Pour comparer les niveaux de vie et la taille des différents pays, il est possible de déterminer le PIB de chaque pays dans sa propre devise, puis de ramener les PIB de tous les pays dans la même monnaie (par exemple le dollar) en utilisant les taux de change. Cette méthode rencontre toutefois deux difficultés [Taylor, 2014]. Tout d’abord, les taux de change fluctuent, parfois rapidement et significativement. Or, si par exemple le taux de change se déprécie sans que le PIB réel ne varie, la dépréciation pourrait laisser suggérer que la taille de l’économie s’est réduite. Inversement, une appréciation du taux de change tend à accroître artificiellement la taille de l’économie. En outre, un même ensemble de biens achetés dans un pays donné peut ne pas valoir la même quantité de monnaie dans un autre après conversion. En l’occurrence, un panier de biens tend à être moins cher dans les pays en développement que dans les pays avancés.
Une manière (malheureusement imparfaite) de dépasser ces difficultés est d’utiliser les taux de change en parité de pouvoir d’achat (PPA). Il s’agit alors de déterminer un taux de change en comparant ce que coûte un panier donné dans deux pays donnés. The Economist utilise par exemple régulièrement le prix du big mac comme approximation sommaire les PPA : si un hamburger veut 4,0 euros en France et 4 dollars aux Etats-Unis, alors le taux de conversion en PPA de l’hamburger pour ces deux économies s’élève à 1,20 euros pour un dollar [Taylor, 2014]. Le Programme de comparaison internationale (PCI) de la Banque Mondiale publie tous les six ans ses estimations des PPA pour les principaux agrégats du PIB. Le PCI a publié fin avril ses estimations des PPA pour l’année 2011 pour 199 économies en utilisant de nombreuses données sur les prix et en essayant de tenir compte des différences de qualité. Les précédentes estimations avaient été réalisées pour l’année 2005. Entretemps, celles-ci étaient actualisées chaque année en utilisant les taux d’inflation. Les publications d’avril offrent des chiffres bien différents que ceux suggérés par ces extrapolations.
GRAPHIQUE PIB réel par habitant et parts dans la population mondiale en 2011
En 2011, le PIB réel par habitant moyen s'élevait à 13 460 dollars (cf. graphique 1). Lors des publications d’avril, beaucoup de journalistes et d’économistes se sont focalisés sur le fait que l’économie chinoise est plus importante qu’on ne l’imaginait jusqu’alors. Mesurés en termes de PPA, le PIB chinois est supérieur de 21 % à ce que l’on pensait. Il est susceptible de dépasser le PIB des Etats-Unis vers la fin de l’année 2014, soit bien plus tôt qu’on ne l’anticipait (cf. graphique 2) [1]. D’autres pays ont connu de fortes réévaluations de leur PIB [Fatás, 2014]. Par exemple, la taille de l’économie indonésienne a été réévaluée de 85 % et elle est désormais la dixième plus grande économie au monde, plus grande que l’Italie et à peu près de même taille que le Royaume-Uni. L’Inde est désormais la troisième plus grande économie au monde, dépassant le Japon et l’Allemagne. Six des douze plus grandes économies au monde sont des pays à revenu intermédiaire. Les pays à haut revenu, les pays à revenu intermédiaire et les pays à faible revenu réalisent respectivement 50,3 %, 48,2 % 1,5 % du PIB mondial [Taylor, 2014].
GRAPHIQUE PIB des Etats-Unis et de la Chine (en milliers de milliards de dollars PPA)
Angus Deaton et Bettina Aten (2014) ont cherché à comprendre ce qui peut expliquer le décalage entre les dernières estimations de PPA pour l’année 2011 et les PPA qui étaient jusqu’alors extrapolés à partir des estimations de PPA pour l’année 2005. Ils notent tout d’abord que les PPA de l’année 2005 étaient elles-mêmes fortement différentes de ce qui était attendu et faisaient apparaître une économie mondiale bien plus inégale. Beaucoup des changements qui sont apparus pour les premières reviennent sur les changements apparus lors des secondes. Ils identifient la source du problème : celui-ci réside dans la manière par laquelle les régions sont liées en 2005. Ils utilisent deux différentes méthodes pour mesurer la taille de l’effet. Toutes deux suggèrent que les PPA de 2005 pour la consommation des pays asiatiques (sauf le Japon) et de l’Afrique furent surestimées de 20 à 30 %. Puisque la méthodologie du PCI de 2011 est plus réaliste que celle de 2005, les nouvelles estimations ont certainement éliminé cette surévaluation.
Si ces résultats sont corrects, alors ils amènent à profondément réviser les comparaisons internationales, ainsi que les estimations de la pauvreté et des inégalités mondiales. Lors du PCI de 2005, les PPA des pays pauvres vis-à-vis des Etats-Unis avaient été sensiblement revus à la hausse par rapport aux extrapolations obtenues jusqu’alors, ce qui avait amené à une forte révision du nombre de pauvres à travers le monde. Les PPA pour la consommation individuelle des ménages, comme les PPA pour les PIB, ont aujourd’hui été révisés à la baisse, si bien que les niveaux de consommation estimés pour les pays pauvres sont plus élevés que ceux précédemment estimés. Si le seuil de pauvreté mondiale est fixé en termes de dollars américains, par exemple à 1,25 dollar comme le fait actuellement la Banque Mondiale, alors sa valeur locale dans les devises des pays pauvres va désormais être plus faibles, ce qui signifie qu’il y a moins de personnes vivant en-dessous de ce seuil qu’on ne le pensait jusqu’à présent. Les précédentes études (qui utilisaient les PPA extrapolées à partir du PCI de 2005) établissaient que le nombre de personnes vivant avec moins de 1,25 dollar en 2010 s’élevait à environ 1,215 milliard de personnes. Ce chiffre pourrait s’élever à 571 millions de personnes si l’on utilise les nouvelles estimations du CPI de 2011 [Chandy et Kharas, 2014].
[1] Jeffrey Frankel (2014) considère toutefois qu’il est plus pertinent d’utiliser les taux de change de marché que les taux de change en PPA pour comparer les tailles des économies. Aux taux de change courants, l’économie américaine est encore 83 % plus importante que l’économie chinoise. Si le taux de croissance de la Chine demeure toutefois supérieur de 5 points de pourcentage à celui des Etats-Unis et si le yuan continue de s’apprécier chaque année de 3 %, alors c’est en 2021 que l’économie chinoise risque de dépasser en taille l’économie américaine.
Références
CHANDY, Lawrence, & Homi KHARAS (2014), « What do new price data mean for the goal of ending extreme poverty? », Brookings, 5 mai.
DEATON, Angus, & Bettina ATEN (2014), « Trying to understand the PPPs in ICP2011: Why are the results so different? », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20244, juin.
FRANKEL, Jeffrey (2014), « China is not yet number one », in voxEU.org, 9 mai.