Depuis l'article séminal de Robert Solow (1956), la littérature économique considère le progrès technique comme la source principale de croissance économique à long terme. Les théories de la croissance endogène et notamment le paradigme néo-schumpéterien soulignent l’importance de l’activité de recherche-développement pour générer ce progrès technique. Celle-ci n’est pourtant pas le seul investissement permettant de se rapprocher de la frontière technologique. La majorité des dépenses de recherche-développement se concentrent en effet sur une minorité d’entreprises et de pays. La majorité des entreprises et des pays s’échinent à adopter des technologies déjà existantes et non à les générer. Cette diffusion est déterminante au niveau macroéconomique. Les études empiriques suggèrent une convergence des délais d’adoption des technologies au niveau international, mais aussi une divergence des rythmes de pénétration entre les pays riches et pauvres ces deux dernières décennies, or une telle dynamique explique la divergence des taux de croissance du revenu par tête à partir de la Révolution industrielle [Comin et Mestieri, 2013a].
Diego A. Comin et Martí Mestieri (2013) ont récemment recensé les différents vecteurs de l’adoption technologique. Ils mettent particulièrement l’accent sur l’importance des connaissances dans ce processus. En effet, l’adoption et l’utilisation de nouveaux processus de production, machines, produits et services nécessitent un savoir. Celui-ci peut être accumulé individuellement au sein de chaque travail (le capital humain) ou collectivement ou sein des organisations. Il peut exister des complémentarités entre le savoir des travailleurs qui accroissent la capacité de l’organisation à adopter les nouvelles technologies. Les études empiriques suggèrent effectivement que le stock de capital humain affecte le taux de croissance de la productivité, notamment en favorisant la diffusion technologique. Pour saisir l’importance du capital humain, Diego Comin et Bart Hobijn (2004) ont observé la diffusion de 25 technologies majeures dans 15 pays avancés au cours des deux siècles précédents. Ils constatent que la scolarisation dans le secondaire est associée positivement à l'adoption des technologies jusqu’en 1970, mais ils ne décèlent après cette date aucun effet significatif de la scolarisation dans le secondaire sur l'adoption technologique. En outre, pour chaque niveau de scolarité, les taux de scolarité sont aussi positivement associés à l'adoption technologique.
En observant la diffusion de 11 technologies, Comin et Hobijn constatent que l’adoption des anciennes technologies est positivement associée à l’adoption des nouvelles, ce qui suggère que certains intrants utilisés dans le processus d’adoption, autres que le capital humain, sont transférable d’une technologie à l’autre au sein d’un même secteur. Diego Comin, William Easterly et Erick Gong (2010) ont alors observé l’effet de l’adoption des technologies dans les périodes passées sur celle dans la période actuelle. Ils constatent que le niveau d’adoption technologique en 1500 est positivement relié au revenu par tête de la période actuelle. La littérature a suggéré certains facteurs susceptibles d’affecter la persistance de l’adoption technologique, notamment la culture et les institutions. Ces facteurs peuvent exercer un effet symétrique dans l’adoption technologique entre les différents secteurs. A l’inverse, le savoir spécifique à un secteur est susceptible d’avoir un plus large effet sur l’adoption subséquente dans un secteur donné que dans d’autres. L’apprentissage propre à un secteur, qui résulte de l’adoption et de l’usage des nouvelles technologies, apparaît comme le vecteur le plus probable de la persistance dans la technologie. De telles dynamiques peuvent alors expliquer les larges différences de revenus observées entre les pays.
