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2 octobre 2015 5 02 /10 /octobre /2015 22:10

Avec la place de plus en plus imposante que la Chine occupe dans l’économie mondiale, les analystes prêtent une attention croissante à ses principaux agrégats macroéconomiques, mais beaucoup doutent de la fiabilité de la comptabilité nationale chinoise. Et certains dirigeants chinois partagent également ce scepticisme. En 2007, Li Keqiang (aujourd’hui Premier ministre du pays) aurait officieusement évoqué la nature artisanale du PIB chinois et indiqué que le gouvernement de sa province préférait se focaliser sur des « indicateurs alternatifs » pour l'activité économique, notamment sur la consommation d’électricité, le volume du fret ferroviaire et le montant des prêts accordés [Fernald et alii, 2015]. D’une part, il est difficile de déterminer avec précision la croissance du PIB lorsque la production croît aussi rapidement et que la structure de la production et de la demande domestique change aussi rapidement. De plus, l’institution en charge de la comptabilité nationale en Chine, le Bureau National des Statistiques, n’est pas indépendante du parti unique [Holz, 2003]. Les données qu’elle utilise et la manière par laquelle elle en tire le PIB nominal, puis le taux de croissance du PIB réel, manquent de transparence ; le manque de données publiquement disponibles empêche toute vérification des chiffres officiels. Certains craignent notamment que les dirigeants, au niveau local ou au niveau des provinces, manipulent les chiffres, en premier lieu parce qu’ils doivent atteindre certains quotas de production. Ils seraient en l’occurrence particulièrement incitées à fausser les chiffres officiels lorsque l’activité ralentit ou surchauffe. Le PIB n'est toutefois pas le seul agrégat à nourrir la perplexité des économistes : le taux de chômage officiel sous-estime peut-être fortement le taux de chômage réel [Feng et alii, 2015].

Cette suspicion vis-à-vis des agrégats ne date pas de cet été. La crise asiatique avait conduit plusieurs analystes à mettre profondément en doute la véracité des estimations chinoises du PIB : en 1998, la Chine affichait une croissance de 7,8 %, à peine inférieure de 1,5 point de pourcentage à la croissance de l’année précédente, alors même que de nombreux pays asiatiques subissaient une forte récession ; plusieurs économistes ont estimé que la croissance chinoise était alors plus proche des 5 %. Inversement, au début des années deux mille, les autorités chinoises affirmaient que la croissance tournait entre 8 et 9 %, alors que certains prétendaient que l’économie chinoise croissait à un rythme plus proche de 10 % [The Economist, 2015]. Le récent ralentissement a ranimé le début autour de la fiabilité des chiffres officiels chinois. Plusieurs commentateurs suggèrent que l’activité économique a davantage ralenti ces derniers mois que ne l’affirment les autorités. La croissance n’avait atteint (officiellement) que 7,3 % en 2014, soit le plus faible niveau depuis 1990 ; aujourd’hui, malgré les difficultés rencontrées par le secteur industriel, les autorités continuent d’afficher des prévisions pour l’année 2015 proches de la cible de 7 % qu’elles poursuivent. Un tel déni ne répondrait pas seulement à des préoccupations politiques : reconnaître un ralentissement plus marqué de la croissance pourrait davantage dégrader la confiance et par là l’activité. 

John Fernald, Eric Hsu et Mark M. Spiegel (2015) se sont récemment interrogés sur la fiabilité du PIB et de d’autres indicateurs d'activité chinoise en utilisant les données relatives aux exportations des partenaires à l’échange de la Chine entre 2000 et 2014. Ils constatent que le contenu en information du PIB chinois s’est fortement amélioré après 2008. Fernald et ses coauteurs testent également la pertinence de plusieurs indicateurs alternatifs de l’activité économique. Ils constatent que certaines combinaisons d’indicateurs alternatifs indiquent assez fidèlement l’évolution de l’activité économique chinoise et se révèlent ainsi bien plus informatifs qu’un unique indicateur, notamment le seul PIB. La performance de ces combinaisons d’indicateurs ne s’améliore pas lorsque les auteurs y intègrent le PIB. En l’occurrence, l’indice qui capture le mieux l’activité s’appuie sur quatre indicateurs : l’électricité, le fret ferroviaire, l’approvisionnement en matières premières et ventes au détail. En l’occurrence, la composante principale construite à partir de cette combinaison d’indicateurs alternatifs fournit une bonne mesure de l’activité économique. Bien sûr, les importations chinoises constituent des mesures imparfaites de l’activité. Elles peuvent en effet sous-estimer certaines activités comme les services, alors même que ces derniers prennent certainement une part de plus en plus importante dans la production chinoise. Toutefois Fernald et ses coauteurs estiment que les importations sont très fortement corrélées avec l’indicateur d’activité qu’ils privilégient, en l’occurrence celui qui inclut des indicateurs étroits (comme les exportations et les matières premières) et des indicateurs larges (comme l’électricité et les nouvelles superficies construites).

