Avant même la récente crise financière mondiale, les pays avancés se caractérisaient par un niveau élevé de dette publique. La Grande Récession, le renflouement du secteur bancaire et les plans de relance budgétaire ont conduit à un fort accroissement des ratios dette publique sur PIB. La faiblesse de la subséquente reprise contraint fortement le désendettement public en comprimant les recettes publiques, alors que des tendances lourdes à long terme telles que le vieillissement de la population pèseront à l’avenir sur les finances publiques. Les perspectives futures de croissance restant particulièrement faibles, les Etats ne peuvent compter sur une accélération substantielle de la croissance pour ramener leur endettement public sur une trajectoire plus soutenable. Jusqu’à présent, les Etats ont cherché à réduire leur endettement public en alourdissant la fiscalité et/ou en réduisant les dépenses publiques, mais ces plans d’austérité ont au contraire tendance à accroître les ratios d’endettement car ils dépriment davantage l’activité économique, donc les recettes publiques.
Les Etats des pays avancés ont déjà connu par le passé des ratios d’endettement aussi élevés, si bien que plusieurs économistes se sont penchés sur les épisodes passés de désendettement public pour observer quelles mesures les gouvernements ont alors adoptées. Leurs analyses font apparaître qu’au cours de l’histoire la dette publique a souvent été réduite via une forte accélération de l’inflation. Par exemple, les pays avancés se caractérisaient par des ratios dette publique sur PIB particulièrement élevés au sortir de la Seconde Guerre mondiale ; en 1946, la dette publique des Etats-Unis représentait par exemple 108,6 % du PIB. Joshua Aizenman et Nancy Marion (2011) suggèrent que l’inflation a réduit ce ratio de plus d’un tiers au cours de la décennie suivante. Carmen Reinhart et Belen Sbrancia (2011) ont constaté que l’inflation et la répression financière (désignant l’ensemble des mesures par lesquelles les gouvernements imposent aux résidents d’acheter et de garder des titres publics domestiques) ont fortement contribué aux réductions de l’endettement public des pays avancés entre 1945 et les années soixante-dix. Même au cours des épisodes antérieurs de désendettement, les dettes des pays avancés ont été réduites via une combinaison de restructurations de dette, de répression financière et d’une forte inflation. Si certains considèrent que de telles mesures sont l’apanage des pays en développement, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2013) estiment de leur côté que les gouvernements des pays avancés ne peuvent aujourd’hui exclure de telles options.
Selon Bernardin Akitoby, Takuji Komatsuzaki et Ariel Binder (2014), une accélération de l’inflation est susceptible de réduire la dette publique via trois canaux. Premièrement, les gouvernements peuvent capturer davantage de ressources via la création monétaire et les récettes de seigneuriage. Deuxièmement, l’inflation érode la valeur réelle de la dette. L’efficacité de ce canal dépend toutefois de la maturité de la dette et de sa dénomination en devises étrangères, aussi bien que de la réaction des taux d’intérêt à l’accélération de l’inflation. En effet, la banque centrale est susceptible d’accroître ses taux directeurs pour préserver la stabilité des prix. En outre, l’inflation amène les agents privés à exiger des taux d’intérêt plus élevés sur les nouvelles émissions de titres publics. Troisièmement, l’inflation affecte le solde primaire si l’impôt est progressif et si les tranches d’imposition ne sont pas indexées à l’inflation. En outre, une accélération de l’inflation ne faciliterait pas seulement le désendettement du secteur public, mais aussi le désendettement des agents privés, ce qui accélèrerait la reprise de l’activité économique, donc accroîtrait les recettes fiscales. En l’occurrence, comme l’ont suggéré Blanchard et alii (2010) et plus récemment Laurence Ball (2013), un relèvement des cibles d’inflation réduirait le risque que les économies basculent dans une trappe à liquidité ou, le cas échéant, accroîtrait leurs chances d’en sortir.
Si l’inflation est susceptible de réduire l’endettement public, la déflation risque symétriquement d’en accroître le fardeau. Même une faible inflation (lowflation) est susceptible de générer une dynamique de déflation par la dette à la Fisher qui rendrait encore moins soutenable l’endettement des Etats et des agents privés. Akitoby et ses coauteurs (2014) ont étudié l’impact de l’inflation sur le ratio dette publique sur PIB des pays du G7. Leurs simulations suggèrent que si l’inflation restait nulle pendant cinq ans, le ratio dette nette sur PIB augmenterait en moyenne de 5 points de pourcentage au terme de la période. A l’inverse, si l’inflation se maintenait à 6 % pendant cinq ans, le ratio dette nette sur PIB diminuerait en moyenne de 11 à 14 points de pourcentage. Une accélération de l’inflation contribuerait effectivement à réduire le fardeau de la dette publique. Elle serait d’autant plus efficace que les banques centrales ne resserrent pas leur politique monétaire.
L’idée d’accélérer l’inflation pour faciliter le désendettement public n’est pas sans soulever de nombreux problèmes. Comme le démontre le Japon de ces deux dernières décennies, il peut être difficile d’accélérer l’inflation. Il n’en reste pas moins que les autorités publiques doivent faire tout leur possible pour ne pas laisser l’inflation atteindre de faibles niveaux, car une fois dans une trappe déflationnistes les économies peuvent difficilement en sortir. Toutefois, si l’inflation finit effectivement par s’accélérer, l’économie fait face à des risques symétriques : si les anticipations d’inflation ne sont plus ancrées à un faible niveau, l’inflation est susceptible de déraper et l’économie de basculer dans une véritable spirale inflationniste. En l’occurrence, les banques centrales pourraient être incitées à faciliter le désendettement public en maintenant une politique monétaire davantage accommodante que ne l’exigent les conditions macroéconomiques pour éviter une hausse des taux d’intérêt sur les titres publics : c’est le risque de « dominance fiscale ». Les autorités monétaires laisseraient alors filer l’inflation au-delà de leur cible, ce qui effriterait leur crédibilité et compliquerait davantage l’ancrage des anticipations. Dans tous les cas, l’accélération de l’inflation peut alors conduire à une forte hausse des taux d’intérêt à long terme ; non seulement celle-ci rendrait l’endettement public encore moins soutenable, mais elle pénaliserait aussi l’investissement productif. Si comme certains le craignent l’inflation détériore l’allocation des ressources et l’accumulation de capital, la croissance économique pourrait alors en être affectée.
Références
AIZENMAN, Joshua, & Nancy MARION (2011), « Using inflation to erode the U.S. public debt », in Journal of Macroeconomics, vol. 33, n° 4.
BALL, Laurence M. (2013), « The case for Four Percent Inflation », in Banque Centrale de la République de Turquie, Central Bank Review, vol. 13, n° 2.
BLANCHARD, Olivier, Giovanni DELL’ARICCIA & Paolo MAURO (2010), « Rethinking macroeconomic policy », IMF staff position note, n° SPN/10/03.
REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2013), « Financial and sovereign debt crises: Some lessons learned and those forgotten », Fonds monétaire international, working paper, décembre.
REINHART, Carmen, & M. Belen SBRANCIA (2011), « The liquidation of government debt », National bureau of Economic Research, working paper, n° 16893.