un faible niveau d’intégration financière ne garantit pas en soi que les cycles soient peu corrélés entre eux. Durant l’ère de Bretton Woods, les économies étaient déjà affectées par les cycles mondiaux, alors même que des contrôles de capitaux étaient en vigueur et que les systèmes financiers étaient fortement réglementés. Réciproquement, un niveau élevé d’intégration financière n’implique pas toujours une plus forte corrélation de la production : à long terme, surtout si on ne se focalise pas sur la seule crise financière mondiale, il apparaît que l’intégration financière internationale a eu tendance à réduire la corrélation des productions au niveau mondial. Enfin, le fait qu’il y ait une forte corrélation entre les prix d’actifs, mais qu’une faible corrélation entre les principales cibles de la politique économique, notamment le production et le crédit, suggère que la politique économie dispose davantage d’autonomie qu’on a désormais tendance à le penser.

 

Références

MONNET, Eric, & Damien PUY (2019), « One ring to rule them all? New evidence on world cycles », FMI, working paper, n° 19/202.

REY, Hélène (2013), « Dilemma not trilemma: The global financial cycle and monetary policy independence », présenté à Jackson Hole, 24 août.

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