 

Références

The Economist (2015), « The Chinese economy. Whether to believe China's GDP figures », 15 juillet.

FENG, Shuaizhang, Yingyao HU & Robert MOFFITT (2015), « Long run trends in unemployment and labor force participation in China », NBER, working paper, n° 21460, août.

FERNALD, John, Eric HSU & Mark M. SPIEGEL (2015), « Is China fudging its figures? Evidence from trading partner data », Federal Reserve Bank of San Francisco, working paper, n° 2015-12.

FERNALD, John, Israel MALKIN & Mark M. SPIEGEL (2013), « On the reliability of Chinese output figures », FRBSF Economic Letter, n° 2013-08.

HOLZ, Carsten A. (2014), « The quality of China's GDP statistics », MPRA, paper, n° 51864.

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30 septembre 2015 3 30 /09 /septembre /2015 21:48

Les récentes variations des taux de change ont été inhabituellement amples. Par exemple, le dollar américain s’est apprécié de plus de 10 % depuis le milieu de l’année 2014, tandis que le yen s’est déprécié de plus de 30 % depuis le milieu de l’année 2013 et l’euro de plus de 10 % depuis le début de l’année 2014. De nombreux pays émergents ont également connu de fortes turbulences sur leurs marchés des changes, en particulier depuis que la Fed ait évoqué la possibilité d’un ralentissement (tapering) dans ses achats d’actifs.

Ces fortes variations ont amorcé un débat sur leurs probables répercussions. Certains craignent notamment que les exportations et les importations soient moins sensibles aux variations des taux de change, si bien que les déséquilibres pourraient s’ajuster à l’avenir plus difficilement et persister. D’autres craignent qu’une moindre sensibilité des exportations et importations aux mouvements de taux de change affaiblisse la transmission de la politique monétaire. En effet, plusieurs banques centrales dans les pays avancés ont récemment fortement assoupli leur taux de change pour stimuler leur activité domestique, notamment en stimulant par là même les exportations : c’est par exemple le cas du Banque du Japon, en déployant la première flèche de l’Abenomics, et plus récemment  de la BCE, qui s’est résolue à adopter un programme d’assouplissement quantitatif en début d’année.

Dans les dernières Perspectives de l’économie mondiale du FMI, Daniel Leigh et ses coauteurs (2015) ont analysé la relation entre le taux de change et les échanges, afin de déterminer les effets du premier sur ces derniers. L’histoire des pays en développement et des pays avancés au cours des trente dernières années suggère que les variations des taux de change ont habituellement un large impact sur le volume des exportations et des importations. La dépréciation d’une devise est associée habituellement à une baisse des prix à l’export payé par les étrangers et une baisse des importations. En l’occurrence, une dépréciation du taux de change réel effectif de 10 % est associée à une hausse des exportations nettes réelles d’environ 1,5 % du PIB. Il y a toutefois de larges écarts d’un pays à l’autre. Bien que ces effets ne se matérialisent pleinement qu’après plusieurs années, l’essentiel de l’ajustement survient au cours de la première année. La stimulation des exportations associée à la dépréciation de la devise semble la plus large dans les pays qui connaissent une insuffisance de la demande globale, mais aussi qui se caractérisent par des systèmes financiers domestiques qui fonctionnent correctement, c’est-à-dire qui ne connaissent pas de crise bancaire.

GRAPHIQUE  Variation des exportations nettes liée aux fluctuations des taux de change entre janvier 2013 et janvier 2015 (en % du PIB)

source : Leigh et alii (2015)

Certaines preuves empiriques suggèrent que le développement des chaînes de valeur mondiales a affaibli la relation entre les taux de change et le commerce dans les produits intermédiaires utilisés comme intrants dans les exportations de d’autres économiques. C’est en particulier le cas du Japon, qui semble avoir connu une réelle déconnexion entre volumes exportés et taux de change : malgré la puissante dépréciation du yen depuis 2012, les exportations nettes japonaises ont stagné. L’accélération de la délocalisation de la production japonaise à l’étranger a finalement annulé toute hausse des exportations en réaction à la dépréciation du yen. Ce résultat met en question la capacité de l’Abenomics à sortir véritablement l’économie insulaire de la stagnation.