L’adoption d’une technologie exige un savoir qui ne peut en général être qu’en interaction avec les autres agents, or la géographie façonne particulièrement la fréquence et la réussite de ces interactions. Le savoir technologique sera plus facilement transmis entre des agents situés dans des pays voisins plutôt que dans des pays géographiquement éloignés. En outre, comme ce fut le cas avec les chemins de fer (ou au sein des clusters), les gains qu’un pays (ou une entreprise) retire de l’adoption d’une technologie donnée dépendent de son adoption par les pays (ou entreprises) à proximité. Par conséquent, les schémas d’adoption technologique de pays voisins tendent être corrélés. Diego Comin, Mikhail Dmitriev et Esteban Rossi-Hansberg (2013) montrent que plus les pays sont éloignés de ceux où une technologie apparaît, plus tendent à l’adopter plus lentement : tous les 1000 kilomètres, les interactions spatiales facilitant l’adoption technologique déclinent de 73 %. Les interactions induites par le flux de personnes ou de biens et services tendent à persister au cours du temps, tandis que les interactions induites par la diffusion de savoir tendent à s’effacer, puisque le savoir peut être plus facilement répliqué dans un lieu unique. Les flux migratoires constituent en l’occurrence une forme importante d’interactions géographiques. Ils permettent en effet de transmettre le savoir technologique depuis les zones les plus avancées technologiquement vers les zones éloignées de la frontière technologique. Ainsi, ils expliquent une part significative des différences observées d’un pays à l’autre en termes d’adoption technologique.
Comin et Mestieri mettent ensuite l’accent sur les facteurs institutionnels pour expliquer la vitesse de diffusion technologique. Les institutions sont susceptibles de réduire l’incitation des agents à engager des dépenses pour adopter une nouvelle technologie, notamment si elles ne protègent pas efficacement les droits des adopteurs sur leurs technologies ou sur le revenu qu’ils génèrent à partir de celles-ci. La protection des droits de propriété apparaît alors comme une condition nécessaire à l’adoption technologique. En outre, l’apparition de nouvelles technologies est susceptible d’éliminer les rentes que percevaient les agents qui avaient investi du capital physique ou humain dans les vieilles technologies. Les nouvelles technologies facilitant le transport et la communication peuvent réduire le pouvoir politiques des élites au fur et à mesure qu’elles se diffusent. Des institutions inefficaces peuvent alors permettre aux agents d’imposer des barrières à la diffusion des technologies qui menacent leurs rentes. D’un côté, les coûts que subissent les lobbies pour inciter les législateurs à poser des barrières à la diffusions technologique sont plus élevés lorsque les législateurs ne sont pas indépendants, que le système judiciaire est efficace et que le régime est démocratique. De l’autre, les bénéfices que les producteurs de vieilles technologies peuvent espérer retirer de l’instauration de barrière dépendent des caractéristiques des vieilles et nouvelles technologies. Les nouvelles technologies peuvent être tellement plus efficaces que les consommateurs les préféreront aux anciennes, même en présence de barrière. Dans une telle situation, les vieux producteurs ne tirent aucun avantage du lobbying et les nouvelles technologies se diffusent rapidement et indépendamment des coûts de lobbying. En revanche, si l’écart de productivité entre les anciennes et nouvelles technologies est faible, les consommateurs vont garder les premières si les entreprises historiques instaurent des barrières. La vitesse de diffusion va alors dépendre du coût de mise en place des barrières ; s’il est faible, des barrières seront certainement instaurées.
Enfin, Comin et Mestieri notent l’importance de la demande dans la diffusion technologique. Elle conditionne en effet le rendement qu’une entreprise peut tirer de l’adoption d’une technologie. Plus la demande pour les biens et services produits à partir de la technologie adoptée est importante, plus l’entreprise pourra répartir les coûts irrécouvrables de l’adoption sur de nombreux acheteurs, plus l’investissement sera rentable. Même si les coûts d’adoption technologique sont négligeables, la demande en biens et services intégrant une technologie donnée sera d’autant plus importante que la demande agrégée est élevée. Les études empiriques suggèrent effectivement que les dépenses en recherche-développement tendent à évoluer avec le niveau de production au rythme des cycles d’affaires.
Références
COMIN, Diego A., & Bart HOBIJN (2009), « Lobbies and technology diffusion », in Review of Economics and Statistics, vol. 91, n° 2.