Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
11 janvier 2014 6 11 /01 /janvier /2014 12:10

Depuis les années quatre-vingt-dix, les banques centrales ont adopté plus ou moins officiellement le ciblage d’inflation (inflation targeting) : elles annoncent une cible, c’est-à-dire un taux d’inflation (généralement 2 %), et assouplissent ou resserrent leur politique monétaire de manière à l’atteindre à moyen terme. En n’adoptant qu’un seul objectif et en s’y conformant, la banque centrale évite à ce que le taux d’inflation dérape en ancrant plus fermement les anticipations d’inflation. Pour certains, le ciblage d’inflation a contribué à ce que le taux d’inflation se stabilise à un faible niveau, précisément proche de 2 %, dans les pays avancés (bien que tous les économistes ne partagent pas cette interprétation). Cette pratique n’est toutefois pas sans rencontrer plusieurs critiques. Certains la jugent insuffisante pour garantir la stabilité des prix. D’autres estiment qu’un tel régime favorise l’endettement, la formation de bulles spéculatives et donc les crises financières (c’est notamment l’idée du paradoxe de la crédibilité développée par Claudio Borio au sein de la Banque des Règlements Internationaux). D’autres encore jugent que cibler un taux d’inflation de 2 % ne permet pas aux autorités monétaires de contrer efficacement des chocs de demande de grande ampleur, ce qui fut précisément le cas lors de la Grande Récession : au cours de celle-ci, les banques centrales ont ramené leur taux directeur au plus proche de zéro sans pour autant parvenir à rétablir le plein emploi. Si ces auteurs-ci ne préconisent pas forcément d’abandonner le ciblage d’inflation, ils suggèrent toutefois de relever le niveau ciblé (par exemple, 4 % au lieu de 2 %).

Si beaucoup de banquiers centraux et d’économistes jugent crucial à ce que les autorités monétaires ciblent une valeur nominale de manière à stabiliser plus efficacement les anticipations, tous ne s’accordent pas sur la variable ciblée, notamment pour les raisons que nous venons d’évoquer. Certains ont proposé à ce que les banques centrales ciblent, non pas un taux d’inflation, mais un niveau des prix : les banques centrales annoncent alors un niveau d’indice des prix et utilise ses instruments de politique monétaire de manière à l’atteindre à moyen terme [Kahn, 2009]. En effet, même si le ciblage d’inflation permet de stabiliser l’inflation, il n’amène toutefois pas les banques centrales à rattraper les années où elle n’a pas atteint sa cible et le futur niveau général des prix demeure incertain pour les agents. Le ciblage du niveau des prix permet alors de soulever cette incertitude, ce qui incite les entreprises et entreprises à davantage dépenser lorsque l’activité est déprimée et surtout à mieux gérer leurs investissements de long terme. Puisque l’environnement macroéconomique se caractérise actuellement par une très faible inflation, parvenir à générer des anticipations d’inflation positive permettrait de maintenir des taux d’intérêt négatifs et donc d’inciter les agents à investir davantage.

De leur côté, Scott Sumner et les partisans du monétarisme de marché (market monetarism) ont proposé à ce que les banques centrales adoptent le ciblage du PIB nominal (NGDP targeting). Par exemple, en cherchant une croissance du PIB nominal de 5 %, les autorités monétaires éviteraient à ce que l’économie connaisse une récession en termes nominaux et stimuleraient plus efficacement la demande globale. Si la banque centrale ne parvenait toutefois pas à générer une croissance nominale de 5 % au cours d’une année, elle pourra toujours rattraper son retard les années suivantes. Si par exemple la Fed avait ciblé le revenu nominal, elle aurait assoupli plus rapidement sa politique monétaire au début de la Grande Récession et déployé davantage de mesures non conventionnelles. Selon les partisans du ciblage de la production nominale, l’adoption de cette pratique permettrait également aux autorités monétaires de stimuler plus efficacement la reprise en permettant à l’économie de croître plus rapidement en sortie de récession et à la production nominale de rattraper sa trajectoire d’avant-crise. 

