Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
26 septembre 2015 6 26 /09 /septembre /2015 10:50

La faiblesse persistante de la demande globale et la récente baisse des prix du pétrole ont poussé à la baisse le taux d’inflation de la zone euro, au point de faire basculer cette dernière dans la zone euro durant les premiers moins de l’année 2015 et de convaincre enfin la BCE d’adopter un programme d’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Les nouvelles mesures de politique monétaire ne suffisent toutefois pas pour protéger la zone euro de la déflation. Dans ses dernières estimations, Eurostat estime que le niveau général des prix a progressé au mois d’août de 0,1 % en rythme annuel dans l’ensemble de la zone euro. Plusieurs pays-membres, comme Chypre, l’Espagne, la Grèce et la Finlande avaient un taux d’inflation négatif.

GRAPHIQUE  Taux d’inflation de la zone euro et de l’Union européenne (en %)

Quels transferts de richesse la déflation provoque-t-elle au sein de la zone euro ?

source : Eurostat (2015)

Les répercussions de la baisse du niveau général des prix sont ambiguës : si la déflation courante a (peut-être) tendance à stimuler la demande, la déflation anticipée est par contre susceptible d’inciter les agents à retarder leurs achats en biens durables, comme l’a récemment confirmé Scott Davis (2015). En outre, la déflation provoque des transferts de richesse, notamment parce que les contrats de dette sont libellés en termes nominaux. Irving Fischer (1933) suggérait qu’un mécanisme de « déflation par la dette » (debt-deflation) contribuait à la sévérité de la Grande Dépression : lorsque les prix diminuent, le fardeau réel de la dette s’accroît, ce qui incite chaque entreprise (endettée) à davantage réduire ses prix pour gagner en liquidité ; si l’ensemble des entreprises réagit ainsi, la déflation se poursuit et les problèmes d’endettement s’aggravent, si bien que le risque de défaut de paiement des emprunteurs ne cesse d’augmenter et d’accroître par là même le risque de faillite des banques. Un tel mécanisme n’apparaît pas seulement lorsque le taux d’inflation est négatif ; il suffit que le taux d’inflation courant soit inférieur à celui attendu pour que des mécanismes proches de celui à la déflation par la dette soient à l’œuvre. De son côté, James Tobin (1980) soulignait que le transfert de richesse provoqué par une déflation inattendue était loin d’être un jeu à somme nul, puisque les ménages emprunteurs ont par définition une propension à consommer plus élevée que les ménages créditeurs : la baisse des dépenses des premiers n’est pas compensée par le surcroît de dépenses des seconds. Or la baisse résultante de la demande globale incite les entreprises à davantage réduire leurs prix pour écouler leurs stocks, ce qui entretient un véritable cercle vicieux. 

Klaus Adam et Junyi Zhu (2015) ont récemment cherché à analyser et à quantifier les répercussions d’une déflation surprise dans la zone euro en se focalisant tout particulièrement sur la redistribution de la richesse nominale entre prêteurs et emprunteurs. Pour cela, ils se sont appuyés sur les données tirées des différentes comptabilités nationales et d’une enquête réalisée auprès des ménages, la Household Finance and Consumption Survey. Leur analyse suggère que les variations non anticipées du niveau général des prix génèrent une ample redistribution de richesse dans la zone euro, et ce même lorsqu’elles sont modestes. La zone euro dans son ensemble est une perdante nette d’une déflation non anticipée. Par exemple, une baisse temporaire de 10 % du niveau des prix entraîne une perte de 4,2 % du PIB de la zone euro.

Au sein de la zone euro, les pertes sont réparties inégalement entre les pays ou entre les agents économiques. Par têtes, les pays périphériques de la zone euro, en l’occurrence l’Italie, la Grèce, le Portugal et l’Espagne, sont ceux qui perdent le plus, puisqu’une baisse ponctuelle de 10 % du niveau général des prix se traduit pour chacun d’eux par des pertes parfois supérieures à 10 % de leur PIB. A l’opposé, grâce à leur détention d’un montant important de créances nominales, la Belgique et Malte gagnent à une telle déflation, puisque celle-ci accroît leur PIB de 4,4 % et de 8,9 % respectivement.

