Les transferts de revenu réalisés par les émigrés au profit de leur pays d’origine ont fortement augmenté au cours des dernières décennies. Les envois de fonds des émigrés au profit des pays en développement atteignaient juste 47 milliards de dollars (constants de 2011) en 1980 [Clemens et McKenzie, 2014]. Leur montant doubla entre 1990 et 2000 en passant de 49 à 102 milliards de dollars. Puis, il doubla au cours de la décennie suivante, atteignant 321 milliards en 2010. Les transferts des migrants pourraient avoir représenté 414 milliards de dollars en 2013, soit un montant trois fois supérieur à celui de l'aide publiqueau développement [Bettin et alii, 2014]. Bref, ils représentent une part substantielle et croissante des flux internationaux de capitaux à destination des pays en développement, si bien qu’ils pourraient un rôle significatif sur leur croissance économique.
GRAPHIQUE Flux financiers à destination des pays en développement (en milliards de dollars constants 2011)
source : Clemens et MacKenzie (2014)
Les envois de fonds sont susceptibles d’influencer le développement économique via plusieurs canaux. Tout d’abord, avec le transfert de revenu réalisés par les émigrés au profit des membres de leur famille restés dans leur d’origine, ces derniers obtiennent une source de revenu supplémentaire, si bien que les envois de fonds pourraient contribuer à y réduire la pauvreté et y soutenir la consommation, ce qui stimule la demande locale. D’autre part, ces transferts de revenu sont susceptibles de financer l’accumulation de capital, donc de faciliter le décollage (takeoff) de l’activité dans les pays en développement. Bref, ils pourraient contribuer à briser le cercle vicieux de sous-développement et à sortir les pays à faible revenu de leur trappe à pauvreté, à la fois en stimulant l’offre et la demande. Toutefois, rien n’assure que ces transferts de revenu soient effectivement utilisés pour financer l’investissement productif ou l’investissement en capital humain (l’éducation). Il ne faut en outre pas oublier que si l’émigration peut constituer une source de revenu pour le pays d’origine, elle y réduit par définition la population active et détériore par là même la croissance potentielle, en particulier si ce sont les travailleurs qualifiés qui optent pour l’émigration. Cet effet est compensé à long terme si les émigrés reviennent ensuite dans leur pays d’origine, en particulier s’ils reviennent plus qualifiés.
Les économies en développement sont particulièrement vulnérables aux chocs, notamment en raison du sous-développement de leur système financier. En l’occurrence, si les catastrophes naturelles tendent à stimuler l’activité dans les pays avancés, mais tendent par contre à la dégrader dans les pays en développement, c’est peut-être précisément parce que les premiers disposent d’un système assurantiel dont les seconds sont dépourvus. Dans ce contexte, les transferts de revenu des émigrés pourraient se substituer au système financier domestique pour jouer ce rôle d’assurance et permettre à l’économie de mieux absorber les chocs en lissant les dépenses de consommation. La capacité des envois de fonds de la part des migrants à lisser les fluctuations économiques dépendent notamment des motifs selon lesquels ces envois sont réalisés. Si les transferts sont réalisés selon un motif altruiste, ils devraient être contracyliques avec la production dans le pays d’origine : le volume des afflux de transferts devrait s’accroître durant les ralentissements de l’activité dans le pays d’origine, compensant la chute de revenu que connaissent les membres de la famille qui y sont restés, si bien qu’ils permettraient d’y lisser les fluctuations de l’activité. Si les transferts sont réalisés selon un motif d’investissement, ils devraient être procycliques, puisqu’ils devraient diminuer lorsque l’économie d’origine connait un ralentissement de l’activité. Enfin, un accroissement du revenu gagné par les émigrés devrait les amener à transférer davantage d’argent à leur pays d’origine, si bien que les transferts devraient tendre à être procycliques avec l’activité économique dans le pays d’émigration.
Giulia Bettin, Andrea Presbitero et Nikola Spatafora (2014) ont observé comment les transferts internationaux d’argent réalisés par les migrants au profit des membres de leur famille restés dans leur pays d’origine sont affectés par les caractéristiques structurelles, les conditions macroéconomiques et les choses adverses survenant dans les pays émetteurs de ces transferts et les pays qui en sont les récepteurs. Pour cela, ils ont observé les transferts réalisés par les immigrants de 103 provinces italiennes vers 87 pays en développement sur la période s’étalant entre 2005 et 2011. Les transferts des migrants sont négativement corrélés avec le cycle d’affaires dans les pays récepteurs et s’accroissent fortement en réponse aux chocs adverses, tels que les désastres naturels ou la chute des échanges extérieurs. En outre, les transferts sont positivement corrélés avec le PIB potentiel des pays récepteurs. L’ensemble de ces résultats suggère ainsi que les transferts sont réalisés selon des motifs d’altruisme et d’investissement. Le développement financier dans l’économie émettrice, qui facilite l’accès des migrants aux services financiers et réduit les coûts de transaction, est positivement associé avec les transferts des migrants. Le développement financier du pays bénéficiaire est négativement associé avec les transferts des migrants, ce qui suggère que ces transferts contribuent à atténuer les contraintes de crédit que subissent les pays en développement et pourraient par là même favoriser leur croissance économique.
Malgré ces résultats et l’essor du volume de transferts réalisés par les migrants au cours des dernières décennies, les études ne sont pas parvenues à détecter leurs effets sur la croissance économique. Michael Clemens & David McKenzie (2014) suggèrent trois explications. Tout d’abord, il se pourrait que l’accroissement des transferts des migrants que l’on a observé ces dernières décennies soit illusoire : il s’expliquerait, non pas par un accroissement des flux réels, mais par des erreurs de mesure. Deuxièmement, les régressions de panel comparant différents pays peuvent ne pas pouvoir détecter les effets des transferts sur la croissance et ce même s’il n’y a pas d’erreurs de mesures dans l’ampleur des transferts. Troisièmement, l’essor du volume des transferts s’explique essentiellement par l’essor de la migration, or celle-ci a un coût sur le pays d’origine, notamment la contraction de la population active. Même si l’impact positif des transferts de revenu est supérieur à l’impact négatif, l’effet net est susceptible d’être insuffisamment large pour être détecté dans les régressions de croissance transnationales. Au final, Clemens et McKenzie en concluent que l’émigration et les transferts de revenus réalisés par les émigrés ont des effets significatifs sur la pauvreté dans le pays d’origine, mais que leurs effets sur la croissance du pays d’origine resteront insaisissables par les études empiriques.
Références
BETTIN, Giulia, Andrea F. PRESBITERO & Nikola SPATAFORA (2014), « Remittances and vulnerability in developing countries », Banque mondiale, policy research working paper, n° 6812.
CLEMENS, Michael A., & David MCKENZIE (2014), « Why don’t remittances appear to affect growth? », Banque mondiale, policy research working paper, n° 6856.