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6 février 2020 4 06 /02 /février /2020 11:58
Quel est le coût politique des réformes structurelles ?

Depuis les années quatre-vingt, les gouvernements, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement, sont régulièrement appelés à adopter des « réformes structurelles » pour stimuler la croissance et l’emploi à long terme : celles-ci désignent diverses mesures allant de la déréglementation des marchés des produits et du secteur financier à la flexibilisation des marchés du travail, en passant par l’ouverture des économies au commerce mondial ou aux flux de capitaux étrangers. 

Toute une littérature tend à considérer que ces réformes, en l’occurrence les déréglementations, ont pour principal effet de réduire et de redistribuer les rentes [Blanchard et Giavazzi, 2003]. Par exemple, si les marchés des produits sont fortement réglementés, les entreprises en place jouiront de profits élevés et s’inquièteront peu à l’idée d’être concurrencées par de nouvelles rivales ; une déréglementation des marchés des produits les pousse alors à réduire leurs prix, à diversifier leur offre et notamment à innover, ce qui bénéficie à court terme au consommateur et à long terme à l’ensemble de l’économie en stimulant le progrès technique et la croissance économique. De même, si le marché du travail est fortement réglementé, c’est-à-dire s’il est complexe et coûteux pour les entreprises d’embaucher et de licencier, les travailleurs jouiront d’un pouvoir de négociation élevé, mais celui-ci ne bénéficiera en définitive qu’aux « insiders », c’est-à-dire aux travailleurs en emploi, qui négocieront des salaires élevés au détriment des chômeurs, les « outsiders », dont  les rangs grossiront et dont les chances d’être embauchés diminueront ; dans cette optique, une déréglementation du marché du travail inciterait les entreprises à embaucher et donc à produire davantage, notamment parce qu’elles gagneraient ainsi en compétitivité. Dans les deux cas, la réduction des rentes permet à l’économie de gagner en efficacité et la croissance s’en trouve stimulée. 

Mais même si une réforme se révèle bénéfique à long terme pour la collectivité sans son ensemble, elle risque de nuire à certains et notamment d’augmenter le chômage à court terme. Andrea Bassanini et Federico Cingano (2018) constatent, en observant des pays de l’OCDE, que les réformes réduisant les barrières à l’entrée sur les marchés des produits et les coûts de licenciement sur le marché du travail réduisent à court terme l’emploi, en particulier lors des récessions : la déréglementation des marchés des produits pousse certainement les firmes à vouloir réduire leurs coûts, notamment leur masse salariale, si bien qu’elles peuvent profiter de la baisse des coûts de licenciement, non pas pour embaucher, mais bien pour licencier. De leur côté, en étudiant les réformes des marchés des produits et du travail dans 26 pays développés, Romain Duval et Davide Furceri (2018) concluent que les réformes des marchés des produits accroissent à long terme la productivité et la production, mais que ce gain ne se matérialise que graduellement. Quant à l’impact des réformes du marché du travail, il dépend particulièrement du cycle d’affaires : la réduction de la protection de l’emploi et de la générosité de l’indemnisation du chômage nuit particulièrement à l’activité lorsque cette dernière est déprimée, dans la mesure où la réduction de l’indemnisation du chômage comprime davantage la consommation et où le manque de débouchés incite, de nouveau, les entreprises à profiter de la baisse des coûts de licenciement pour licencier. Les réductions des coins fiscaux et les programmes de formation semblent particulièrement stimuler l’activité, mais peut-être parce qu’ils s’accompagnent généralement d’une relance budgétaire. Les études portant sur les autres types de réformes aboutissent également à des résultats nuancés : par exemple, les réformes libéralisant les mouvements de capitaux semblent avoir des gains limités, mais creusent significativement les inégalités [Furceri et alii, 2019]. En définitive, il apparaît donc opportun d’adopter des réformes structurelles lorsque l’économie est en expansion, voire d’accompagner leur mise en œuvre d’une relance budgétaire ou monétaire, non seulement pour en réduire les effets négatifs sur l’activité et l’emploi à court terme, mais aussi par là même pour mieux les faire accepter par la population.

