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27 novembre 2012 2 27 /11 /novembre /2012 20:14

La géographie importe pour l’économie et notamment pour la diffusion des technologies. Celles-ci ne se déplacent pas dans le vide de la théorie. Leur diffusion s’apparente à un phénomène épidémiologique, puisqu’elles ne sont tout d’abord adoptées que par un nombre limité d’agents économiques, puis (après que le taux d'adoption ait atteint un certain seuil) connaissent une propagation exponentielle dans la population avant de voir le taux d’adoption se stabiliser. Ces aspects de la diffusion technologique ne sont pas sans implications plus larges pour les performances macroéconomiques. Les différences technologiques observées entre les pays sont essentielles pour expliquer les larges disparités de revenu par tête que l’on peut constater entre eux. La technologie est certes non rivale et n’implique aucun coût de transport, mais sa diffusion d’un pays à l'autre reste toutefois lente. Non seulement le laps de temps peut être particulièrement longue entre l’instant où l’innovation apparaît et celui où elle est utilisée dans un pays donné, mais il peut aussi être particulièrement long entre l’instant où la nouvelle technologie pénètre un pays et celui où elle est suffisamment diffusée en son sein pour avoir un impact significatif sur la productivité des résidents.

Les études empiriques qui se penchent sur le processus d’adoption des technologies considèrent les agents qu’il implique comme indépendants les uns des autres. Si ces analyses n’ont jamais rejeté l’idée qu’existent des interactions entre les pays dans l’adoption des technologies, elles n’ont pas été en mesure jusque là à les mettre évidence, ni d’évaluer par conséquent comment elles contribuent à ce que l’adoption technologique diffère d’un pays à l’autre. Adopter une technologie implique de disposer au préalable d’un savoir qui ne peut généralement être acquis qu'au travers les multiples interactions avec les autres agents, or la géographie est susceptible de façonner la fréquence et le succès de ces interactions individuelles. Les savoirs technologiques sont plus facilement transmissibles entre des agents localisés dans des pays proches plutôt qu’éloignés l’un de l’autre, notamment parce que l’adoption technologique peut exiger des savoirs tacites, donc des contacts de face à face. Les schémas d’adoption d’une technologie donnée peuvent en outre être souvent corrélés entre pays voisins, car la rentabilité de son adoption dans un pays dépend, comme par exemple dans le cas des chemins de fer, de son adoption dans les pays limitrophes.

Certains analyses ont observé les citations de brevets, tandis que d’autres ont considéré les répercussions des dépenses de recherche-développement d’un pays sur celles réalisées par les autres pays, afin de mettre à jour la présence d’externalités de connaissances qui seraient liées à l’activité de recherche-développement. L’innovation et l’adoption des technologies restent toutefois des processus distincts et rien ne certifie que les savoirs nécessaires à l’élaboration de nouvelles technologies soient similaires à celles qu’exigent par la suite leur adoption. Il apparaît en outre plus judicieux de se baser sur les effets de débordement qui sont à l’œuvre entre les pays plutôt qu’en leur sein.

Les études menées au niveau microéconomique pour étudier l’adoption des technologies agricoles ont mis à jour des effets de corrélation spatiale dans l’adoption des nouvelles technologies agricoles, par exemple l’adoption de nouvelles cultures ou de graines à haut rendement. Ces approches sont toutefois limitées car elles n’étudient que quelques technologies relativement simples, telles que de nouveaux engrais ou semences, qui ne peuvent dès lors représenter tout le continuum des technologies. Les données microéconomiques ne permettent pas non plus d'identifier la présence d’interactions entre les pays dans l’adoption technologique. Les interactions spatiales à l’œuvre dans le processus d’adoption technologique peuvent survenir de manière différente selon la distance qui sépare les agents qu’elle implique.

Saisir comment les technologies se diffusent géographiquement apparaît donc essentiel pour comprendre la vitesse à laquelle s’opèrent ces diffusions. Dans cette optique, Diego Comin, Mikhail Dmitriev et Esteban Rossi-Hansberg (2012a, b) ont compilé un nouvel ensemble de données pour étudier la diffusion des technologies tant dans le temps que dans l’espace. Ils étudient la diffusion de 20 technologies majeures dans 161 pays au cours des 140 dernières années. Pour s’assurer de la robustesse de leurs résultats, Comin et alii ont notamment isolé les effets proprement spatiaux de trois facteurs qui sont également susceptibles d’influencer la diffusion technologique, en l’occurrence le capital humain, l’ouverture au commerce extérieur et le cadre institutionnel.

Leur analyse empirique fait apparaître que les pays qui sont les plus éloignés géographiquement des pays les plus avancés technologiquement bénéficient le moins rapidement de leurs technologies. En l’occurrence, ce retard technologique est particulièrement prononcé pour les pays du sud par rapport aux pays du nord ; les distances entre latitudes importent davantage que les distances entre longitudes. Les répercussions géographiques de la diffusion se diluent au cours du temps : elles vont être initialement fortes, avant de décliner pour finalement disparaître. Cet effet distingue le transfert technologique des autres transferts qui s’opèrent au niveau international, notamment les flux de biens, de migrants ou d’investissements directs à l’étranger. Ces autres flux diminuent également avec la distance en raison de coûts de transport et de restrictions, en particulier sur la migration, mais l’effet de la distance ne disparaît pas dans le temps. En revanche, une fois que la technologie s’est diffusée, la distance n’a plus d’importance car les transmissions de savoirs et innovations n’exigent d’être opérées qu’une seule fois et ces savoirs et innovations peuvent ensuite être utilisées à de multiples reprises. Finalement, l’espace importe pour la diffusion technologique entre les pays.

Dans un second temps, Comin et alii ont développé un modèle simple qui leur permet de reproduire les schémas spatiaux et temporels de la diffusion technologique qu'ils ont saisis au travers de leur analyse empirique. Les auteurs s’inspirent ici des travaux qui soulignent l’important des échanges de connaissances entre individus pour la croissance économique, notamment l’analyse réalisée par Jonathan Eaton et Samuel Kortum (1999) ou plus récemment celle de Robert Lucas (2009). Les auteurs font l’hypothèse que la technologie se diffuse via les interactions entre adoptants et non-adoptants. Ils supposent en outre que les interactions sont aléatoires et plus probables lorsque les agents sont à proximité l’un de l’autre. Le modèle détermine l’évolution de l’adoption de chaque technologique en se basant, d’une part, sur la fréquence des interactions sociales et, d’autre part, le déclin spatial dans la probabilité d’interactions. Ils procèdent à des estimations pour définir ces deux paramètre. Ces estimations font apparaître que la fréquence des interactions est plus élevée pour les nouvelles technologies et que les interactions spatiales diminuent de 73 % tous les 1000 kilomètres.

 

Références Martin ANOTA

COMIN, Diego, Mikhail DMITRIEV & Esteban ROSSI-HANSBERG (2012a), « The spatial diffusion of technology », NBER working paper, novembre.

COMIN, Diego, Mikhail DMITRIEV & Esteban ROSSI-HANSBERG (2012b), « Heavy technology: The process of technological diffusion over time and space », in VoxEU.org, 26 novembre.

EATON, Jonathan, & Samuel KORTUM (1999), « International technology diffusion: theory and measurement », in International Economic Review, vol. 40, n° 3.

LUCAS, Robert (2009), « Ideas and growth », in Economica, vol. 76.

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