L’essor du commerce intrafirme et le développement des multinationales ont bousculé les anciennes théories du commerce international qui ne faisaient apparaître des gains à l’échange qu’au travers soit des différences en termes de dotations factorielles, soit des avantages comparatifs intersectoriels dans le sillage de la théorie ricardienne. Les nouvelles théories du commerce international qui se sont développées depuis les années soixante-dix ont cherché à mieux rendre compte des évolutions touchant les échanges commerciaux. Pour cela, elles se sont éloignées du cadre de la concurrence pure et parfaite pour incorporer des éléments de concurrence imparfaite tels que la nature oligopolistique des marchés, la présence de rendements d’échelle croissants et la différenciation des produits [Melitz et Trefler, 2012]. Dans ces modélisations, Les consommateurs aiment la variété et sont prêts à payer un prix plus élevé pour obtenir le produit désiré, mais comme le marché est fragmenté en niches, les différentes entreprises qui y sont présentes ne parviennent pas à atteindre une échelle de production suffisante pour couvrir leurs coûts de développement. L’ouverture au commerce international, en élargissant les marchés, va permettre aux entreprises de pleinement exploiter les rendements d’échelle afin de rentabiliser leurs investissements. Les consommateurs profitent, quant à eux, non seulement d’une plus large variété de produits, mais l’intensification de la concurrence internationale se traduit également par une baisse des prix.
Limités au niveau méthodologique, ces nouveaux modèles ont fait l’hypothèse durant plusieurs décennies d’une homogénéité des entreprises ; les firmes étaient supposées produire à la même échelle et être confrontées aux mêmes coûts. Melitz (2003), d’une part, et Bernard, Eaton, Jensen et Kortum (2003), d’autre part, ont mis à jour une nouvelle source de gains du commerce international en prenant en compte l’hétérogénéité des entreprises. Dans un secteur étroitement défini, les entreprises sont effectivement diverses en termes de taille et de profit, en raison notamment des différences de productivité. Or, cette hétérogénéité des entreprises au sein d’un même secteur va contribuer à amplifier les gains de la libéralisation que la littérature économique avait déjà identifiés.
L’ouverture au commerce va en effet contribuer à relever la productivité, non seulement via les économies d’échelle, mais également à travers un processus darwinien de sélection des entreprises [Corcos et alii, 2012]. D’un côté, la libéralisation des échanges se traduit par une diminution des coûts de transaction qui vont inciter les entreprises étrangères à pénétrer les marchés domestiques. Les firmes domestiques vont alors voir leurs profits diminuer sur les ventes domestiques, et ce quel que soit leur niveau initial de productivité. D’un autre côté, certaines entreprises domestiques vont se révéler suffisamment productives pour prendre en charge les coûts qu'exigent l'accès aux marchés extérieurs, notamment les coûts de transport, et faire face aux barrières de nature institutionnelle ou culturelle. Ces firmes vont alors accéder aux marchés étrangers et en obtenir ainsi des profits supplémentaires.
Avec la libéralisation des échanges, les entreprises vont par conséquent se partitionner en trois groupes. Comme les entreprises les moins productives font des pertes sur les marchés domestiques et ne disposent pas d’accès aux marchés étrangers, elles sont forcées de se retirer du marché. Les entreprises les plus productives sont quant à elles en mesure de compenser le manque à gagner sur les ventes domestiques avec les profits qu’elles retirent de leurs exportations. Elles peuvent donc survivre et sont même susceptibles d’accroître leur part de marché. Enfin, les entreprises ayant des niveaux intermédiaires de productivité peuvent également survivre, mais elles ne sont pas suffisamment productives pour accéder aux marchés étrangers, si bien qu’elles sont confinées aux seuls marchés domestiques et voient leur part de marché décliner irrémédiablement. Au final, comme l’intégration du commerce international élimine les entreprises les moins productives, la productivité moyenne du secteur s’élève grâce à la réallocation des ressources productives depuis les producteurs les moins efficaces vers les plus efficaces.
La prise en compte de l’hétérogénéité des entreprises fait apparaître une source supplémentaire de gain à l’échange, provenant cette fois-ci de l’influence positive que l’élargissement des marchés exerce sur le processus innovation [Melitz et Trefler, 2012]. L'adoption des nouveaux produits et processus productifs améliorant la productivité impose effectivement des coûts fixes. L’intégration commerciale, en élargissant la taille du marché et l’échelle de production des entreprises, encourage ces dernières à entreprendre ces investissements et stimule par là leur productivité. Cette source supplémentaire de gain à l’échange a trait à l’efficacité interne à la firme, tandis que le gain associé à la sélection des entreprises relevait quant à lui de l’efficacité interentreprises (ou allocative).
Cette nouvelle littérature théorique qui s’élabore autour de l’hétérogénéité des entreprises est motivée par un certain nombre de constats empiriques réalisés au niveau microéconomique [Melitz et Redding, 2012] :
Premièrement, la participation au commerce international permettrait aux entreprises de réaliser de meilleures performances. Dans un même secteur, les exportateurs sont notamment plus larges, plus productifs, plus intensifs en capital et en travail qualifié que les entreprises non exportatrices et rémunèrent également davantage leurs salariés.
Deuxièmement, les effets de composition seraient particulièrement importants entre les entreprises présentes dans un même secteur. Les entreprises sortantes sont en l'occurrence relativement plus petites que les opérateurs historiques et les entreprises entrantes ont des taux de croissance de l’emploi relativement plus élevés que ces derniers.
Troisièmement, la performance d’un établissement ou d’une entreprise répond sur plusieurs plans à l’environnement commercial. La libéralisation des échanges se traduirait notamment par une hausse de la productivité, une accélération de l’adoption des nouvelles technologies, une rationalisation de la gamme de produits offerts et une réduction du mark-up.
Gregory Corcos et alii (2012) ont estimé les gains de la libéralisation du commerce en Union européenne, notamment les gains d’efficacité tirés de la sélection des entreprises les plus efficaces. Si l’intégration européenne n’avait pas eu lieu, un pays subirait en moyenne une perte permanente de 7 % de son niveau de productivité. L’analyse fait en outre apparaître que l’intégration européenne s’est traduite par une plus riche variété de produits, mais aussi par des baisses de prix et de mark-up de la même amplitude que la hausse de la productivité. Les gains à l’échange sont inégalement répartis dans l’espace, puisque les pays périphériques et ceux de petite taille en profitent le plus. Ainsi, les changements dans les barrières au commerce auraient des répercussions particulièrement larges.
Références Martin ANOTA