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17 juin 2012 7 17 /06 /juin /2012 22:53

Stewart Lansley, auteur de The Cost of Inequality: Why Economic Equality is Essential for Recovery, a publié trois articles (ici, et encore là) sur le blog de l’OCDE où il examine l'implication des inégalités comme source d’instabilité macroéconomique. Il poursuit ainsi les récentes réflexions de Rajan, de Krugman, ou encore de Kumhof et de Rancière sur le sujet. Il rappelle tout d’abord que, jusqu’à ces dernières années, les réflexions sur les propriétés déstabilisatrices des inégalités ne furent menées que par les seules franges hétérodoxes des économistes. Ce manque d’intérêt de la part des théoriciens orthodoxes s’explique par leur certitude que les inégalités sont une condition nécessaire à l’efficacité économique. L’accélération de la croissance et la réduction des inégalités s’excluraient l’une l’autre. Cette vision orthodoxe émergea lors de la crise des années soixante-dix et participa à faire apparaître celle-ci comme la conséquence d’une trop grande recherche d’égalité ; une dose accrue d’inégalités pousserait les économies sur un sentier de croissance haussier et soutenable. Cette théorie est mise en application dès la fin des années soixante-dix. Les écarts de revenu s’accroissent depuis à des niveaux inobservés durant l’entre-guerre, mais les performances économiques attendues en théorie ne s’actualisent pas. Les taux de croissance et de productivité britanniques ne s’élèvent par exemple depuis 1980 qu’au tiers de leur valeur d’après-guerre. En outre, les récessions consécutives à 1979 furent plus sévères que celles d’après-guerre.

La vue dominante ne considère pas que les inégalités aient joué un rôle dans l'émergence de la crise actuelle. Durant deux ans, seule une minorité d’économistes a affirmé que les inégalités constituent sa cause réelle. L’opinion commence toutefois à changer, notamment au sein d’institutions globales telles que le FMI ou l’ODCE. Andrew Berg et Jonathan Ostry (2011), deux économistes du FMI, ont reconnu que l’égalité apparaît être un important ingrédient dans la promotion et le soutien de la croissance. Non seulement la hausse des inégalités n’a finalement pas accéléré la croissance, mais les inégalités semblent historiquement associées à l’instabilité macroéconomique. Les récessions consécutives à 1929 et 2009 suivent chacune une période où les inégalités se sont fortement accrues, tandis que la période prolongée de croissance d’après-guerre est synchrone avec une réduction des inégalités. 

Pour Lansley, les déformations dans le partage de la valeur ajoutée entre les facteurs de production ont joué un rôle moteur dans l’accroissement de l’écart de revenus ces trois dernières décennies. Dans l’après-guerre, un nouveau modèle de capitalisme avait émergé dans les économies développées. La part du revenu du travail aux Etats-Unis s’éleva et participa au nivellement des revenus. Le modèle du capitalisme subit une nouvelle transformation à partir des années soixante-dix et la distribution des fruits de la croissance fut réorientée. En Grande-Bretagne, alors la part du revenu du travail se maintenait entre 58 et 60 % de la valeur ajoutée durant l’après-guerre, elle tombe à 53 % en 2007. La part du travail fut davantage réduite aux Etats-Unis. Parallèlement, les dividendes augmentèrent plus rapidement que le taux de marge. Les autres pays avancés connurent des évolutions similaires, quoique plus atténuées. 

