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12 décembre 2024 4 12 /12 /décembre /2024 10:00

Il y a un mois, les républicains gagnaient les élections américaines. Ils n’ont pas seulement gagné la présidence ; ils ont également pris le contrôle du Sénat et de la Chambre des Représentants. Très rapidement, beaucoup ont jugé que la poussée inflationniste que les Etats-Unis ont connue dans le sillage de la pandémie avait été fatale pour les démocrates : à la veille de l’élection, 41 % des Américains estimaient que l’inflation constituait un problème clé, or les électeurs pour lesquels l’inflation était une inquiétude de premier plan ont été davantage enclins à soutenir Donald Trump plutôt que Kamala Harris. 

Mais le cas américain n’est pas isolé. Comme le notait John Burns-Murdoch (2024) dans les pages du Financial Times, tous les partis au pouvoir dans les pays développés ont perdu des voix lors de toutes les élections nationales qui se sont déroulées en 2024, ce qui est sans précédent depuis 120 années d’archives (cf. graphique 1). En France, les rangs des députés macronistes se sont réduits suite aux législatives ; au Royaume-Uni, les conservateurs ont laissé la place aux travaillistes à la tête de l’Etat, etc. Pour Burns-Murdoch, comme pour d’autres commentateurs, cette vague de difficultés électorales pour les partis au pouvoir est à relier à la poussée inflationniste : les électeurs ont rendu les gouvernements responsables de la hausse de l’inflation et les ont punis dans les urnes. En outre, les partis populistes et les extrêmes ont gagné des voix : c’est le cas du RN en France, de l’AfD en Allemagne, de Reform UK au Royaume-Uni, etc. 

GRAPHIQUE 1  Variation de la part des suffrages obtenus par le parti au pouvoir lors des élections au pouvoir (en points de pourcentage)

Les conséquences électorales de l'inflation

Source : Burns-Murdoch (2024)

En s’appuyant sur une enquête réalisée auprès d’Américains, Alberto Binetti et alii (2024) se sont précisément penchés sur les perceptions que les individus ont de l’inflation. Les réponses qu’ils ont obtenues et étudiées montraient que les individus ont une vision purement négative de l’inflation : ils estiment que celle-ci n’a que des coûts, qu’elle ne présente aucun avantage. A leurs yeux, elle a surtout pour conséquence de complexifier les décisions prises au quotidien au sein des ménages. En outre, ils considèrent que l’inflation est injuste, d’une part, comme le note Stefanie Stantcheva (2024), parce qu’elle est perçue (en particulier parmi les sympathisants du parti démocrate) comme pénalisant de façon disproportionnée les plus modestes et creusant ainsi les inégalités et, d’autre part, parce qu’elle est souvent perçue comme résultant du comportement opportuniste des entreprises. Mais c’est surtout l’action du gouvernement en place (en l’occurrence celle de l’administration démocrate) qui est perçue comme une cause de l’inflation, en particulier parmi les sympathisants du parti républicain. Binetti et ses coauteurs notent qu’une hausse donnée du taux d’inflation apparaît deux fois plus douloureuse pour les individus qu’une hausse du taux de chômage de la même ampleur (une observation qui va toutefois à l’encontre de celles réalisées par Rafael Di Tella et alii [2001] et par David Blanchflower et alii [2014]).

Plusieurs travaux ont montré qu’une forte inflation érodait les performances des partis au pouvoir. La plupart d’entre eux se sont contentés d’observer les effets de l’inflation observée. Dans une ancienne étude, Harvey Palmer et Guy Whitten (1999) avaient étudié comment l’inflation et la croissance surprises affectaient les performances électorales des partis au pouvoir dans une vingtaine de pays industrialisés. En définissant l’inflation surprise comme la différence entre l’inflation courante et l’inflation moyenne, ils avaient relevé une relation négative entre celle-ci et les performances électorales des gouvernements en place ; inversement, ils relevaient une relation positive entre la croissance surprise (qu’ils définissaient comme une croissance supérieure à la moyenne) et les performances des gouvernements en place.

Jonathan Federle, Cathrin Mohr et Moritz Schularick (2024) ont étudié les conséquences politiques des inflations surprises. Ils se sont demandé dans quelle mesure les variations de l’inflation non anticipées affectaient les votes en faveur des extrêmes et des partis populistes. Ils ont étudié un échantillon de 365 élections qui se sont tenues dans 18 pays développés depuis 1948. Quant aux données relatives aux inflations surprises, ils se sont appuyés sur celles collectées par Kim et alii (2024).

GRAPHIQUE 2  Variation des parts de suffrages des extrêmes et des partis populistes

Les conséquences électorales de l'inflation

 

Source : Federle et alii (2024)

Les inflations surprises sont régulièrement suivies par une hausse significative des parts de suffrages en faveurs des partis extrémistes, anti-système et populistes (cf. graphique 2). En l’occurrence, Federle et ses coauteurs estiment qu’une hausse non anticipée de 10 points de pourcentage de l’inflation entraîne une hausse de 15 %, soit de 1,7 point de pourcentage, de leur part dans les suffrages lors des élections générales suivantes, même une fois contrôlés les effets de l’inflation globale. Cet effet est légèrement supérieur à celui qui est observé suite à une crise financière [Funke et alii, 2016]. A l’inverse, une croissance plus forte qu’anticipé est associée à une baisse des parts de suffrages recueillis par les extrêmes.

Federle et ses coauteurs se sont alors tournés vers les possibles mécanismes sous-jacents. L’effet est deux fois plus prononcé lorsque l’inflation surprise est accompagnée d’une baisse des salaires réels ; il est beaucoup plus effacé lorsque l’inflation surprise n’affecte pas les salaires réels. Federle et ses coauteurs notent également que le nombre de manifestations et de grèves augmente après une inflation surprise lorsque celle-ci s’accompagne d’une plus faible croissance des salaires réels. 

 

Références

BINETTI, Alberto, Francesco NUZZI & Stefanie STANTCHEVA (2024), « People's understanding of inflation », NBER, working paper, n° 32497. 

BLANCHFLOWER, David G., David N.F. BELL, Alberto MONTAGNOLI & Mirko MORO (2014), « The happiness trade‐off between unemployment and inflation », in Journal of Money, Credit and Banking, vol. 46.

BURN-MURDOCH, John (2024), « Democrats join 2024’s graveyard of incumbents », in Financial Times, 7 novembre.

COPELOVITCH, Mark, & Michael WAGNER (2024), « The anti-incumbent wave is real. But it’s not (really) about inflation », in Econbrowser (blog), 18 novembre.

DI TELLA, Rafael, Robert MACCULLOCH & Andrew J. OSWALD (2001), « Preferences over Inflation and Unemployment: Evidence from surveys of happiness », in American Economic Review, vol. 91, n° 1.  

FEDERLE, Jonathan, Cathrin MOHR & Moritz SCHULARICK (2024), « Inflation surprises and election outcomes », CEPR, discussion paper, n° 19741.

FUNKE, Manuel, Moritz SCHULARICK & Christoph TREBESCH (2015), « Going to extremes: Politics after financial crisis, 1870-2014 », in European Economic Review, vol. 88.

KIM, Chi Hyun, Lorenzo RANALDI & Moritz SCHULARICK (2024), « Inflation surprises and asset returns: A macrohistory perspective », document de travail.

PALMER, Harvey D., & Guy D. WHITTEN (1999), « The electoral impact of unexpected inflation and economic growth », in British Journal of Political Science, vol. 29, n° 4.

STANTCHEVA, Stefanie (2024), « Why do we dislike inflation? », Brookings Papers on Economic Activity.

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