Mis à part le cas japonais, Leigh et ses coauteurs n’estiment toutefois pas que la relation entre taux de change et exportations s’affaiblisse de façon généralisée. D’une part, l’essentiel des échanges mondiaux se constitue toujours essentiellement des échanges traditionnels. D’autre part, la fragmentation internationale de la production tend à ralentir. Surtout, peu de preuves empiriques suggèrent une tendance générale vers une déconnexion entre les taux de change et le volume des exportations et des importations. Ces divers résultats confirment que les mouvements de taux de change influencent fortement les prix des exportations et des importations, si bien que la transmission de la politique monétaire via le taux de change semble rester aussi efficace qu’auparavant et rien ne suggère que les déséquilibres courants aient plus de difficultés à s’ajuster et à disparaître que par le passé. 

 

Références

FMI (2015), « Exchange rates still matter for trade », IMF Survey, 28 septembre. Traduction française, « Les taux de change restent importants pour les échanges », Bulletin du FMI.

LEIGH, Daniel, Weicheng LIAN, Marcos POPLAWSKI-RIBEIRO & Viktor TSYRENNIKOV (2015), « Exchange Rates and Trade Flows: Disconnected? », in FMI, World Economic Outlook, octobre.

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28 septembre 2015 1 28 /09 /septembre /2015 21:34

Oscar Jordà, Moritz Schularick et Alan Taylor (2014a) ont mis en évidence une expansion rapide du crédit mondial, en particulier celui accordé aux ménages, au cours des dernières décennies. A partir de données historiques de long terme, Jordà et ses coauteurs (2013, 2014b) montrent que l’expansion du crédit, en particulier celle du crédit hypothécaire, tend à précéder les crises financières. Et lorsqu’une récession se produit, une plus forte croissance du crédit accroît la sévérité de la récession.

Pourtant, beaucoup de modèles macroéconomiques, en particulier ceux à agent représentatif, supposent que l’expansion de la dette est tirée par les anticipations de chocs de productivité futurs, si bien qu’ils suggèrent que les données empiriques devraient révéler une corrélation positive entre l’expansion du crédit et la croissance future de la production. Atif Mian, Amir Sufi et Emil Verner (2015) rejettent une telle hypothèse lorsqu’ils observent 30 pays (en majorité des pays avancés) entre 1960 et 2012. L’expansion de la dette privée sur une période de trois à quatre ans prédit une moindre croissance de la production et une hausse du chômage dans le futur. Le pouvoir prédictif de la croissance de la dette privée sur la croissance future de la productivité s’explique avant tout par l’expansion de la dette des publiques plutôt que par la dette des entreprises privées non financières.

Mian et ses coauteurs en déduisent qu’il est nécessaire de repenser le rôle de la dette dans les modèles macroéconomiques. Ils soulignent que même les prévisions officielles réalisées par le FMI et l’OCDE négligent la relation négative entre l’expansion de la dette des ménages et la croissance subséquente du PIB. Ces prévisions sous-estiment la croissance de la PIB suite à une large expansion du ratio dette des ménages sur PIB. Une hausse du ratio dette des ménages sur PIB d’un pays prédit les erreurs négatives dans les prévisions de croissance économique.

Une nouvelle classe de modèles a émergé ces dernières années, délaissant l’agent représentatif et suggérant un impact négatif de la dette privée sur la croissance économique. Par exemple, Gauti Eggertsson et Paul Krugman (2012) et Veronica Guerrieri et Guido Lorenzoni (2015) montrent que l’évolution de la dette privée brute est cruciale pour expliquer les dynamiques de la demande globale. Anton Korinek et Alp Simsek (2014) suggèrent que les ménages ignorent l’impact de leur emprunt sur les dynamiques agrégées, si bien qu’ils finissent par basculer dans le surendettement. Ces divers modèles supposent que l’offre de crédit contribue à façonner les cycles d’affaires en assouplissant les contraintes d’endettement et en réduisant les primes de risque exigées par les institutions financières. Ils prédisent alors qu’une expansion rapide de la dette privée tirée par l’assouplissement des contraintes d’endettement freine la croissance future.