En effet, dès lors que les gains et les coûts d’une réforme sont inégalement répartis dans la population, ceux qui se perçoivent comme perdants peuvent se mobiliser pour faire pression sur les gouvernements afin qu’ils abandonnent ou allègent leurs réformes [Olson, 1971]. Ils risquent en outre de sanctionner les gouvernements réformateurs lors des élections. Les réformes structurelles peuvent donc avoir un coût politique pour le gouvernement en place, ce qui influence par conséquent certainement le rythme et le contenu des réformes, or ce lien a été très peu exploré par la littérature. De nombreux travaux ont cherché à relier les résultats électoraux à l’état de la conjoncture et ceux-ci ont suggéré que les gouvernements en place tendaient à être réélus lorsque l’économie est en expansion et à perdre les élections lors des récessions. Mais il y a par contre très peu de travaux cherchant précisément à déterminer les répercussions électorales des réformes structurelles.

Dans les études qui font exception, Marco Buti et alii (2010) ont cherché à identifier les conséquences politiques des réformes structurelles en observant un échantillon de 21 pays de l’OCDE sur la période allant de 1985 à 2003. Leur analyse suggère que les chances de réélection des gouvernements en place ne sont pas significativement affectées par les libéralisations qu’ils ont pu mettre en œuvre. Pour autant, l’impact électoral d’une réforme dépend de sa nature : par exemple, les réformes semblent d’autant plus coûteuses pour le gouvernement en place que le nombre d’« insiders » auxquels elles nuisent est important. Buti et ses coauteurs suggèrent que certains pays pourraient être d’ailleurs piégés dans une « trappe à rigidité » : les gouvernements procédant à des réformes de libéralisations dans des pays où la réglementation des marchés des produits et du travail est très stricte tendraient à être particulièrement sanctionnés lors des élections, ce qui pourrait en définitive désinciter les gouvernements à assouplir la réglementation. 

Dans deux nouvelles études, Gabriele Ciminelli et alii (2019) et Alberto Alesina et alii (2020) ont cherché à identifier les répercussions électorales des réformes des marchés du travail, des déréglementations des marchés des produits, des ouvertures du commerce extérieur, des déréglementations financières et des ouvertures financières dans 90 pays développés en en développement sur la période allant de 1973 à 2014. Leur analyse suggère qu’en termes de coût politique, le calendrier des réformes structurelles apparaît important à deux niveaux : leurs répercussions électorales dépendent de la position dans le cycle d’affaires où se situe l’économie lorsqu’elles sont mises en œuvre, mais aussi de la position dans le cycle électoral. Malgré leur apparent bénéfice économique, les réformes libérales sont coûteuses pour les gouvernements lorsque ces derniers les adoptent à la veille d’élections : la part des suffrages du principal parti au pouvoir décline dans le sillage des réformes structurelles lors des années élections, mais il n’y a pas un tel coût politique lorsque les réformes sont mises en œuvre plus tôt au cours du cycle électoral. Pour Alesina et ses coauteurs, ce coût politique pourrait s’expliquer par la lenteur avec laquelle les gains économiques se manifestent aux yeux des électeurs ou par le fait que ces derniers soient impatients : les électeurs ne prennent pas en compte le fait que les gains des réformes ne se manifestent pas immédiatement. Cela risque d’être d’autant plus le cas si les réformes ont coût économique à court terme, en se traduisant par exemple par une montée, même transitoire, du chômage.

De plus, les répercussions électorales des réformes structurelles dépendent de la conjoncture en vigueur lorsque ces dernières sont mises en œuvre : les déréglementations sont particulièrement sanctionnées lorsqu’elles sont adoptées durant des années d’élections marquées par une contraction de l’activité, mais elles ne sont pas sanctionnées et sont même parfois récompensées lorsqu’elles sont adoptées lors des expansions. Les données suggèrent à Alesina et à ses coauteurs que les électeurs attribuent en partie l’état conjoncturel de l’économie aux réformes. Autrement dit, si la conjoncture est mauvaise dans le sillage de l’adoption de réformes, ces dernières sont perçues comme en partie responsables de cette mauvaise conjoncture.

