Lors de la Grande Récession, de nombreuses banques centrales ont ramené leurs taux directeurs à des niveaux historiquement faibles. Toutefois, le taux directeur avait beau être à sa borne zéro, il restait supérieur au taux naturel, c’est-à-dire le taux d’intérêt nominal qui clôt l’écart de production et assure la stabilité des prix. Or, une fois la borne zéro atteinte, la banque centrale ne peut davantage réduise son taux directeur, ce qui expose l’économie aux pressions déflationnistes et à une hausse de son taux de chômage. Dans une telle situation qualifiée de trappe à liquidité, où la politique monétaire se révèle excessivement restrictive, les autorités budgétaires doivent nécessairement intervenir pour contrer les pressions déflationnistes. Les autorités monétaires adoptent de leur côté des mesures « non conventionnelles » pour rendre leur politique monétaire plus efficace (achats d’actifs, guidage des anticipations avec la pratique du forward guidance, etc.). La Grande Récession se distingue toutefois des précédents épisodes de trappe à liquidité, notamment la décennie perdue au Japon, en ce que le phénomène de trappe à liquidité a cette fois-ci une dimension mondiale. Ce sont les pays les plus intimement liés par les liens commerciaux et financiers (Etats-Unis, Royaume-Uni et zone euro) qui ont connu le plus forte ralentissement de leur crise, amenant leurs autorités monétaires à fixer leur taux directeur au plus proche de zéro.
Pour Michael Devereux et James Yetman (2013), l’apparition de trappes à liquidité dans un contexte où les marchés des biens, des services et des capitaux sont intégrés au niveau international donne une nouvelle dimension au trilemme mis en évidence par la littérature en finance internationale (également appelé « trinité impossible » ou « triangle d’incompatibilité » suite aux travaux de Mundell). Selon l’interprétation traditionnelle de ce phénomène, un pays ne peut simultanément assurer l’ouverture des marchés des capitaux, la fixité des taux de change et l’autonomie de sa politique monétaire. S’il atteint deux de ces objectifs, le troisième devient inatteignable. Or, même si le taux de change est flexible et les marchés des capitaux pleinement ouverts, la politique monétaire perd de son efficacité dans une trappe à liquidité. Si l’économie domestique subit un puissant choc extérieur déprimant sa demande intérieure, la borne zéro est susceptible de contraindre sa propre politique monétaire. Les marchés des capitaux jouent un rôle clé dans la propagation du phénomène de trappe à liquidité d’un pays à l’autre.
La littérature économique suggérait déjà que l’instauration des contrôles des capitaux réduisait le risque qu’un pays subisse des afflux déstabilisateurs de capitaux : les entrées de capitaux sont en effet susceptibles d’alimenter une expansion insoutenable du crédit, la formation de bulles d’actifs et une appréciation excessive de la devise, en particulier dans les pays émergents. Devereux et Yetman suggèrent ici que l’instauration du contrôle des capitaux rend la politique monétaire plus efficace en réduisant le risque que l’économie bascule dans une trappe à liquidité. Ils soulignent ainsi le rôle que les contrôles des capitaux peuvent éventuellement jouer dans le maintien de la stabilité macroéconomique au niveau mondial, rejoignant par là les conclusions auxquelles aboutirent un peu plus tôt Emmanuel Farhi et d’Ivan Werning (2012).
Références
DEVEREUX, Michael B., & James YETMAN (2013), « Capital controls, global liquidity traps and the international policy trilemma », NBER working paper, n° 19091, mai.
FARHI, Emmanuel, & Ivan WERNING (2012), « Dealing with the trilemma: Optimal capital controls with fixed exchange rates », NBER working paper, n° 18199, juin.