La proximité spatiale offre une multitude d’avantages économiques. Les économies d’agglomération désignent les bénéfices qui sont externes à l’entreprise et qui proviennent de la densité et diversité des agents économiques au niveau local. Marshall (1890) a identifié très tôt trois sources d’économies d’agglomération. Tout d’abord, les entreprises profitent de leur contigüité spatiale pour partager, d’une part, les infrastructures caractérisées par des coûts fixes élevés et de larges économies d’échelle et, d’autre part, les fournisseurs spécialisés d’intrants. Inversement, une plus forte densité d’entreprises permet à chacune d’entre elles de s’assurer d’avoir davantage de débouchés pour sa production. La proximité met également un large ensemble de main-d’œuvre spécialisée à la disposition des entreprises, ce qui leur permet de satisfaire plus finement leurs besoins spécifiques en compétences. Inversement, les travailleurs ont quant à eux accès à un plus large éventail d’opportunités d’emplois et ils ont ainsi plus de chances de trouver un emploi qui leur convienne en termes de préférences et de niveau de qualifications. Enfin, la proximité spatiale permet une meilleure diffusion des savoirs et des nouvelles technologies. En effet, les effets de débordements technologiques s’exercent en particulier dans les relations de face à face. Les effets positifs de ces économies d’agglomérations sont en définitive observés à travers une hausse de la productivité et une baisse des coûts subis par les entreprises.
Les coûts de transport sont un élément crucial pour la compréhension de l’agglomération spatiale des activités économiques. Le partage des intrants, l’appariement entre l’offre et la demande de travail et les transferts technologiques peuvent ne pas s’opérer localement, mais ils s’accompagnent alors d’une perte d’efficacité et de coûts supplémentaires. Une plus forte densité spatiale réduit la distance physique entre les agents économiques et par là les coûts de transport, or la facilité avec laquelle les gens, les produits et se déplacent contribue fortement à la productivité.
Dans ce contexte, les investissements en transport sont susceptibles de relever la productivité de plusieurs manières. Tout d’abord, ils facilitent les interactions interindividuelles en permettant le regroupement d’activités économiques connexes, notamment via l’apparition de districts industriels ou clusters. Ensuite, ils participent à l’accumulation du capital humain en améliorant l’accès à l’éducation, à la formation et aux emplois qualifiés. En outre, ils améliorent l’accès des entreprises aux marchés. Enfin, ils amortissent les coûts de transport des entreprises. Au final, une meilleure infrastructure de transport peut stimuler les économies d’agglomération en réduisant le prix du trajet et par conséquent en diminuant les coûts d’interaction dans l’économie spatiale. Avec une telle réduction des coûts, l’agglomération de l’activité économique s’intensifie et génère des bénéfices à travers les économies d’échelle.
Si les analyses ont fortement exploré le lien entre transport et productivité, ainsi que la relation entre productivité et économies d’agglomération, le lien entre la productivité et les économies d’agglomération générées par le transport n’a occupé qu’une place réduite dans la recherche. Toutefois, le modèle théorique développé par Venables (2007) a mis en évidence les liens existant entre l’offre de transport et le processus d’agglomération. Il met à jour l’existence d’une relation positive entre la taille de la ville et la productivité. Il a montré que les progrès dans le transport urbain génèrent des gains à travers la taille de la ville. En particulier, un relâchement des contraintes pesant sur l’accès au centre stimule notamment l’emploi. Venbles conclue de son étude que l’investissement en transport urbain est source de rendements croissants qui ne sont pas capturés par l’évaluation standard du transport. Si les villes les plus larges ont une productivité plus élevée en raison d’économies d’agglomération, alors l’écart entre les travailleurs urbains et les travailleurs extérieurs à la ville peut être exprimé, non comme un écart constant, mais comme une courbe concave qui s’élève avec la taille de la ville. Venables démontre alors que les bénéfices associés à un investissement de transport urbain peuvent être quantifiés assez simplement si nous connaissons, d’une part, le changement dans l’agglomération urbaine qui va résulter de l’investissement en transport et, d’autre part, le supplément de productivité qui sera généré par la plus forte agglomération.
Daniel Graham, David Levinson et Patricia Melo (2012) se sont penchés sur la relation entre la productivité du travail et les économies d’agglomération urbaine à parti d’un échantillon de 51 zones urbaines aux Etats-Unis. Les économies d’agglomération sont saisies à travers des mesures de l’accessibilité à l’emploi basées sur la distance et le temps, ce qui leur permet de prendre explicitement en compte le lien entre le réseau de transport et les économies d’agglomération. Leur modélisation fait apparaître qu’un doublement de la densité des emplois entraîne une hausse des salaires de 4,3 % en moyenne. Graham et alii observent la présence de non-linéarités dans la relation entre la productivité du travail et les économies d’agglomération pour les aires urbaines aux Etats-Unis. Les effets des économies d’agglomération sur la productivité du travail pourraient donc être amplement sous-évalués lorsqu’ils sont estimés au niveau régional ou national.
Préciser la décroissance spatiale des économies d’agglomération importe pour la décision publique. Si les bénéfices des économies d’agglomération ne s’exercent que sur une échelle purement locale, alors les autorités publiques doivent mettre en œuvre des politiques qui favorisent les proches interactions entre les entreprises et entre celles-ci et les travailleurs. En revanche, si les bénéfices de l’agglomération s’exercent sur une échelle géographique plus large, en embrassant différents marchés du travail, alors les autorités publiques ont plutôt à améliorer les interactions entre les marchés du travail. L’étude de Graham et alii suggère que les effets d’agglomération peuvent s’exercer jusqu’à 60 minutes dans le cas des zones urbaines des Etats-Unis, mais leur magnitude décroît très rapidement avec la durée de trajet. Doubler le nombre d’emplois accessibles dans un rayon de 20 minutes du durée de trajet est associé à une hausse moyenne de 6,5 % dans les salaires réels, tandis qu’un tel doublement dans l’espace entre 20 à 30 minutes ne se traduit que par une hausse salariale de 0,5 %. Les effets des externalités d’agglomération urbaine seraient donc au final assez localisées, ce qui suggère aux auteurs de l’étude que les externalités de connaissances sont probablement une source importante d’économies d’agglomération.
Références Martin ANOTA
Department of Transport (2012), « Job density, productivity and the role of transport », juin.
GRAHAM, Daniel, James LAIRD & Peter MACKIE (2011), « The direct and wider impacts of transport projects: a review », in A Handbook of Transport Economics.
MARSHALL, Alfred (1890), Principes d’économie politique.
VENABLES, Anthony J. (2007). « Evaluating Urban Transport Improvements: Cost-Benefit Analysis in the Presence of Agglomeration and Income Taxation », in Journal of Transport Economics and Policy, vol. 41, n° 2.