Durant les années deux mille, l’économie chinoise croissait à un rythme annuel à deux chiffres. Depuis la crise financière mondiale, sa croissance a eu tendance à ralentir : elle est passée de 10 % à 6,6 % entre 2010 et 2018. Ce ralentissement tient fondamentalement à des raisons structurelles, comme l’épuisement du réservoir de main-d’œuvre peu qualifiée issue de l’exode rural, la tertiarisation de l’économie et le vieillissement démographique. Des facteurs conjoncturels ont notamment été à l’œuvre, comme la faiblesse de la reprise dans les pays développés, puis la guerre commerciale de Trump, qui ont pesé sur les exportations chinoises. Les autorités chinoises ont régulièrement cherché à stimuler l’activité à court terme, notamment en recourant à la relance budgétaire et en favorisant l’accès au crédit, au risque de compromettre la stabilité financière. Notamment pour cette dernière raison, beaucoup d’économistes ont par le passé régulièrement signalé l’imminence d’un « atterrissage brutal » de l’économie chinoise. Mais, même si l’on peut douter de la pleine fiabilité des données officielles de la comptabilité nationale chinoise [Fernald et alii, 2015 ; Chen et alii, 2019], la croissance chinoise semble être restée assez stable jusqu’à présent.
L’actuelle épidémie de coronavirus ranime les craintes d’un atterrissage brutal de l’économie. Il faut dire que le scénario d’une récession chinoise semble aujourd’hui particulièrement probable à très court terme : avec la panique entraînée par l’épidémie, puis les mesures adoptées par les autorités chinoises pour tenter de contenir la propagation du virus, les ménages ont fortement réduit leur consommation, certaines usines ont été fermées et celles qui restent ouvertes peuvent manquer de main-d’œuvre et éprouvent des difficultés à se fournir en biens intermédiaires.
GRAPHIQUE 1 Contribution de la Chine au PIB mondial et à sa croissance (en % et points de %)
Un ralentissement marqué de la croissance chinoise est susceptible d’avoir de bien plus amples répercussions sur l’économie qu’il n’en aurait eues au début du siècle. En effet, au cours des dernières décennies, non seulement l’économie chinoise a contribué à une part croissante de la production mondiale, mais ses liens avec le reste du monde se sont en outre renforcés [Bing et alii, 2019]. Premièrement, en termes de parités de pouvoir d’achat, la contribution de la Chine au PIB mondial dépasse celle des Etats-Unis depuis 2014. En 2018, elle contribuait à un cinquième du PIB mondial, contre 8 % en 2001 (cf. graphique 1). Depuis 2001, elle contribue à plus d’un point de pourcentage à la croissance mondiale (qui atteint 3,8 % par an en moyenne). Deuxièmement, elle contribue à une part significative du commerce international. Sa part dans les importations mondiales est passée de 3 % à 10 % entre son adhésion à l’OMC en 2001 et 2018 (cf. graphique 2). Aujourd’hui, elle constitue le deuxième plus gros importateur au monde. Elle contribue également à de nombreuses tâches de production des chaînes de valeur mondiales. Troisièmement, la Chine contribue à une part significative de la demande mondiale des matières premières. Par exemple, elle consomme environ la moitié des productions mondiales de cuivre, d’aluminium et d’acier et 14 % de la production mondiale de pétrole. Quatrièmement, la Chine est par contre relativement peu intégrée financièrement, en raison de ses contrôles des capitaux : ses parts dans les actifs et passifs mondiaux sont certes bien inférieures que ses contributions à la production mondiale et au commerce, mais elles ne sont pas non plus négligeables.
