Les prix ont fortement augmenté dans le sillage de la pandémie de Covid-19, ce qui mit un terme à plusieurs décennies de faible inflation (cf. graphique 1). Les banques centrales ont réagi en relevant leur taux directeurs, réalisant ainsi le resserrement des politiques monétaires le plus synchronisé à travers le monde qui ait été observé depuis au moins une cinquantaine d’années [Cavallino et alii, 2022]. Le pic d’inflation a été atteint au cours de l’année 2022, marquant le début d’une désinflation [de Soyres et alii, 2024]. La BCE a procédé en juin dernier à une première baisse de ses taux directeurs depuis le début du nouveau cycle de resserrement monétaire ; aux Etats-Unis, la poursuite de la baisse de l’inflation, dans un contexte de dégradation du marché du travail, pourrait pousser la Réserve fédérale à faire prochainement de même [Waechter, 2024]. L’une des questions qui taraudent Jay Powell et les autres responsables de la banque centrale américaine est de savoir si un assouplissement de la politique monétaire ne serait prématuré.
GRAPHIQUE 1 Taux d’inflation aux Etats-Unis (en %)
Christina et David Romer (2024) ont étudié les tentatives de désinflations visées par la Réserve fédérale depuis la Seconde Guerre mondiale. En appliquant l’approche narrative qu’ils ont développée lors de leurs précédents travaux [Romer et Romer, 2023], ils ont identifié neuf épisodes au cours desquels les responsables de la Fed ont estimé que le taux d’inflation courant était excessivement élevé et ont en conséquence resserré la politique monétaire pour le réduire : ces épisodes ont respectivement débuté en en octobre 1947, en août 1955, en septembre 1958, en décembre 1968, en avril 1974, en août 1978, en octobre 1979, en mai 1981 et en décembre 1988 (cf. graphique 2). Au cours de ces neuf épisodes, les autorités monétaires ont cherché à réduire le taux d’inflation, pas simplement l’empêcher d’augmenter davantage, et elles ont été prêtes à déprimer l’activité économique pour y parvenir.
GRAPHIQUE 2 Taux d’inflation sous-jacente aux Etats-Unis (en %)
Ce qui change au cours de ces neuf épisodes, c’est notamment le niveau d’engagement dont fait preuve la Fed à l’égard de sa lutte contre l’inflation. Christina et David Romer ont mesuré celui-ci en déterminant notamment, à travers les propos des responsables de la Fed, dans quelle mesure ceux-ci acceptaient des pertes en production pour réduire l’inflation et dans quelle mesure ils estimaient que la dynamique de l’inflation dépendait de la politique monétaire. Ils estiment que le niveau d’engagement envers la désinflation était élevé en 1958, en 1979 et en 1981, modéré en 1947, en 1955 et en 1988 et faible en 1968, en 1974 et en 1978. Par exemple, en 1978, les responsables de la Fed affirmaient catégoriquement qu’ils ne souhaitaient qu’un léger ralentissement de la croissance américaine et estimaient que la politique monétaire ne pouvait à elle seule réduire l’inflation. En 1981, ils jugeaient la politique monétaire cruciale pour faire baisser l’inflation et ils étaient clairement prêts à accepter que l’économie américaine essuie de lourdes pertes en production pour y parvenir.
Ce niveau d’engagement des responsables de la Fed importe visiblement pour la réussite de la désinflation : à travers les régressions qu’ils réalisent, Christina et David Romer observent que le premier est fortement corrélé avec la seconde. Au cours des épisodes où la Fed s’engage clairement envers la désinflation, l’inflation décline significativement et durablement, tandis qu’au cours des épisodes où la Fed ne s’engage pas clairement envers la désinflation, la baisse de l’inflation n’est, au mieux, que limitée et brève. En 1958 et en 1979, quand les responsables s’étaient fortement engagées à réduire l’inflation, non seulement celle-ci diminua, mais en outre elle resta durablement à un faible niveau. Inversement, en 1968 et en 1978, quand les responsables ne s’étaient engagés que faiblement envers leur objectif d’inflation, l’inflation ne baissa que de façon limitée et rebondit rapidement.
La question est alors de s’avoir pourquoi le degré d’engagement joue. Christina et David Romer ont alors observé dans quelle mesure les anticipations d’inflation ont été affectées par la politique monétaire au cours des épisodes désinflationnistes. Pour cela, ils se sont notamment appuyés sur les évocations des décisions de la Fed dans les médias, par exemple les pages du New York Times et du Wall Street Journal, et les mesures de l’inflation anticipée tirées des indicateurs de marchés financiers. Ils concluent au terme de leur analyse que le niveau d’engagement de la Fed vis-à-vis de la désinflation n’affecte pas les anticipations d’inflation.
Ce n’est donc pas en influençant ces dernières que la banque centrale parvient à réduire l’inflation ; ce sont les effets directs de la politique monétaire sur l’activité économique qui jouent. Ainsi, si la banque centrale s’engage fortement à la désinflation, elle tend à persévérer dans son action tant qu’elle n’a pas atteint son objectif. Inversement, si un faible engagement de la Fed ne permet par de réduire significativement et durablement l’inflation, c’est parce que celle-ci abandonne prématurément sa lutte contre l’inflation, par optimisme ou par crainte de déprimer excessivement l’activité économique.
En ce qui concerne l’actuel épisode désinflationniste, le dixième depuis la Seconde Guerre mondiale, Christina et David Romer sont optimistes quant à sa réussite. En effet, Powell et les autres responsables de la Fed ont manifesté, notamment lors de leurs réunions, un fort niveau d’engagement vis-à-vis de la désinflation, notamment en indiquant que la stabilité des prix était leur principal objectif et qu’ils étaient prêts à accepter une dégradation de l’activité économique et une hausse du chômage pour l’atteindre.
Les constats des Romer viennent conforter l'idée que les anticipations d'inflation ne jouent qu'un rôle limité dans la dynamique de l'inflation ou, du moins, dans la transmission de la politique monétaire à celle-ci [Rudd, 2021]. Reste la question de savoir si la dégradation de l'activité économique et du marché du travail est nécessaire à la désinflation. Les Romer ne cherchent pas à y répondre , se contentant d’évoquer la possible existence d’une courbe de Phillips, mais sans l’explorer.
Références
WAECHTER, Philippe (2024), « Et l’inflation dit à la Fed: c’est le moment », 14 août.