siège de Goldman Sachs (Reuters)
Les banques ont joué un rôle majeur dans l’émergence de la crise à travers leurs prises de risques excessives et la multiplication d’innovations financières opaques. De leur côté, les régulateurs et les superviseurs ont véritablement été incapables de détecter l’accumulation de déséquilibres financiers. La discipline de marché, censée transférer les financements aux institutions sûres et sanctionner les preneurs de risques excessifs, apparaissait être un parfait complément à la supervision. L’ensemble de ces mécanismes régulateurs a échoué à prévenir et contenir les comportements déstabilisateurs adoptés par les banques. Tout un système bancaire parallèle, composé de véhicules structurés et de banques d’investissement, échappait à la régulation. L’opacité de ce shadow banking system et des marchés dérivés de gré à gré ont dissimulé le risque systémique. Les agences de notation, prises dans de multiples conflits d’intérêt, assouplissaient leurs standards de notation pour se concurrencer. Enfin, la promesse implicite de renflouement a pu conforter les banques dans leurs prises de risque. Lorsqu’éclate la bulle immobilière aux Etats-Unis, le secteur bancaire est particulièrement vulnérable. Les banques et les marchés étant intimement interconnectés, c’est l’ensemble du système financier international qui se trouve alors fragilisé.
Les Accords de Bâle ont permis la crise en autorisant les grandes banques internationales à s’endetter à un niveau dangereux et à prendre des risques excessifs [Carmassi et Micossi, 2012]. Certaines ont pu accumuler un passif cinquante fois supérieur à leurs capitaux propres. Les banques affichant les plus hauts ratios prudentiels furent également celles ayant utilisé les plus forts leviers. Les banques qui furent accolées à la faillite durant la crise, à l’instar de Dexia, présentaient précédemment des ratios de solvabilité supérieurs à ceux qu’affichaient les banques qui traversèrent la crise sans nécessiter d’aide. Les modèles internes déterminant les besoins en fonds propres peuvent produire des évaluations largement divergentes du risque de portefeuilles pleinement identiques. Les modèles qu’utilisent les banques pour calculer les actifs pondérés en fonction de leur risque souffrent de plusieurs defaults techniques. En effet, ils sont notamment incapables de prendre en compte le risque systémique. Ensuite, ils incitent les banques à concentrer leurs expositions en queue de distribution du risque pour économiser du capital, ce qui élève la probabilité d’événements catastrophiques. De leur côté, les déposants et les investisseurs, incapables de décrypter les indicateurs de capital, ont dû s’en remettre aux évaluations des superviseurs, ce qui pèse à nouveau sur l’efficacité de la discipline de marché. Au final, les exigences en capital se révélèrent insuffisantes et les exigences en liquidité ne furent pas respectées.
Une fois la crise amorcée, les Accords de Bâle ont intensifié les turbulences financières et les tendances récessives. Les exigences en capital et la comptabilité en valeur de marché possèdent des caractéristiques procycliques propres à générer davantage d’instabilité financière. Les banques ont dû vendre leurs actifs et restreindre leur offre de crédit pour se conformer aux exigences en capital. De tels comportements multipliés au niveau agrégé accélèrent la chute des prix d’actifs. Or l’analyse en juste valeur (fair value) pousse les banques à inscrire les dépréciations d’actifs, ce qui érode davantage le capital. Parallèlement à ce cercle vicieux, l’effondrement du crédit s’est traduit par une contraction du PIB et une envolée du chômage.
Tirant les enseignements de la crise, l’European Economic Advisory Group (EEAG) a formulé plusieurs propositions clés pour renouveler le cadre régulateur [Vives, 2012]. Tout d’abord, les fonctions de maintien de la stabilité financière et de supervision macroprudentielle doivent être centralisées par une institution régulatrice. La banque centrale peut en l’occurrence recevoir un tel mandat. En revanche, elle paraît peu appropriée comme instrument de recapitalisation des banques. Aucune entité impliquant des activités bancaires ne doit échapper à la régulation et à la supervision. Ensuite, les pertes anticipées de dettes faisant l’objet d’une garantie gouvernementale doivent être couvertes par une prime de risque déterminée par le marché et fonction du risque supposé que porte l’institution financière. La gamme d’activités des banques recevant une garantie publique doit être réduite en raison du risque moral. Les institutions financières jouant un rôle pivot ou de dimension systémique doivent internaliser les effets externes de leur faillite potentielle. La supervision doit être coordonnée au niveau international et accompagnée de standards de régulation uniformes. La régulation financière doit être coordonnée avec la politique de la concurrence. Puisqu’un environnement plus concurrentiel implique de plus hautes exigences prudentielles, les besoins en capital et en liquidité, ainsi que le degré de libéralisation des différents compartiments du marché doivent être considérés de concert. Enfin, des mécanismes doivent être mis en place pour réduire le délai d’intervention du superviseur lorsque les institutions financière connaissent une détérioration de leur bilan et un déclin de leur capital.
Les accords de Bâle III introduisent de nouvelles exigences en liquidité et en financement, mais ils ne corrigent pas certains défauts majeurs de la réglementation prudentielle selon Carmassi et Micossi (2012). D’une part, les exigences en capital restent déterminées par les banques à partir des modèles de gestion des risques. Leur mode de calcul se réfère toujours à des actifs pondérés en fonction du risque. Les ratios de solvabilité demeurent si opaques qu’il se révèle en pratique toujours difficile de distinguer les banques saines des institutions insolvables. D’autre part, il n’existe toujours pas de véritable contrôle. Les superviseurs restent en outre libres de décider si, quand et comment intervenir au sein des établissements en difficulté. Par conséquent, les banques seront toujours incitées à adopter des comportements excessivement risqués et continueront à disposer de capitaux en insuffisante quantité pour faire face à de nouvelles difficultés.
Carmassi et Micossi (2012) proposent trois mesures qui permettent de remédier aux dysfonctionnements du cadre régulateur sans rendre pour autant nécessaire de procéder à une réglementation spécifique pour les liquidités ou le financement. Tout d’abord, les exigences en capital doivent être fixées à partir du ratio des actions sur le total des actifs et s’élever ainsi entre 7 à 10 %. Ce nouveau ratio de fonds propres permettra de réduire les prises de risque de la part des banques et d’atténuer l’impact qu’exerce sur l’économie le désendettement des banques en période de crise. Ensuite, des actions correctives prédéterminées et de sévérité croissante doivent être enclenchées au fur et à mesure que des seuils en capital prédéfinis sont atteints. Une procédure mandataire de résolution de défaillance bancaire doit s’appliquer lorsque le seuil minimal de capital n’est pas respecté afin d’éradiquer le risque moral. Enfin, les banques devraient avoir à émettre des obligations convertibles en actions et non garanties, de manière à inciter les dirigeants et les actionnaires à préserver le capital de leur banque en émettant des actions au plus tôt lorsque le capital s’érode, au lieu de convertir leur dette.
Références Martin Anota
MICOSSI, Stefano (2012), « Better than Basel », in Project Syndicate, 3 mai. Traduction française, « Il faut réformer les Accords de Bâle ».
VIVES, Xavier (2012), « Seven Principles for Better Banking Regulation », in VoxEU.org, 13 mars.