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20 août 2014 3 20 /08 /août /2014 10:56

Au cours des deux derniers siècles, beaucoup ont affirmé que les pays devaient s’industrialiser pour que leur croissance décolle et que leur niveau de vie converge vers celui des pays avancés. C’est notamment le cas de William Baumol, Nicholas Kaldor, Arthur Lewis, Ragnar Nurkse, Dani Rodrik pour citer les plus connus. Récemment, c’est précisément en s’industrialisant que les tigres asiatiques ont su rejoindre le club des pays avancés. Réciproquement, beaucoup ont considéré les services comme peu utiles, dotés d’une faible valeur et don par conséquent peu rémunérateurs pour leurs prestataires. William Baumol (1967) estimait que les services sont réfractaires aux gains de productivités, car ils nécessitent des relations de face à face, qui sont par nature peu enclins à la standardisation et aux échanges commerciaux, or selon lui ce sont précisément ces derniers qui constituent selon le moteur de croissance de la productivité.

Comme le montrent Prakash Loungani et Saurabh Mishra (2014), le secteur tertiaire a connu de profonds bouleversements au cours des dernières décennies, en particulier au cours de la dernière. Désormais beaucoup de services sont à forte intensité technologique et leurs prestataires sont fortement rémunérés. Certains suggèrent que les services contribuent bien plus à la croissance économique et à l’emploi que l’industrie aussi bien dans les pays à faible revenu que les pays à haut revenu. En effet, le secteur tertiaire contribue déjà à 60 % de l’emploi mondial.

Grâce au développement des technologies de l’information et de la communication, la réalisation d’un service nécessite de moins en moins une relation de face-à-face, ce qui brouille davantage la distinction entre biens et services : tous comme les biens, un service n’est pas nécessairement consommé là où il est produit. Le nombre d’activités pouvant être numérisées et exportées ne cesse de s’élargir, une évolution qui se reflète par l’accroissement de la part des services dans les exportations mondiales : en l’occurrence, au cours de la dernière décennie, les exportations de services « modernes » se sont développées plus rapidement que celles des produits manufacturés. Autrefois le secteur des services dépendait étroitement de la demande domestique, mais désormais il pourrait davantage dépendre de la demande mondiale, ce qui réduit les problèmes de débouchés que pourrait rencontrer le secteur tertiaire d’un pays donné lorsque le niveau de vie domestique est faible.

Le progrès technique et l’essor des échanges ont contribué à améliorer la productivité des services. A l’instar de la production des biens, la production d’un service peut être décomposée en plusieurs tâches et celles-ci ne sont pas nécessairement réalisées sur le même lieu physique. En l’occurrence, une entreprise peut faire réaliser chaque tâche par l’entreprise la plus à même pour la réaliser. La spécialisation et les économies d’échelle entraînent alors une hausse de la productivité des services. En outre, le développement du secteur manufacturier semble dépendre de plus en plus étroitement de l’offre de services, comme le démontre le processus même d’externalisation. Lorsqu’une entreprise décompose la production d’un bien en de multiples tâches, plusieurs d’entre elles peuvent relever des services : par exemple, la conception d’un produit nécessite de la recherche-développement et sa diffusion nécessite une activité de distribution.

Ces évolutions changent les trajectoires de croissance qui s’offrent aux pays en développement. La littérature économique suggère que les activités à forte valeur ajoutée tendent à se concentrer dans les pays développés, tandis que les activités à faible valeur ajoutée tendent à se concentrer dans les pays en développement. En d’autres termes, plus un pays se développe, plus la valeur ajoutée de ses activités s’accroît, plus il délaisse La réalité est un peu plus complexe : les entreprises des pays avancés font faire de plus en plus leurs activités les plus standardisées dans les pays en développement et certaines de ces activités sont à haute valeur ajoutée. Loungani et Mishra citent notamment comme exemples « la prolifération des bureaux spécialisés dans les conseils aux entreprises et le traitement des connaissances ainsi que l’explosion du commerce électronique et de la vente en ligne dans les pays émergents du Moyen-Orient, au Brésil, en Chine, en Inde et à Singapour ». Par conséquent, la part des pays en développement dans les exportations mondiales de services est passée de 14 % à 25 % entre 1990 et 2011. Les pays en développement exportent de plus en plus de services qui l’étaient jusqu’à présent par les seuls pays développés.

Parallèlement les mêmes dynamiques qui ont profité au secteur tertiaire ont également bouleversé le secteur manufacturier. Le progrès technique a rendu l’activité manufacturière plus intensive en capital et en compétences, si bien qu’il crée moins d’emplois qu’auparavant. Plusieurs pays en développement, notamment les pays africains, connaissent une « désindustrialisation prématurée » (pre-mature deindustrialization). Dani Rodrik s’est en l’occurrence inquiété à multiples reprises du fait que la part de l’activité manufacturière dans la production diminue dans les pays en développement bien plus tôt qu’elle l’a fait dans les pays développés.  Cela peut s’expliquer par le fait que les consommateurs des pays développés dépensent désormais avantage dans l’achat de services que dans l’achat de biens. Cela réduit la marge de croissance des pays cherchant à s’industrialiser, mais il n’y a pas de limites dans les services. 

Ejaz Ghani et Stephen O’Connell (2014) ont cherché à déterminer le rôle des différents secteurs d’activité dans la convergence entre les économies afin de déterminer quel chemin les pays en développement d’Afrique, les « lions africains », peuvent emprunter pour que l’amorce de croissance qu’ils connaissent actuellement puisse se pérenniser et leur permettre de rejoindre également le club des pays développés. Leurs constats empiriques suggèrent que la convergence mondiale a continué de façon plus intense. Le rythme de croissance des pays africains tout comme celui des émergents asiatiques est plus rapide que celui des pays développés. Le modèle de croissance des lions africains n’est toutefois pas le même que celui des tigres asiatiques : les seconds ont bénéficié d’un développement rapide du secteur manufacturé, alors que les premiers bénéficient de d’autres secteurs.

Les deux auteurs s’appuient sur plusieurs faits empiriques. Tout d’abord, les pays à faible revenu qui ont récemment amorcé leur décollage en Afrique et qui débutèrent avec un faible niveau de productivité du travail dans le secteur tertiaire ont connu la plus rapide croissance de la productivité du travail dans ce secteur. Les pays qui débutèrent avec un faible niveau de productivité du travail dans le secteur manufacturier ont connu la plus rapide croissance de cette productivité du travail. Ce résultat est cohérent avec les précédentes études qui suggéraient que le secteur manufacturé présentait une tendance à la convergence mondiale. Toutefois les pays en développement africains connaissent un plus lent développement de leur secteur manufacturier que les tigres asiatiques. En outre, les deux auteurs constatent que la convergence mondiale de croissance dans les services est plus forte que dans le secteur manufacturier. Ghani et O’Connell en concluent que l’escalator de croissance dans le secteur des services qui s’offre aux pays africains est au moins aussi puissant que celui du secteur manufacturier, voire même plus puissant. 

 

Références

BAUMOL, William (1967), « Macroeconomics of unbalanced growth: The anatomy of urban crisis », in The American Economic Review, vol. 57, n° 3.

GHANI, Ejaz, & Stephen D. O’CONNELL (2014), « Can service be a growth escalator in low income countries? », Banque mondiale, policy research working paper, n° 6971.

LOUNGANI, Prakash, & Saurabh MISHRA (2014), « Not your father’s service sector », in Finance and Development, juin. Traduction française, « Où est passé le secteur des services de papa ? », in Finances et Développement, juin.

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