La Grande Récession a fait basculer les économies avancées dans une trappe à liquidité : les autorités monétaires ont rapproché leurs taux directeurs au plus proche de leur borne zéro (zero lower bound), mais la crise mondiale a été d’une telle violence qu’il aurait fallu un taux directeur négatif pour ramener les économies au plein emploi. Dans une telle situation, la politique monétaire se retrouve excessivement restrictive. Les banques centrales ont alors mis en place des mesures de politique monétaire qualifiées de « non conventionnelles » pour relancer davantage l’activité. Elles ont notamment acheté des actifs à grande échelle et adopté le forward guidance pour guider les anticipations.
Stephen Williamson (2013a) s’est demandé quel est l’impact macroéconomique des achats de titres publics de longue maturité auxquels procède la Fed à travers ses opérations d’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Cette politique vise à réduire les taux d’intérêt à long terme en modifiant les prix relatifs d’actifs. Ce faisant, les autorités monétaires espèrent accroître l’investissement et plus largement la demande globale. Les économistes s’accordent généralement pour considérer que l’assouplissement quantitatif tend effectivement à stimuler l’activité et à générer des tensions inflationnistes, même s’ils ne sont pas d’accord sur l’ampleur de ces répercussions. Pour Williamson toutefois, lorsque l’économie se trouve dans une trappe à liquidité, l’assouplissement quantitatif provoque une déflation à long terme. Ce résultat est contre-intuitif. En outre, à la différence des autres auteurs, Williamson considère la déflation comme bénéfique. Mais il les rejoint quant il suggère que la politique budgétaire est efficace dans une telle situation. Les conclusions de Williamson ont soulevé de nombreuses critiques, notamment celle de nouveaux keynésiens comme Brad DeLong ou Paul Krugman. Williamson ne réfléchit pas à partir du même type de modélisation. Il se veut être le porte-parole d’un courant de pensée qualifié de « nouveau monétarisme » (new monetarism), en référence à l’école regroupée autour de Friedman, duquel il reprend de nombreuses idées.
Pour expliquer ses résultats, Williamson (2013b) rappelle tout d'abord que les actifs n’ont pas le même rendement. Cela s’explique par des différences en termes de risque et de liquidité. Certains actifs sont plus risqués que d’autres ; certains actifs sont plus liquides que d’autres, etc. Bref, chaque actif possède une plus ou moins grande prime de liquidité, tout comme il possède une plus ou moins grande prime de risque. Dans ce cadre, la monnaie est un actif comme un autre, à ceci près qu’elle ne présente aucun risque et s’avère être la liquidité par excellence. Avec la crise financière, l’offre d’actifs liquides du secteur privé s’est effondrée et la demande pour les titres publics s’est envolée. Autrement dit, les agents ont présenté une plus forte préférence pour la liquidité. Et comme les consommateurs ont besoin d’actifs liquides pour acheter des biens, la pénurie de liquidité conduit à ce que la demande de biens soit trop faible pour qu’il y ait plein emploi [Williamson, 2013c].
En temps normal, le taux d’intérêt nominal est positif, donc le taux de rendement sur la dette publique de court terme est plus élevé que celui de la monnaie. Dans la logique de Williamson, cela s’explique par le fait que la prime de liquidité est plus élevée pour la monnaie, car selon lui les deux actifs présentent le même risque. Par contre, dans une trappe à liquidité, le taux d’intérêt nominal est nul, donc les taux de rendement sur la monnaie et la dette publique de court terme sont les mêmes. Leur rendement est égal à moins le taux d’inflation. La prime de liquidité sur la monnaie et les titres publics de court terme est la même et elle est positive. Si le Trésor émet davantage de dette, la prime de liquidité diminue sur tous les actifs. Le taux de rendement sur la monnaie et la dette publique de court terme doit donc s’élever, ce qui exige une baisse du taux d’inflation.
Williamson précise son propos. Dans une trappe à liquidité, la dette publique de court terme est plus liquide que celle de long terme : les titres publics de court terme sont en effet davantage utilisés comme collatéraux car leur prix est moins volatile. Par conséquent, si la banque centrale pratique l’assouplissement quantitatif, c’est-à-dire fournit de la dette publique de court terme en échange de dette publique de long terme, le stock d’actifs liquides sera plus important au niveau agrégé, ce qui va réduire le taux d’inflation.
A l’équilibre, l’assouplissement quantitatif provoque de la déflation et Williamson estime que cet équilibre est loin d’être instable. Le fait que le Japon ait passé plusieurs décennies avec la déflation, malgré les taux d’intérêt nominaux ramenés à leur borne zéro et d’épisodiques assouplissements quantitatifs, suggère qu’un tel équilibre peut effectivement être stable.
Même s’il ne partage pas les conclusions de Williamson, Ryan Avent (2013) suggère un canal bien particulier à travers lequel l’assouplissement quantitatif génère une pression déflationniste. Si une banque centrale fait usage de l’assouplissement quantitatif, c’est que ses taux directeurs sont très certainement à leur borne inférieure zéro. L’assouplissement quantitatif ne va toutefois permettre de sortir l’économie de la borne zéro que si la banque centrale s’engage à générer à l’avenir une plus forte inflation. Si l’assouplissement quantitatif est mis en œuvre sur une longue période de temps, cela signifie que la banque centrale ne s’engage pas à générer une plus forte inflation. Le maintien de cette politique monétaire suggère ainsi aux agents économiques que l’activité économique restera longtemps sous son potentiel, si bien qu'ils ne sont pas incités à investir davantage. Ainsi, l’assouplissement quantitatif va s’accompagner d’une tendance générale à la désinflation.
Références
AVENT, Ryan (2013), « Monetary policy: Is QE deflationary? », in Free Exchange, 4 décembre.
SMITH, Noah (2013), « Does QE cause deflation? », in Noahpinion (blog), 1er décembre.