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22 décembre 2024 7 22 /12 /décembre /2024 17:38

Les analyses de la dette publique se concentrent souvent sur l'écart entre les taux d’intérêt sur la dette publique (r) et le taux de croissance (g) pour juger de sa soutenabilité. Pendant longtemps, beaucoup ont fait l’hypothèse que les taux d’intérêt étaient supérieurs au taux de croissance, autrement dit que le différentiel r-g était positif. Or, le différentiel semble avoir baissé depuis les années 1980 et même être devenu négatif depuis la crise financière mondiale. Une telle configuration rassure quant à la soutenabilité de la dette publique : non seulement la dette publique tendrait naturellement à se réduire, mais les gouvernements en tireraient même une marge de manœuvre pour connaître un certain déficit public sans accroître leur dette publique [Blanchard, 2019 ; Blanchard, 2022]. Cette situation est propice au recours à la politique budgétaire pour stimuler l’activité, et ce d'autant plus que l’effet de la première sur la seconde est important lorsque les taux d’intérêt sont faibles. En outre, certains travaux, comme ceux réalisés par Paul Schmelzing (2020), ont observé une baisse tendancielle multiséculaire dans les taux d’intérêt réels : les taux d’intérêt ne tendraient pas à baisser depuis quelques décennies, mais depuis plusieurs siècles. Une telle tendance semble favoriser structurellement la soutenabilité des dettes publiques.

Peut-on alors dormir tranquillement ? Pas sûr, selon Paolo Mauro et Jing Zhou (2020). En étudiant le comportement des coûts d’endettement du gouvernement dans 55 pays pendant plus de deux siècles, ces deux économistes ont constaté que le différentiel r-g a été plus souvent négatif que positif par le passé, et ce aussi bien dans les économies avancées que dans les pays émergents. Cela dit, ils notent aussi que les différentiels r-g ne sont guère plus élevés à la veille des défauts souverains qu’ils ne le sont en temps normal. En fait, les coûts d’emprunt public (marginaux, et non moyens) ont tendance à s’accroître brutalement et fortement juste avant les épisodes de défaut souverain. Autrement dit, un différentiel r-g négatif est loin de prédire la soutenabilité de la dette publique.

De leur côté, Weicheng Lian et alii (2020) ont étudié comment l’évolution de la dette publique affectait le différentiel r-g en s'appuyant sur un large échantillon comprenant des pays développés et des pays émergents. Ils constatent que, relativement aux pays relativement peu endettés, les pays présentant une dette publique initialement élevée tendent à connaître des périodes de r-g négatif plus brèves, une plus forte probabilité que le signe du différentiel r-g s’inverse, un différentiel r-g en moyenne plus élevé, ainsi qu’une distribution du différentiel plus asymétrique ; en outre, lorsque la production domestique subit une chute non anticipée ou lorsque la volatilité mondiale augmente, les pays les plus endettés connaissent une plus forte hausse du taux d’intérêt que les pays les moins endettés.

Dans une nouvelle étude, Kenneth Rogoff et Paul Schmelzing (2024) ont présenté de nouvelles estimations de r–g pour les principales économies, notamment le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l’Allemagne et la France, en remontant jusqu’au début du seizième siècle. 

GRAPHIQUE 1  r – g mondial (en points de pourcentage)

Comment se comporte r-g à très long terme ?

Rogoff et Schmelzing observent bien une tendance à la baisse dans le différentiel r-g (cf. graphique). Cela dit, ils repèrent une rupture structurelle dans la tendance dans le premier tiers du vingtième siècle, et ce dans l’ensemble des économies observées. En l’occurrence, la tendance baissière multiséculaire semble prendre fin autour de 1930, c’est-à-dire après avoir été à l’œuvre pendant plus de 300 ans. Depuis 1930 environ, le différentiel r-g a présenté non seulement une forte volatilité, mais aussi une possible tendance à la hausse.

Cette rupture tient non pas à un changement du côté des taux d’intérêt, mais à un changement du côté de la croissance économique : alors que les taux d’intérêt réels semblent rester bas, les taux de croissance ont eu tendance à baisser dans les économies avancées depuis l’entre-deux-guerres. En effet, le milieu du vingtième-siècle présente le premier ralentissement manifeste de la croissance depuis que celle-ci a débuté avec la Révolution industrielle. La seule exception que Rogoff et Schmelzing observent dans leur échantillon de données est l’Allemagne : celle-ci, connaissant un épisode de forte croissance au sortir de la Seconde Guerre mondiale plus long que les autres pays, ne connaît une inflexion de ses taux de croissance qu’après les autres.

GRAPHIQUE 2  Dépenses publiques au Royaume-Uni, hors défense et versement d'intérêts (en % du PIB)

Comment se comporte r-g à très long terme ?

Rogoff et Schmelzing ont poursuivi leur analyse pour essayer de déterminer ce qui pourrait expliquer la rupture de tendance observée autour de 1930. De façon assez spéculative, ils estiment que l’inflexion tient à l’établissement et à l’essor de l’Etat-providence et à la hausse des dépenses publiques autres que celles liées à la défense et au versement d’intérêts (cf. graphique 2).

 

Références

BLANCHARD, Olivier (2019), « Public debt and low interest rates », in American Economic Review, vol. 109, n° 4.

BLANCHARD, Olivier (2022), Fiscal Policy under Low Interest Rates, MIT Press.

LIAN, Weicheng, Andrea F. PRESBITERO & Ursula WIRIADINATA (2020), « Public debt and r - g at risk », FMI, working paper, n° 20/137.

MAURO, Paolo, & Jing ZHOU (2020), « r-g<0: Can we sleep more soundly? », FMI, working paper, n° 20/52.

ROGOFF, Kenneth, S. & Paul SCHMELZING (2024), « r-g before and after the Great Wars 1507-2023 », NBER, working paper, n° 33202.

SCHMELZING, Paul (2020), « Eight centuries of global real interest rates, R-G, and the ‘suprasecular’ decline, 1311–2018 », Bank of England, staff working paper, n° 845.

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