La loi d’Okun suggère qu’un déclin de la croissance économique compris entre 2 et 3 points de pourcentage est typiquement associé à une hausse du taux de chômage d’un point de pourcentage. Si la relation est remarquablement stable à long terme, elle peut considérablement varier à court terme. Certains ont suggéré que la relation changeait lors des crises économiques. Par exemple, lors de la Grande Récession, les turbulences financières et la chute des prix immobiliers pourraient avoir entraîné un chômage plus élevé pour un niveau donné de la production. D’autres suggèrent que le chômage tend à moins baisser lorsque la production augmente car il peut y avoir une pénurie de travailleurs aux compétences spécifiques pour les emplois nouvellement disponibles. Laurence Ball, Daniel Leigh et Prakash Loungani (2013) ont toutefois constaté que la loi d’Okun demeure une relation robuste et stable, même lors de la récente crise économique.
Les diverses études qui se sont penchées sur le lien empirique entre PIB et chômage n'ont pas distingué les évolutions du PIB selon l'évolution de ses composantes. Or Robert Anderton, Ted Aranki, Boele Bonthuis et Valerie Jarvis (2014) affirment qu’une version de la relation d’Okun qui distingue la réaction du chômage en fonction des différentes composantes du PIB, permet de prédire plus finement l’évolution du chômage qu’une relation d’Okun agrégée. Les quatre auteurs testent cette hypothèse en utilisant un ensemble de données relatives à 17 pays-membres de la zone euro au cours de la période s’étalant entre le premier trimestre 1996 et le dernier trimestre 2013. Celle-ci couvre donc la préparation de l’UEM, son lancement, les années de « forte croissance » du milieu des années deux mille, puis la Grande Récession et la crise de la zone euro.
Leur analyse suggère que le chômage de la zone euro est particulièrement sensible aux variations de la composante consommation du PIB, mais peu sensible aux évolutions du commerce extérieur, en l’occurrence aux évolutions des exportations et des importations. La forte sensibilité du chômage à la consommation s’expliquerait par la nature intensive en travail des services, ces derniers représentant l’essentiel des dépenses de consommation. A l’inverse, les exportations de biens représentent 75 % des exportations en zone euro et c’est le secteur industriel qui les produit essentiellement. Or ce dernier se caractérise par une plus forte productivité et un contenu moins intensif en travail que les services.
Cette réaction différentielle du chômage peut contribuer à expliquer les différences que l’on a pu observer d’un pays-membre à l’autre dans l’évolution du chômage pour une variation donnée de la production. En outre, l’élasticité relativement faible du commerce extérieur peut expliquer pourquoi le taux de chômage de plusieurs pays-membres (en particulier celui des grands exportateurs comme l’Allemagne où la contraction de l’activité s’explique principalement par la chute des exportations) ne s’est pas autant accru que ne l’aurait suggéré une simple relation d’Okun agrégée. Inversement, des pays-membres come l’Espagne ou la Grèce ont connu une forte détérioration de la demande agrégée et une forte hausse du chômage ; cette étude confirme donc que la seconde s’explique bel et bien par la première.
Certes l’adoption d’un modèle de croissance orienté sur la demande extérieure permet peut-être de déconnecter le chômage des évolutions de l’activité domestique. Pourtant les résultats d’Anderton et alii amènent à douter de l’opportunité de mettre en œuvre certaines réformes structurelles en période de récession dans l’objectif de réduire le chômage. Par exemple, les pays périphériques de la zone euro ont mis en œuvre des dévaluations internes visant à stimuler la demande extérieure. De telles réformes ont alimenté le chômage à court terme en déprimant la demande domestique, mais elles furent mises en œuvre dans l’espoir de stimuler la création d’emploi à moyen terme avec l’essor des exportations. Or cette nouvelle étude suggère que ces gains de moyen terme ne peuvent compenser les destructions d’emploi à court terme. La création d’emplois demeure intimement liée à la demande intérieure.
Références
ANDERTON, Robert, Ted ARANKI, Boele BONTHUIS et Valerie JARVIS (2014), « Disaggregating Okun's law: Decomposing the impact of the expenditure components of GDP on euro area unemployment », BCE, working paper, n° 1747, décembre.
BALL, Laurence M., Daniel LEIGH & Prakash LOUNGANI (2013), « Okun's law; Fit at 50? », FMI, working paper, n° 13/10.
OKUN, Arthur M. (1962), « Potential GNP: its measurement and significance », American Statistical Association, Proceedings of the Business and Economics Statistics Section.