Avant qu’éclate la crise financière, l’économie mondiale connaissait un gonflement des déséquilibres des comptes courants. Ce sont en particulier le déficit américain et l’excédent chinois qui étaient au centre de toutes les attentions. Ces déséquilibres globaux s’expliquent en partie par des déséquilibres domestiques (notamment par une épargne excessive, comme dans le cas de la Chine ou de l’Allemagne, ou bien la formation de bulles d’actifs dans les pays déficitaires), mais aussi par l’adoption de pratiques commerciales non concurrentielles ou encore par le maintien de politiques de change non coopératives (comme dans le cas de la Chine, qui freinait l’appréciation du yuan pour maintenir la compétitivité de ses produits sur les marchés internationaux).
Les analystes craignaient à l’époque qu’une réduction du déficit américain passe par une forte réduction de la demande aux Etats-Unis, ce qui aurait non seulement pénalisé la croissance américaine, mais aussi la croissance mondiale. En outre, ils craignaient que les pays déficitaires connaissent soudainement une perte de confiance de la part des marchés internationaux et perdent par là même accès au financement mondial. Dans le cas des Etats-Unis, cela aurait pu avoir de profondes répercussions sur le reste du monde et conduire à l’effondrement du système monétaire et financier international. Les larges excédents ont été jugés comme moins inquiétants, mais il n’en demeure pas moins qu’ils font peser des risques sur les pays qui les génèrent et sur l’économie mondiale. Un pays dont la stratégie de croissance repose sur la seule demande extérieure le laisse vulnérable à tout retournement de l’activité mondiale. En outre, en générant un excédent extérieur, c'est-à-dire en épargnant davantage qu'il importe, un pays exerce une pression déflationniste sur le reste du monde. Certains ne manquent pas de rappeler que certains pays ne pourraient connaître des déficits courants si d'autres pays ne généraient pas symétriquement des excédents courants pour les financer. Peut-être que la bulle immobilière n'aurait pas atteint une telle ampleur aux Etats-Unis si le déficit chinois n'avait pas contribué à la financer. De la même manière, les déficits des pays périphériques de la zone euro n'auraient pas été possibles si le coeur de la zone euro n'avait pas exporté son épargne pour les financer.
GRAPHIQUE Les déséquilibres de comptes courants (en points de pourcentage du PIB mondial)
La crise financière mondiale est venue mettre à terme à l’accumulation de ces déséquilibres. Dans les Perspectives de l’économie mondiale publiées par le FMI ce mois d’octobre, Aqib Aslam, Samya Beidas-Strom, Marco Terrones et Juan Yépez (2014a, b) observent cet ajustement mondial. Les déséquilibres de comptes courants ont atteint un pic en 2006 en représentant alors 5,6 % du PIB mondial. Depuis, ils se sont fortement réduits, atteignant notamment 3,6 % du PIB mondial. Ils se sont aussi reconfigurés. Le déficit américain (rapporté au PIB mondial) a presque été divisé par trois. En fait, les déficits qui ont le plus attiré l’attention depuis la crise financière mondiale sont ceux de certains pays « périphériques » de la zone euro. Désormais, l’Espagne, la Grèce, l’Italie, la Pologne et le Portugal génèrent désormais des excédents courants (même de faible ampleur), mais en général au prix d’un douloureux ajustement externe. Certains pays avancés exportateurs de matières premières, comme l’Australie et le Canada, virent leurs déficits s’aggraver. Certains pays européens (notamment l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse) et certains pays exportateurs de pétrole (comme l'Arabie Saoudite, le Koweït et le Qatar) continuent d’engranger de larges excédents. L’excédent chinois (rapporté au PIB mondial) a été divisé par deux, notamment raison de l’investissement, de la relance budgétaire menée lors de la crise mondiale, des booms du crédit et des prix d’actifs et de la faiblesse de la demande extérieure. L’excédent japonais a disparu, laissant place à un déficit pour la première fois depuis 1980, notamment en raison du tsunami et de l’abenomics. Certains pays émergents, comme le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique et la Turquie, ont vu leurs excédents se muer en déficits.
Aqib Aslam et ses coauteurs affirment que la réduction des larges excédents de comptes courants a réduit les risques systémiques pesant sur l’économie mondiale, mais deux sujets d’inquiétude demeurent. Tout d’abord, les ajustements extérieurs s’expliquent principalement par la compression de la demande dans les pays déficitaires et par la reprise soutenue de l’activité que les pays émergents et plusieurs pays exportateurs de matières premières ont connue suite à la Grande Récession. Cela signifie que dans plusieurs pays, les déséquilibres externes ont été réduits au prix d’une accumulation de déséquilibres internes, notamment d’un chômage de masse et d’un écart de production fortement négatif. C’est un constat que faisaient déjà Lane et Milesi-Ferretti (2014) il y a quelques mois. Par contre, les variations des taux de change n’ont joué qu’un rôle limité dans la correction des déséquilibres extérieurs ; il existe toutefois quelques exceptions, en particulier la Chine et les Etats-Unis. D’autres chocs ont contribué à réduire la taille absolue des déséquilibres courants, notamment l’essor de la production énergétique aux Etats-Unis ou bien le déclin de la production énergétique au Japon suite au tsunami de 2011. Les auteurs considèrent que les déséquilibres externes pourraient rester durablement faibles, dans la mesure où l’effondrement de la demande domestique s’est accompagné d’une dégradation de la production potentielle. Les estimations de cette dernière restent toutefois soumises à de fortes incertitudes. Rien ne certifie que les déséquilibres extérieurs ne s’accroissent pas à nouveau, en particulier lorsque la demande domestique s’accroîtra à nouveau dans les pays qui connaissaient autrefois de larges déficits extérieurs.
Ensuite, les déséquilibres en termes de flux se sont certes contractés, mais ils ne se sont pas inversés, si bien que les positions créditrices et débitrices (c’est-à-dire les déséquilibres en termes de stocks) ont continué à s’aggraver ces dernières années. La faiblesse de la croissance et de l’inflation a contribué à accroître le ratio dettes externes nettes sur PIB dans plusieurs pays débiteurs. La liste des larges débiteurs et créanciers présente une forte inertie. Ces économies restent donc vulnérables aux changements d’humeur des marchés et à un éventuel resserrement des conditions de financement mondial. Le risque semble toutefois plus faible pour les Etats-Unis qu'à la veille de la crise mondiale, notamment car le dollar a su maintenir son rôle de devise internationale.
Aqib Aslam et alii préconisent naturellement aux pays débiteurs de stimuler leur demande extérieure en adoptant des mesures accroissant leur compétitivité. Mais ils soulignent également que l’ajustement doit être symétrique : les pays excédentaires doivent également y participer en stimulant leur demande domestique. C’est de la plus simple arithmétique : les pays déficitaires ne peuvent en effet accroître leurs exportations que si les pays excédentaires concèdent à importer davantage. En outre, les pays excédentaires contribuent de facto à freiner la croissance mondiale en cherchant à comprimer leur demande domestique.
Références
LANE, Phillip R., & Gian Maria MILESI-FERRETTI (2014), « Global imbalances and external adjustment after the crisis », Fonds monétaire international, working paper, août.