Mian et ses coauteurs constatent que les données empiriques sont cohérentes avec cette classe de modèles. Par exemple, ils utilisent la variation de la prime de rendement souverain d’un pays par rapport aux bons du Trésor américain pour tester les effets d’un relâchement des conditions de crédit sur l’expansion de la dette privée et la croissance future de la production. De précédentes études ont montré que les variations des primes de risque souverain s’expliquaient par des fondamentaux non spécifiques aux pays comme les variations de la prime de risque requise par les institutions financières. Si la prime de rendement souverain s’expliquait au contraire par les seuls fondamentaux de l’économie, sa baisse devrait refléter une amélioration des fondamentaux. L’analyse empirique de Mian et de ses coauteurs montre qu’une chute de la prime de risque souveraine entraîne une hausse du ratio dette des ménages sur PIB du pays. L’expansion de la dette des ménages tirée par la prime de risque souveraine prédit alors un ralentissement de la croissance subséquente du PIB.

En outre, l’accroissement de la dette des ménages au cours des booms du crédit finance les dépenses de consommation. Elle est corrélée avec une hausse de la part des biens et services de consommation dans la production et une baisse du ratio exportations nettes sur production. Le déclin des exportations nettes s’explique par la hausse de la part des biens de consommation dans les importations. Ainsi, les dépenses des ménages (rapportées au revenu) s’accroissent durant les booms de la dette des ménages, tout comme le total des importations et la part des biens de consommation dans le total des importations.

L’économie fait alors face au risque d’un puissant ajustement externe. La hausse du ratio dette des ménages sur PIB tend à précéder une moindre croissance de la production, avec la baisse de la consommation et de l’investissement. Les exportations nettes s’ajustent toutefois dans le sens inverse, en raison d’un puissant effondrement des importations. Ainsi, une hausse soutenue de la dette des ménages prédit une accélération de la croissance subséquente des exportations nettes. Cet ajustement externe est particulièrement puissant pour les pays les plus dépendants du commerce international.

En poursuivant leur analyse, Mian et ses coauteurs observent qu’une hausse du ratio dette des ménages sur PIB peut avoir un plus grand pouvoir prédictif pour la croissance de la production si le cycle d’endettement des ménages du pays est davantage corrélé avec le cycle mondial de la dette des ménages sur PIB. Si plusieurs pays connaissent un surendettement de ses ménages, l’ajustement des exportations nettes sera moins à même de stabiliser l’économie d’un quelconque pays. Les pays avec un cycle de dette des ménages sur PIB qui est plus fortement corrélé avec le cycle de dette mondial subissent un plus large ralentissement de la croissance future de la production après une hausse du ratio dette des ménages sur PIB. De plus, la hausse du ratio mondial dette des ménages sur PIB est fortement et négativement liée à la croissance mondiale subséquente. Cette relation négative ne s’explique que par le ratio dette des ménages sur PIB. En outre, la relation entre l’essor de la dette mondiale des ménages et le ralentissement subséquent de la croissance du PIB ne s’observe pas seulement dans la période postérieure à 2000. En utilisant les données antérieures à 2000, Mian et ses coauteurs sont capables de prédire la sévérité de la récession mondiale entre 2007 et 2012, étant donné le fort essor de la dette des ménages au milieu des années deux mille.

 

Références

EGGERTSSON, Gauti B., & Paul KRUGMAN (2012), « Debt, deleveraging, and the liquidity trap: A Fisher-Minsky-Koo approach », in Quarterly Journal of Economics, vol. 127.

GUERRIERI, Veronica, & Guido LORENZONI (2011), « Credit crises, precautionary savings and the liquidity trap », NBER, working paper, n° 17583.

JORDÀ, Òscar, Moritz H.P. SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2013), « When credit bites back », in Journal of Money, Credit and Banking, vol. 45, n° 2.

JORDÀ, Òscar, Moritz H.P. SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2014a), « The Great Mortgaging: Housing finance, crises, and business cycles », NBER, working paper, n° 20501, septembre.

JORDÀ, Òscar, Moritz H.P. SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2014b), « Betting the house », NBER, working paper, n° 20771, décembre.

KORINEK, Anton, & Alp SIMSEK (2014), « Liquidity trap and excessive leverage », FMI, working paper, n° 14/129.

MIAN, Atif R., Amir SUFI & Emil VERNER (2015), « Household debt and business cycles worldwide », NBER, working paper, n° 21581, septembre.

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