En 155 ans, l’exploitation de pétrole a connu de nombreux booms et effondrements, notamment au gré du progrès technique. James Hamilton (2014) cherche à montrer dans son récent document de travail que les récents développements que le secteur ont connu marquent une rupture dans l’usage de cette énergie.
GRAPHIQUE 1 Consommation de pétrole des pays développés
Hamilton revient tout d’abord sur les dynamiques touchant la demande. Au cours du vingtième siècle, les plus grandes économies avancées ont été les premiers consommateurs de pétrole. Depuis 1984 et ce pendant près de deux décennies, la consommation quotidienne de pétrole des Etats-Unis, du Canada, de l’Europe et du Japon s’est accrue en moyenne chaque année d’environ 440.000 barils (cf. graphique 1). Cette tendance s’est inversée au cours de la dernière décennie. La consommation quotidienne de pétrole dans les pays développés a chuté en moyenne de 700 000 barils chaque année. Fin 2012, elle était inférieure d’environ 8 millions de barils à ce qu’elle aurait été si la tendance passée s’était poursuivie. Le ralentissement de la consommation de pétrole des pays avancés s’explique par le déclin de la production, du revenu et de la consommation associé à la Grande Récession, mais aussi et surtout par le doublement du prix du pétrole depuis 2005. Par contre, la consommation quotidienne des économies en développement s’est accrue chaque année de 650 000 barils entre 1984 et 2005, puis encore plus rapidement ensuite (cf. graphique 2). La seule croissance de la Chine explique 57 % de cet accroissement depuis 2005. Les pays en développement sont aujourd’hui à l’origine de 55 % de la consommation mondiale de pétrole, contre un tiers en 1980. Désormais, la demande mondiale de pétrole est tirée par les pays en développement.
GRAPHIQUE 2 Consommation de pétrole des pays en développement
Avant 2005, la production s’accroissait annuellement de 8,7 millions de barils par jour, mais seulement de 2,3 millions de baril par an entre 2005 et 2013, alors même que la demande des pays en développement s’accélérait. Si les prix n’avaient pas augmenté, la demande aurait dépassé l’offre. La stagnation de la production mondiale de pétrole signifie que les prix vont être significativement plus élevés.
Hamilton se penche sur les éventuelles raisons expliquant pourquoi la production mondiale de pétrole a stagné durant cette période de forte demande. L’un des facteurs retenant la production de pétrole dans plusieurs endroits aujourd’hui est le désordre géopolitique. Les événements libyens ont particulièrement contribué à la stagnation de la production au cours des trois dernières années. Les sanctions continuent de réduire la production iranienne et les attaques sur les infrastructures pétrolières maintiennent la production nigérienne sous son potentiel. Environ 400.000 barils par jour sont perdus en raison des conflits au Soudan et en Syrie. Au niveau mondial, l’ensemble des problèmes géopolitiques entraînerait une perte journalière de 3,3 millions de barils en juin 2014, ce qui explique entre un tiers et la moitié de la pénurie. Les récents développements géopolitiques amènent Hamilton à penser que la production de pétrole est davantage susceptible de chuter que d’augmenter.
Hamilton se tourne ensuite vers les limitations géologiques. Il rappelle que la production saoudienne de pétrole est restée relativement insensible à la demande durant la dernière décennie, sauf durant les récessions de 2001 et de 2008-2009 au cours desquelles elle diminua. Certains analystes considèrent qu’il s’agit d’une décision délibérée et que la plupart des membres de l’OPEP sont capables d’accroître significativement leur production. Hamilton montre toutefois que la stagnation de la production pétrolière au Moyen-Orient a été synchrone avec une intensification des efforts de forage. Certes la baisse de la production de l’OPEP lors de la Grande Récession a peut-être été délibérée, mais il n’en reste pas moins que le Moyen-Orient consacre de plus en plus de ressources pour le développement en amont, mais n’en retire qu’un maigre bénéfice en termes de production. Hamilton observe la même dynamique en observant les 11 plus grandes compagnies pétrolières : leur production a chuté de 2,5 millions de barils par jour depuis 2005, alors même que leurs dépenses en capital immobilisations triplaient. Cela s’explique notamment par l’épuisement des plus vieux réservoirs et le coût élevé associé au développement des nouvelles ressources.
Aux Etats-Unis, le déclin de la production américaine a été compensé par l’exploitation de l’immense champ alaskien de Prudhoe Bay et surtout par l’exploitation récente du pétrole de schiste. Celle-ci pourrait ramener la production des Etats-Unis à son pic de 1970, voire même au-delà. Pourtant, pour Hamilton, il est clair que les prix réels du pétrole ne vont pas retourner aux valeurs qu’ils atteignaient il y a une décennie. L’une des raisons est qu’il est bien plus coûteux de produire du pétrole avec ces méthodes. La plupart des entreprises produisant à partir des formations de pétrole de schiste dépensent plus qu’elles rapportent aux prix courants. Le pétrole de schiste pourrait contribuer à contenir la tendance haussière des prix, mais il ne va pas ramener les prix du pétrole à leurs plus bas historiques : ils vont rester supérieurs à 100 dollars.
Référence