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6 décembre 2014 6 06 /12 /décembre /2014 20:08

La récente crise mondiale a éclaté alors même que la dette publique atteignait déjà des niveaux élevés dans les pays avancés. La déprime de l’activité et la mise en œuvre des plans de relance budgétaire ont davantage détérioré les finances publiques, si bien que plusieurs gouvernements, en particulier dans la zone euro, ont rapidement resserré leur politique budgétaire, dans la crainte de voir leur dette publique suivre une trajectoire explosive, avant même que leurs économies ne retrouvent la trajectoire d’avant-crise de leur PIB et le plein emploi. Plus de six ans après l’effondrement de Lehman Brothers, l’activité continue de stagner et le chômage de persister à un niveau élevé dans plusieurs pays européens.

Au niveau théorique, les économistes ne s’accordent pas sur la forme exacte des mesures que devrait adopter un gouvernement s’il devait réduire sa dette publique, a fortiori lorsqu'il doit le fait alors même que la croissance économique est particulièrement faible et le chômage élevé. Le débat s'est souvent cristallisé autour de la taille du multiplicateur budgétaire. Les modèles néoclassiques suggèrent qu’une hausse des impôts est particulièrement nocive à l’activité économique, parce qu’elle génère un effet de richesse négatif sur la consommation et accroît les coûts de production des entreprises. Par contre, une baisse des impôts serait selon eux susceptible de stimuler l’activité. Les travaux d'Alesina ont également suggéré qu’une baisse des dépenses publiques stimule directement l’activité. De leur coté, les modèles des nouveaux keynésiens mettent particulièrement en garde contre les baisses des dépenses publiques, car celles-ci dépriment directement la demande globale et éloignent ainsi davantage l’économie du plein emploi. L’impact sur la demande est encore plus important si les ménages ne peuvent lisser leurs dépenses de consommation dans le temps, si l’économie connaît une récession et si les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure zéro (zero lower bound), car le multiplicateur budgétaire est alors particulièrement élevé.

Selon Salvatore Dell’Erba, Ksenia Koloskova et Marcos Poplawski-Ribeiro (2014), les consolidations budgétaires sont susceptibles d’emprunter plusieurs canaux de transmission pour affecter l’économie à moyen terme. Si des effets d’hystérèse sont à l’œuvre, le niveau naturel du chômage est susceptible d’être influencé par les valeurs passées du chômage : plus le chômage augmente avec la poursuite d’une récession, plus le chômage structurel s’accroît également, plus il devient difficile de le réduire. Brad De Long et Larry Summers (2012) et Christina Romer (2012) ont particulièrement développé cette hypothèse dans le contexte de la Grande Récession. Ils rappellent que lorsque l’économie est déprimée, les travailleurs restent au chômage pendant une longue durée, ce qui réduit leurs perspectives d’embauche (en réduisant leur capital social et humain et en les décourageant),  et, au niveau agrégé, aggrave le niveau de chômage à long terme. En outre, lorsque l’économie est déprimée, les entreprises investissent peu, ce qui freine l’accumulation du capital et réduit la production potentielle.

A partir d’un échantillon de 17 pays de l’OCDE (en l'occurrence En l’occurrence, l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis, la Finlande, la France, l’Irlande, l'Italie, le Japon, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède), Dell’Erba et alii ont observé l’impact des consolidations budgétaires sur la production, sur l’emploi et sur le chômage lors des récessions prolongées, par exemple lorsque la contraction économique dure au moins deux années successives. Plus précisément, ils cherchent à déterminer la taille du multiplicateur budgétaire associé aux plans d’austérité. Ils identifient les chocs budgétaires que génèrent les gouvernements désireux de réduire le déficit public, c’est-à-dire qui sont indépendantes de toute considération conjoncturelle.

Ils constatent que les multiplicateurs budgétaires cumulatifs relatifs à la production, à l’emploi et au chômage sur des horizons de cinq ans sont significativement supérieurs à l'unité durant les épisodes de récessions prolongées. En l’occurrence, en ce qui concerne la production, le multiplicateur de moyen terme est approximativement proche de 2 sur un horizon de 5 ans lors des récessions prolongées, alors qu’il n’atteint que 0,6 en temps normal. Cela signifie que durant les récessions prolongées une hausse cumulative dans l’excédent primaire d’un euro entraîne une baisse cumulative de 2 euros de la production sur un horizon de 5 ans. Le ratio d’emploi décline de façon persistante après une consolidation budgétaire durant les récessions prolongées. En effet, le multiplicateur d’emploi est alors supérieur à 3, alors qu’il n’est que de 0,5 en moyenne : une hausse cumulative de l’excédent primaire représentant 1 % du PIB entraîne une baisse de 3 points de pourcentage du taux d’emploi. Le taux de chômage s'accroît de façon persistante avec un multiplicateur estimé à moyen terme d’environ 1,5 : une hausse cumulative de l’excédent primaire de 1 % du PIB entraîne une hausse cumulative de 1,5 point de pourcentage du taux de chômage sur un horizon de 5 ans. 

Dell’Erba et ses coauteurs distinguent ensuite entre les ajustements budgétaires passant par une baisse des dépenses publiques et ceux passant par une hausse des impôts. Leur analyse empirique suggère alors que l’asymétrie dans les valeurs du multiplicateur budgétaire ne s’observe en fait que pour les seules hausses des dépenses publiques : lorsque le gouvernement réduit leurs dépenses publiques, l’impact sur l’activité économique sera significativement plus élevé pendant des récessions prolongées qu’en temps normal. Par contre, que l’économie connaisse ou non une récession prolongée, le multiplicateur budgétaire associé aux hausses d’impôts ne change guère.

En d’autres termes, si un gouvernement doit adopter un plan d’austérité budgétaire alors même que la croissance est faible et le chômage élevé, il devrait privilégier les hausses d’impôts sur la baisse des dépenses publiques. S’il baisse tout de même ses dépenses publiques, cette mesure risque de prolonger la récession et de fortement l’aggraver, ce qui conduirait non pas à une baisse, mais bien à une hausse du ratio d’endettement public avec le tassement des recettes fiscales : l'austérité serait vouée à l'échec. Ainsi, non seulement l’activité économique et l’emploi s’en trouveraient pénalisés, mais les finances publiques continueraient de se dégrader. Le mieux reste bel et bien que les gouvernements adoptent une politique budgétaire contracylique : en assouplissant celle-ci pour relancer l'activité lors des récessions, puis en la resserrant lorsque la reprise s'est pleinement engagée afin de nettoyer leurs finances publiques.

 

Références

DELL’ERBA, Salvatore, Ksenia KOLOSKOVA et Marcos POPLAWSKI-RIBEIRO (2014), « Medium-term fiscal multipliers during protracted recessions », FMI, working paper, n° 14/213, décembre.

DELONG, J. Brad, & Lawrence SUMMERS (2012), « Fiscal policy in a depressed economy », Brookings Papers on Economic Activity, vol. 44, n° 1.

ROMER, Christina (2012), « Fiscal policy in the crisis: Lessons and policy implications ».

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