Beaucoup d’auteurs ont souligné qu’il est essentiel que la banque centrale s’engage fermement à atteindre sa cible pour mieux ancrer les anticipations et atteindre effectivement sa cible. L’engagement apparaît particulièrement crucial lorsque la banque centrale cherche à stabiliser l’activité face à un puissant choc de demande globale. Les nouveaux keynésiens Gauti Eggertsson et Michael Woodford (2003) suggèrent que la pratique du forward guidance permet aux banques centrales de sortir l’économie d’une trappe à liquidité. En effet, si la politique monétaire s’avère excessivement restrictive alors même que le taux directeur a déjà atteint sa borne inférieure zéro (zero lower bound), l’économie fait face à de perpétuelles pressions déflationnistes et s’éloigne continûment du plein emploi. La banque centrale peut alors s’engager à maintenir ses taux directeur à un faible niveau sur une période prolongée : en guidant ainsi les anticipations, elle incite les agents privés à investir, ce qui stimule l’activité. Surtout, elle peut s’engager aujourd’hui à maintenir des conditions extrêmement accommodantes même après que l’économie soit sortie de la trappe à liquidité : puisqu’ils anticipent un boom après la période où l’économie est dans une trappe à liquidité, les agents privés sont encore plus incités à investir dans la période courante.

Roc Armenter (2013) se montre bien pessimiste quant à l’efficacité du ciblage d’une variable nominale, quelle qu’elle soit. Il suffit que les anticipations ne s’accordent pas avec le niveau ciblé à un instant donné pour que les autorités monétaires ne parviennent pas à atteindre leur cible, or la présence de la borne du zéro pour les taux directeurs risque précisément de générer un tel décalage. En raison de la borne inférieure zéro, les anticipations d’inflation limitent la gamme possible de taux d’intérêts réels, ce qui limite par conséquent les niveaux d’inflation et de production que la banque centrale peut atteindre. Si les anticipations d’inflation sont très faibles, alors la banque centrale ne peut que pousser les agents privés à revoir leurs anticipations d’inflation et de production à la baisse lorsqu’elle augmente son taux directeur. L’option la moins coûteuse consiste alors pour les autorités monétaires de valider les anticipations des agents privés, auquel cas les équilibres multiples apparaissent. 

Si la banque centrale a adopté le ciblage d’inflation, il n’y a pas d’équilibre unique. Il existe un bon équilibre où l’inflation et la production fluctuent autour de leur cible ; si l’économie fait face à un puissance choc de demande, la banque centrale peut assouplir sa politique monétaire, si bien que le taux directeur n’est que très rarement contraint par la borne inférieure zéro. Mais l’économie peut également se retrouver à un mauvais équilibre où le taux directeur reste bloqué à la borne du zéro et où le taux d’inflation ne cesse pourtant de s’éloigner de sa cible. La banque centrale ne parvient alors pas à ancrer les anticipations et celles-ci demeurent pessimistes : l’économie est enfermée dans une trappe à anticipations (expectations trap). Le ciblage du niveau des prix a beau introduire une variable d’état endogène, en l’occurrence le niveau des prix ou bien son écart par rapport à une trajectoire prédéterminée, l’économie fait toujours face à des équilibres multiples : à un bon équilibre, la banque centrale parvient à maintenir le niveau des prix à la cible ou sur la trajectoire ciblée ; au mauvais équilibre, le taux directeur se retrouve rapidement et durablement à sa borne zéro sans pour autant que les autorités monétaires parviennent à désamorcer la spirale déflationniste : le niveau général des prix chute continûment, s’éloignant sans cesse de sa cible et entretenant ainsi les anticipations pessimistes des agents. L’auteur trouve les mêmes résultats en ce qui concerne le ciblage de la production nominale. 

Surtout, Armenter n’est pas convaincu par l’efficacité de la stratégie de forward guidance en situation de trappe à liquidité. L’engagement à laisser les taux directeurs à un faible niveau bien plus longtemps que l’exigent les conditions macroéconomiques ne permet pas forcément de sortir l’économie d’une trappe à liquidité. A un équilibre déflationniste, les agents privés anticipent déjà un maintien du taux directeur à un faible niveau, si bien que cette forme de forward guidance ne fait que valider ces anticipations et maintient l’économie à ce mauvais équilibre. 

 

Références

ARMENTER, Roc (2013), « The perils of nominal targets », Federal Reserve Bank of Philadelphia, working paper, 10 décembre.

EGGERTSSON, Gauti, & Michael WOODFORD (2003), « The zero bound on interest rates and optimal monetary policy », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 1/2003.

KAHN, George A. (2009), « Beyond inflation targeting: Should central banks target the price level? », in Federal Reserve Bank of Kansas Economic Review, troisième trimestre.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher