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27 mars 2022 7 27 /03 /mars /2022 16:05
La discrète érosion de la suprématie du dollar

Quatre décennies après l’écroulement du système de Bretton Woods, le dollar américain continue de jouer un rôle disproportionné dans le système monétaire international [Gourinchas, 2019 ; Ilzetzki et alii, 2019 ; Ilzetzki et alii, 2021b]. Il constitue, de loin, la principale devise utilisée pour régler les transactions commerciales, pour libeller les prêts, pour réaliser les activités bancaires transfrontalières, pour accumuler les réserves de change ou encore pour servir d’ancre aux autres monnaies. Le dollar reste la principale devise internationale alors même que la contribution de l’économie américaine à l’économie mondiale tend à diminuer. Le niveau exceptionnellement élevé atteint pas la dette publique des Etats-Unis n’a pas non plus ébranlé son statut. Il n’a guère été affecté par la crise financière mondiale, alors même que celle-ci a eu pour épicentre le système financier américain ; au contraire, sa part dans l’endettement international a même augmenté depuis. La création de la zone euro et l’essor de l’économie chinoise ont fait émerger deux possibles concurrents, mais aucun d’entre eux n’a détrôné le dollar.

Certains, comme Eswar Prasad (2014), estiment que le dollar « règne en maître par défaut », c’est-à-dire en raison de l’absence de sérieuse alternative. L’euro souffrirait notamment de l’offre limitée de titres publics de haute qualité émis par la zone euro susceptibles de jouer le rôle d’actifs sûrs pour les investisseurs financiers ou d’être utilisés par les banques centrales pour accumuler leurs réserves [Eichengreen et Gros, 2020 ; Ilzetzki et alii, 2021a]. L’usage du renminbi est notamment contraint par les contrôles des capitaux instaurés par la Chine [Prasad et Ye, 2013].

En se penchant sur l’évolution de la composition des réserves de change à travers le monde ces dernières décennies, Serkan Arslanalp, Barry Eichengreen et Chima Simpson-Bell (2022) décèlent toutefois bien une baisse régulière de la part du dollar américain dans les réserves internationales depuis le tournant du vingt-et-unième siècle. En effet, cette part a reculé de 12 points de pourcentage entre 1999 et 2021, en passant de 71 % à 59 % (cf. graphique).

GRAPHIQUE  Composition en devises des réserves de change étrangères à travers le monde (en %)

La discrète érosion de la suprématie du dollar

source : Arslanalp et alii (2022)

Sa baisse n’a pas eu pour contrepartie une hausse de la part de l’euro, de la livre sterling et du yen, les trois autres devises qui ont joué par le passé un rôle majeur dans le système financier international : c’est la part des devises de réserve non traditionnelles qui a significativement augmenté, en passant d’un niveau négligeable en 1999 à 10 % en 2021. En l’occurrence, le recul du dollar dans les réserves de change s’expliquerait pour un quart par l’essor du renminbi et pour les trois quarts restants par celui d’autres devises de réserves non traditionnelles.

En creusant davantage, Arslanalp et ses coauteurs concluent que la baisse de la part du dollar dans les réserves internationales ne résulte pas des variations des taux de change ou des taux d’intérêt ; les gestionnaires des réserves tendent à compenser ces fluctuations en rééquilibrant leurs portefeuilles de façon à restaurer leur composition antérieure. La baisse de la part du dollar dans les réserves de change ne résulte pas non plus de l’accumulation de réserves par une poignée de banques centrales qui seraient dotées d’un large bilan et qui nourriraient une préférence pour les devises autres que le dollar. En fait, l’érosion du dollar dans les réserves de change trouverait son origine dans la diversification de portefeuilles opérée par les gestionnaires des réserves de nombreuses banques centrales : Arslanalp et ses coauteurs identifient plus d’une quarantaine de pays qui diversifieraient significativement leurs réserves au profit de devises de réserves non traditionnelles. 

Arslanalp et ses coauteurs concluent au terme de leur travail que, si la domination du dollar arrivait à son terme, ce serait certainement sous les coups, non pas de ses principaux rivaux, mais d’un large groupe de devises alternatives. 

 

Références

ARSLANALP, Serkan, Barry EICHENGREEN & Chima SIMPSON-BELL (2022), « The stealth erosion of dollar dominance: Active diversifiers and the rise of nontraditional reserve currencies », FMI, working paper, n° 22/58. 

EICHENGREEN, Barry, & Daniel GROS (2020), « Post-COVID-19 global currency order: Risks and opportunities for the euro », Parlement européen.

GOPINATH, Gita, & Jeremy STEIN (2021), « Banking, trade, and the making of a dominant currency », in Quarterly Journal of Economics, vol. 136.

GOURINCHAS, Pierre-Olivier (2021), « The dollar hegemon? Evidence and implications for policymakers », in Steven J. Davies et alii (dir.), Asian Monetary Policy Forum, World Scientific.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2019), « Exchange arrangements entering the 21st century: Which anchor will hold? », in Quarterly Journal of Economics, vol. 134, n° 2.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2021a), « Why is the euro punching below its weight? », in Economic Policy, vol. 35, n° 103.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2021b), « Rethinking exchange rate regimes », NBER, working paper, n° 29347.

PRASAD, Eswar (2014), « The dollar reigns supreme, by default », in FMI, Finance and Development, mars. Traduction française, « Le dollar règne en maître, par défaut », in Finances & Développement, mars.

PRASAD, Eswar, & Lei (Sandy) YE (2013), « The renminbi’s prospects as a global reserve currency », in Cato Journal, vol. 33, n° 3.

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