La reprise suite à la pandémie de Covid-19 a été hétérogène, notamment parmi les pays développés. Aux Etats-Unis, la croissance a été suffisamment vigoureuse depuis la crise sanitaire pour que le PIB réel américain retourne à sa tendance prépandémique en 2023. Dans les autres pays développés, la reprise post-pandémique a été en général plus lente. Pour beaucoup d’entre eux, la croissance n’a pas été assez forte pour ramener le PIB à sa trajectoire d’avant crise : les dommages occasionnés par la pandémie ont été permanents, un phénomène que l’on qualifie d’« hystérésis ». En l’occurrence, en 2023, le PIB restait inférieur de 4 % à sa tendance d’avant-crise dans le cas du Canada, de 5 % dans le cas de la zone euro et de 6 % dans le cas du Royaume-Uni. En fait, pour ces pays, le rythme de la croissance s’est avéré ces dernières années plus faible qu’avant la pandémie, si bien que le PIB s’est davantage éloigné de sa trajectoire tendancielle antérieure ; c’est un phénomène que Larry Ball (2014) avait pu observer suite à la crise financière mondiale et qu’il avait qualifié de « super-hystérésis ». Cela n’est pas sans alimenter les craintes quant à un nouveau décrochage de l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis [Bock et alii, 2024 ; Le Chevallier, 2024 ; Mone, 2024].
GRAPHIQUE PIB réel des pays développés (en indices, base 100 au quatrième trimestre 2007)
François de Soyres et alii (2024) ont cherché à déterminer les facteurs susceptibles d’expliquer cette hétérogénéité des performances entre Etats-Unis et autres pays développés dans le sillage de la pandémie. Ils notent tout d’abord que cette meilleure performance de l’économie américaine repose pour l’essentiel sur une forte consommation finale et à un fort investissement domestique.
Cette vigueur de la consommation et de l’investissement américains tient vraisemblablement à l’orientation davantage expansionniste de la politique budgétaire aux Etats-Unis que dans les autres pays développés. D’après les données du FMI capturant les mesures annoncées et adoptées par les gouvernements en réponse à l’épidémie de Covid-19, les Etats-Unis ont fourni davantage de soutien budgétaire au cours de celle-ci que les autres pays développés. Entre janvier 2020 et septembre 2021, les dépenses discrétionnaires ont représenté l’équivalent de 25 % du PIB dans le cas des Etats-Unis, contre par exemple 8 % dans le cas de la France. Or, de Soyres et ses coauteurs observent une corrélation positive entre l’ampleur de ces dépenses discrétionnaires et l’écart entre les PIB et leur trajectoire prépandémique : les pertes en PIB ont été d’autant plus faibles que l’impulsion budgétaire a été importante.
Il y a certainement là une importante différence par rapport à la reprise consécutive à la crise financière mondiale. Suite à celle-ci, les gouvernements, des deux côtés de l’Atlantique, avaient rapidement adopté des mesures d’austérité budgétaire, ce qui avait freiné leur croissance économique et même fait basculer la zone euro dans une seconde récession. Un tel resserrement de la politique budgétaire n’a pas été observé suite à la pandémie, du moins jusqu’à présent, ce qui contribue certainement à expliquer pourquoi les pertes en production ont été plus limitées suite à la pandémie que suite à la crise financière mondiale. Le cas des Etats-Unis suite à la pandémie est plus singulier : non seulement ils n’ont pas adopté l’austérité, mais ils ont en fait certainement maintenu une politique budgétaire expansionniste.
Il y a également des différences entre les économies concernant la politique monétaire ou, plus précisément, sa transmission. Depuis 2022, face à la hausse de l’inflation, les banques centrales ont fortement resserré leurs politiques monétaires. La Fed a légèrement plus augmenté ses taux directeurs que ne l’ont fait les banques centrales des autres pays développés. Cela dit, la transmission du resserrement monétaire aux taux d’intérêt sur les crédits des ménages et des entreprises a été plus limitée aux Etats-Unis que dans les autres pays développés. Cela s’explique notamment par le fait que les entreprises américaines recourent relativement moins au crédit bancaire pour se financer et que les crédits immobiliers et les crédits bancaires des entreprises sont plus souvent à taux fixes aux Etats-Unis.
Outre ces différences dans l’orientation des politiques conjoncturelles et leur transmission à l’économie réelle, de Soyres et ses coauteurs mettent également en avant les différences structurelles entre l’économie américaine et les autres économies avancées pour expliquer l’hétérogénéité des reprises. En premier lieu, les marchés du travail sont réputés être plus rigides dans les pays européens qu’aux Etats-Unis et cette rigidité a pu se traduire par un chômage structurel plus élevé dans les premiers. Plusieurs pays développés ont mis en place des dispositifs de chômage partiel pour maintenir le lien des salariés avec leur emploi pendant la pandémie. Ces dispositifs ont certes permis à ces pays de connaître une bien moins ample hausse du taux de chômage lors de la crise sanitaire que les Etats-Unis, mais ils ont pu freiner la réallocation sectorielle de la main-d’œuvre en leur sein.
La plus forte stimulation de la demande et la plus grande flexibilité des marchés du travail aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ont certainement permis aux premiers de connaître de plus fortes créations d’entreprises depuis la récession pandémique. Les créations d’entreprises étaient encore récemment bien plus fortes qu’avant-crise aux Etats-Unis. Dans la zone euro, elles sont simplement revenues à leur niveau d’avant-crise.
Il y a enfin des chocs spécifiques aux pays qui expliquent la meilleure performance de l’économie américaine relativement aux autres économies avancées. En l’occurrence, des chocs négatifs ont touché l’Europe. Dans le cas du Royaume-Uni, la sortie de l’Union européenne, annoncée en 2016 à l’issue du référendum, puis définitivement entérinée début 2020, a pesé sur l’économie britannique en augmentant l’incertitude en son sein et en réduisant son accès aux marchés. La zone euro a quant à elle été particulièrement affectée par la reprise de l’invasion russe de l’Ukraine et notamment ses effets sur les marchés de l’énergie.
Références