La disjonction entre les dynamiques des salaires et de la production a eu plusieurs répercussions adverses sur le fonctionnement économique. Tout d’abord, le recul salarial, en réduisant le pouvoir d’achat, entraîna une déflation globale. Les économies ne purent maintenir leur capacité de consommation qu’à travers l’explosion de la dette privée. Celle-ci passa par exemple de 45 à 157 % du PIB entre 1981 et 2009 au Royaume-Uni. Le gonflement de la dette aux Etats-Unis alimenta un insoutenable boom domestique à partir du milieu des années quatre-vingt-dix.  Avant le krach de 1929, le ratio de la dette des ménages sur le revenu nation avait augmenté de 70 points de pourcentage en moins d’une décennie. Ensuite, la plus grande concentration des revenus mena à l’apparition d’une vzgue massive de capitaux extrêmement mobile au niveau international. Ces excédents auraient dû conduire selon les théoriciens orthodoxes à un boom dans l’investissement productif ; en fait, l’érosion des niveaux de vie et l’accumulation d’excédents de liquidités mondiales furent à l’origine des bulles spéculatives qui firent vaciller l’économie globale. Les années vingt avaient également vu la formation de bulles sur les marchés immobiliers et boursiers. Enfin, une minorité concentra la richesse et la prise de décision économique, notamment en aiguillonnant les politiques économiques en faveur de ses intérêts. L’accroissement des inégalités n’a pas seulement fait basculer l’économie mondiale dans une profonde récession en 1929 et en 2008 ; elle diffère la sortie de crise.

Stewart Lansley dresse enfin les leçons de ces diverses tendances lourdes. Selon lui, la théorie dominante lors de ces trois dernières décennies a échoué à saisir comment fonctionne l’économie. La demande dans la plupart des économies est induite par les salaires et non par les profits. Une plus faible part des revenus du travail affaiblit donc la croissance. L’expérience de ces cent dernières années démontre selon lui que les fluctuations du cycle d’affaires sont atténuées dans les sociétés les plus égalitaires, tandis qu’elles sont amplifiées dans les sociétés les plus polarisées. Une trop forte déformation de la valeur ajoutée en faveur des plus hauts revenus entraîne une déprime de la demande, une hausse de l’endettement et une appréciation des prix d’actifs propres à générer une crise. Les plus riches sont les principaux gagnants de la récession. Depuis 2008, les profits et les dividendes ont augmenté, tandis que les salaires réels ont diminué. En 2010, aux Etats-Unis, 10 % des ménages les plus riches se sont accaparés la totalité des revenus supplémentaires ; le plus riche pourcent s’est accaparé 93 % de ces nouvelles richesses. Le Royaume-Uni a connu les mêmes dynamiques, moins extrêmes toutefois.

La sortie de crise et l’orientation de l’économie mondiale sur une trajectoire soutenable implique une réduction des inégalités de revenus. La majorité des pays connaissent encore aujourd’hui un niveau d’inégalités incompatible avec la stabilité macroéconomique. Selon Lansley, il importe d’établir une répartition plus égale des revenus de marché, c’est-à-dire celle précédant la redistribution. Les gouvernements élus doivent davantage s’impliquer dans la distribution factorielle des revenus et la distribution salariale. Le rapport de force doit être réorienté en faveur du travail, notamment en accroissant le pourvoir de négociation salariale. L’imposition doit être davantage progressive et les niches fiscales éliminées. De tels changements ne seront pas faciles à mettre en place, notamment en raison de l’opposition qu’ils rencontreront de la part de ceux qui ont le plus à perdre, mais ils s’avèrent nécessaires pour faire émerger un modèle de capitalisme soutenable.

 

Références  Martin ANOTA

BERG, Andrew G., & Jonathan D. OSTRY (2011), « Equality and Efficiency », in Finance & Development, vol. 48, n° 3.

LANSLEY, Stewart (2012a), « Inequality, the crash and the crisis. Part 1: The defining issue of our times », in OECD Insights (blog), 11 juin.

LANSLEY, Stewart (2012b), « Inequality, the crash and the crisis. Part 2: A model of capitalism that fails to share the fruits of growth », in OECD Insights (blog), 13 juin.

LANSLEY, Stewart (2012c), « Inequality, the crash and the crisis. Part 3: The Limit to Inequality », in OECD Insights (blog), 15 juin.

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