Source : Reuters
Le baril de Brent a vu son cours augmenter de 14 % depuis le début de l’année. Les prix pétroliers semblent n’avoir eu pour l’heure qu’un effet limité sur la croissance mondiale, toutefois Marco Annunziata met en garde sur trois points. Premièrement, le pétrole est un actif à haut rendement dans un monde où les actifs sans risque n’ont aucun rendement. La liquidité globale est propre à amplifier les fluctuations de son prix et de à faire fortement dévier ce dernier de ses fondamentaux. Deuxièmement, jamais jusqu’à maintenant l’économie mondiale n’a connu de croissance « normale » avec un cours du baril supérieur à 120 dollars. Troisièmement, les prix du pétrole semblent essentiellement entraînés par la demande, ce qui signifie que l’économie mondiale est davantage vulnérable à un choc d’offre. Ce dernier surviendrait alors que les prix sont déjà très élevés. Les stocks de secours en pétrole sont bien trop limités pour compenser une soudaine interruption du transit de cargaisons dans le détroit d'Ormuz. Selon Nouriel Roubini, le prix du pétrole intégrerait déjà une « prime de crainte » (fear premium) matérialisant les inquiétudes suscitées par la perspective d’un conflit irano-israëlien. Un tel événement géopolitique, dans un contexte d’abondante liquidité en quête de rendement, provoquerait un choc pétrolier d’une ampleur inédite.
Les exportateurs ou importateurs de pétrole sont dans une position asymétrique face à une hausse substantielle de son prix. Les mécanismes de transmission d’un choc pétrolier dans une économie importatrice se présentent comme suit. La hausse du prix du pétrole entraîne tout d'abord une détérioration des termes de l'échange, qui se traduit par un transfert net de richesse vers les exportateurs de pétrole. Puisque le pétrole constitue un élément non négligeable de la consommation intermédiaire et de la consommation finale, aucun résident de l’économie importatrice n’est épargné. La hausse du prix pétrolier augmente les coûts de production des entreprises et réduit ainsi leur capacité à produire et à distribuer des revenus. Avec la décélération de la productivité, elles vont avoir tendance à augmenter leurs prix (ce qui généralise la hausse des prix à l'ensemble des biens et services) et/ou à baisser les salaires pour amortir l'impact sur leurs profits. Même s'ils ne sont pas révisés à la baisse, les salaires nominaux sont fixés pour une année, donc les salaires réels diminuent. La hausse des prix déprime ainsi également la demande globale : ménages et entreprises diminuent leurs dépenses, ce qui pèse à nouveau sur l’offre. L'incertitude concernant l'environnement économique et l'éventuel resserrement de la politique monétaire affaiblissent la consommation de biens durables et l'investissement. Les conséquences sont naturellement néfastes pour l'emploi.
Marco Annunziata identifie au niveau mondial les (quelques) gagnants et (nombreux) perdants d’un éventuel choc pétrolier. Les producteurs pétroliers du Moyen-Orient obtiendraient peut-être un plus haut prix pour le baril, mais leurs exportations de barils seraient moindres et ils souffriraient directement des tensions géopolitiques. Les autres producteurs, tels que la Russie et le Venezuela, en seraient les plus grands bénéficiaires.
Les économies développées seraient violemment frappées par un choc pétrolier, malgré la diminution de leur dépendance énergétique au cours des dernières décennies. Au sortir de la Grande Récession, les marges budgétaires apparaissent limitées ou plutôt la dynamique des endettements publics désincite les gouvernements à stimuler budgétairement l’activité. Les Etats-Unis verraient leur timide reprise compromise, tandis que la récession européenne s’aggraverait dramatiquement, surtout si la BCE relevait ses taux pour combattre les tensions inflationnistes. Nombre de pays émergents se montrent également vulnérables. Une envolée des prix pétroliers alourdirait fortement le large déficit courant de la Turquie. Puisque l’Inde subventionne fortement les prix domestiques du fuel, une envolée des prix pétroliers l’amènerait à arbitrer entre creuser un plus large déficit budgétaire ou laisser le taux d’inflation exploser. Enfin, les petites économies ouvertes telles que la Corée du Sud ou la Thaïlande souffriraient directement du ralentissement de la croissance mondiale et du commerce international.
At last but not at least, un choc pétrolier d’origine géopolitique se traduirait par une forte remontée de l’aversion au risque et par conséquent un reflux des capitaux hors des actifs risqués et de plusieurs marchés émergents. Les devises refuges (dollar, france suisse et yen) s’apprécieraient ; la dépréciation des autres devises gonflerait encore la facture énergétique de leur émetteur.