En définitive, il apparaît optimal pour un gouvernement de mettre en œuvre des réformes structurelles lorsqu’il débute son mandat et que l’économie est en expansion, afin d’en accroître le gain économique et d’en réduire le coût électoral. Or, les gouvernements adoptent l’essentiel de leurs réformes lorsque l’économie est en récession et le chômage élevé, c’est-à-dire lorsque le gain de la réforme en termes de croissance est le plus faible et le coût électoral le plus élevé [Dias da Silva et alii, 2017]. Pour Alesina et ses coauteurs, ce mauvais choix de calendrier s’explique certainement par les contraintes auxquelles sont soumis les gouvernements. Peut-être que les gouvernements prennent conscience de la nécessité de stimuler la croissance à long terme lorsque la croissance courante est faible ; ou peut-être pensent-ils que l’opposition aux réformes sera moins importante lorsque l’activité est déprimée et le chômage élevé.

Enfin, ces deux études ont cherché à voir si ces différents constats étaient affectés par la nature du système politique, le niveau de vie du pays et le secteur sur lequel porte la réforme. Elles suggèrent que les gouvernements sont davantage punis lors des élections lorsqu’ils sont issus d’un unique parti plutôt que d’une coalition, très certainement parce que la responsabilité apparaît partagée dans le second cas. De plus, ce sont les libéralisations financières qui semblent particulièrement coûteuses pour les gouvernements en place. Les répercussions électorales ne semblent guère varier selon que le système politique est majoritaire ou proportionnel ou selon que le pays est une vieille démocratie ou qu’il s’est récemment démocratisé. Enfin, les coûts politiques lors des années d’élections semblent plus élevés pour les pays en développement que pour les pays développés, mais la différence n’est pas statistiquement significative. 

 

Références

ALESINA, Alberto F., Davide FURCERI, Jonathan D. OSTRY, Chris PAPAGEORGIOU & Dennis P. QUINN (2020), « Structural reforms and elections: Evidence from a world-wide new dataset », NBER, working paper, n° 26720.

BASSANINI, Andrea, & Federico CINGANO (2018), « Before it gets better: The short-term employment costs of regulatory reforms », in International Labor Relations Review.

BLANCHARD, Olivier, & Francesco GIAVAZZI (2003), « Macroeconomic effects of regulation and deregulation in goods and labour markets », in Quarterly Journal of Economics, vol. 118, n° 3.

BUTI, Marco, Pietro BIROLI, Mathias THOENIG, Alesandro TURRINI, Paul VAN DEN NOORD & Ekaterina ZHURAVSKAYA (2010), « Reforms and re-elections in OECD countries », in Economic Policy, vol. 25, n° 61.

CIMINELLI, Gabriele, Davide FURCERI, Jun GE, Jonathan D. OSTRY & Chris PAPAGEORGIOU (2020), « The political costs of reforms: Fear or reality? », FMI, staff discussion paper, n° 19/08.

DIAS DA SILVA, Antonio, Audrey GIVONE & David SONDERMANN (2017), « When do countries implement structural reforms? », BCE, working paper, n° 2078.

DUVAL, Romain, & Davide FURCERI (2018), « The effects of labor and product market reforms: The role of macroeconomic conditions and policies », in IMF Economic Review, vol. 66, n° 1.

FURCERI, Davide, Prakash LOUNGANI & Jonathan D. OSTRY (2019), « The aggregate and distributional effects of financial globalization: Evidence from macro and sectoral data », in Journal of Money, Credit and Banking, vol. 51.

OLSON, Mancur (1971)The Logic of Collective Action: Public Goods and the Theory of Groups, Harvard University Press. Traduction française, La Logique de l'action collective.

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