GRAPHIQUE 2 Part de la Chine dans les importations mondiales (en %)
Si l’économie chinoise connaissait un fort ralentissement de sa croissance économique, voire une récession, cela diminuerait de facto sa contribution à la croissance mondiale. Mais en outre, le ralentissement de la croissance chinoise affecterait la croissance du reste du monde, directement via la baisse des ses importations et de ses achats de matières premières et, dans une bien moindre mesure, via le canal financier [Bing et alii, 2019]. La baisse des achats chinois de matières premières va certes directement peser sur les exportations de pays producteurs de matières premières, mais elle pourrait bénéficier aux autres pays : si la demande chinoise chute, le prix des matières premières va également chuter, ce qui va certes amplifier l’impact négatif sur les pays exportateurs de matières premières, mais aussi bénéficier aux entreprises et ménages des pays importateurs de matières premières, en réduisant leurs coûts de production et en augmentant leur pouvoir d’achat. Une baisse permanente d’un point de pourcentage de la croissance chinoise se traduirait par une baisse de 7 % des prix du pétrole et de 8 % des prix des métaux industriels au cours de l’année suivante [Ghoshray et Pundit, 2016].
Il y a également des canaux plus indirects : un ralentissement de la croissance chinoise peut conduire à une hausse de l’incertitude et une chute de la confiance à travers le monde, ce qui peut non seulement directement peser sur l’investissement des entreprises étrangères, mais aussi provoquer une hausse de l’aversion au risque et des turbulences sur les marchés financiers, notamment en entraînant une hausse des primes de risque et un effondrement des cours boursiers, à nouveau au détriment de l’investissement. Malgré la faible intégration financière de l’économie chinoise, Shaghil Ahmed est ses coauteurs (2019) estiment qu’une crise financière sévère en Chine aurait d’importantes répercussions sur les Etats-Unis et sur l’ensemble de l’économie mondiale ; c’est ce qu’ont notamment suggéré l’épisode de la dévaluation du renminbi et des turbulences financières chinoises en 2015-2016.
Puisqu’il s’agit des principaux canaux de contagion, beaucoup d’études empiriques ont cherché à déterminer quelles seraient les répercussions d’un ralentissement de la croissance chinoise transition en se concentrant sur le commerce et les achats de matières premières [Gauvin et Rebillard, 2018 ; Kireyev et Leonidov, 2016]. Elargissant la focale, Davide Furceri et ses coauteurs (2016) avaient trouvé qu’une baisse d’un pourcent de la croissance chinoise était susceptible de retrancher de 0,25 % la croissance de la production des autres pays en 2014, contre 0,02 % en 1990.
D’après les simulations plus récentes réalisées par Xu Bing, Moritz Roth et Daniel Santabárbara (2019), la baisse permanente d’un point de pourcentage de la croissance annuelle de la Chine se traduirait aujourd’hui par une baisse de la croissance mondiale de 0,4 point de pourcentage. En l’occurrence, dans les pays développés, l’impact global sur le PIB serait inférieur à 0,3 point de pourcentage, dans la mesure où la baisse des prix des matières premières leur serait généralement bénéfique et compenserait ainsi en partie l’impact nocif de la chute de leurs exportations et des turbulences financières. Dans les pays en développement, l’impact sur la croissance du PIB serait de 0,5 point de pourcentage. Ce sont les pays producteurs de matières premières et les pays asiatiques qui en seraient les plus affectés.
Aujourd’hui, avec la propagation du coronavirus en Chine, certains craignent un fort ralentissement de la croissance mondiale. Certes, l’épidémie de SRAS en 2003 avait eu un effet transitoire sur la croissance chinoise, mais la Chine a aujourd’hui un poids deux fois plus important dans l’économie mondiale. En outre, les répercussions de l’épidémie et de sa gestion par les autorités chinoises peuvent également affecter l’activité du reste du monde par d’autres canaux qui ceux évoqués jusqu’à présent. En l’occurrence, avec la fermeture des usines chinoises, ce sont les chaînes de valeur internationales qui se retrouvent paralysées : de nombreux sites de production à travers le monde peuvent rapidement manquer de biens intermédiaires, les contraignant à réduire, voire arrêter, leur production à leur tour. Le tourisme chinoise a en outre chuté, or il constitue une importante source de revenus pour plusieurs pays en développement d'Asie.
Références