Les gouvernements sont de nets perdants de la déflation, tandis que le secteur des ménages est un gagnant net dans la zone euro dans son ensemble. Par exemple, une baisse ponctuelle de 10 % du niveau général des prix se traduit par une perte équivalente à 7,3 % du PIB pour les gouvernements et par un gain équivalent à 4 % du PIB pour les ménages. Les ménages en Belgique, en Irlande, à Malte et en Allemagne connaissent les plus grands gains par tête, tandis que les ménages en Finlande et en Espagne se révèlent être des perdants nets.

Une forte hétérogénéité existe également au sein du secteur des ménages. D’un côté, les classes moyennes relativement jeunes sont des perdantes nettes à la déflation, puisqu’elles doivent emprunter, notamment pour accéder au logement. A l’opposé, les ménages les plus riches et les plus âgés gagnent à une baisse surprise de l’inflation. Par conséquent, les inégalités de richesse (mesurées par exemple par le coefficient de Gini) s’accroissent dans la zone euro avec la déflation non anticipée ; cette dernière s’apparente alors à un impôt régressif sur la richesse. Elle se traduit par contre par une baisse des inégalités en Autriche, en Allemagne et à Malte, puisque les classes moyennes y empruntent relativement peu ; elle s’apparente dans leur cas à un impôt progressif sur la richesse. Martin Anota

 

Références macroéconomie

ADAM, Klaus, & Junyi ZHU (2015), « Price level changes and the redistribution of nominal wealth across the euro area », BCE, working paper, n° 1853, septembre.

DAVIS, J. Scott (2015), « The asymmetric effects of deflation on consumption spending: Evidence from the Great Depression », Federal Reserve Bank of Dallas, working paper, n° 226, February 2015.

FISHER, Irving (1933), « The debt deflation theory of great depressions », in Econometrica, vol. 1, n° 4. Traduction française, « La théorie des grandes dépressions par la dette et la déflation », in Revue française d’économie, vol. 3, n°3, 1988.

TOBIN, James (1980), Asset Accumulation and Economic Activity, Basil Blackwell.

Partager cet article
Repost0
23 septembre 2015 3 23 /09 /septembre /2015 20:15

Les données agrégées suggèrent qu’au cours des premières années de la Grande Récession, les salaires réels n’ont pas réagi à la contraction de l’activité, tout du moins pas fortement, même dans des pays particulièrement affectés par la crise. Stephanie Schmitt-Grohé et Martín Uribe (2013) estiment par exemple que les données agrégées disponibles n’indiquent qu’une baisse limitée des salaires réels dans la zone euro depuis le début de la crise. Dans une étude de l’INSEE, David Audenaert, José Bardaji, Raphaël Lardeux, Michaël Orand et Michaël Sicsic (2013) ont de leur côté confirmé que, dans le cas français, la baisse des salaires a été moins marquée que le déclin de la productivité. Bref, les salaires moyens semblent acycliques. Puisque certaines théories suggèrent que les salaires doivent varier librement pour que le marché du travail s’équilibre en réponse à un choc externe négatif, cette apparente rigidité salariale pourrait expliquer la forte hausse du chômage dans plusieurs pays et confirmer la validité de ces théories. Elle pourrait en l'occurrence être plus problématique au sein d'une union monétaire, dans la mesure où chaque pays-membre ne peut s'appuyer sur une dévaluation de son taux de change pour accélérer l'ajustement de son économie et contenir l'effondrement de la demande globale.

Les données agrégées pourraient toutefois dissimuler des changements de composition dans la main-d’œuvre au cours du cycle. En effet, le chômage affecte disproportionnellement les travailleurs à faibles salaires. Lorsque le chômage augmente, la part des plus jeunes et des moins qualifiés dans la main-d’œuvre diminue, si bien que l’âge moyen et la qualification moyenne de la main-d’œuvre tendent à augmenter. Ce mécanisme influence le salaire moyen de façon contracyclique. Lorsque ces effets de composition sont importants, ils peuvent dissimuler la réaction des salaires au cycle d’affaires dans les séries agrégées, c'est-à-dire contenir la baisse du salaire moyen. Or les effets de composition n’ont retenu que très peu l’attention des analystes ces dernières années, malgré la forte hausse du chômage dans plusieurs pays européens depuis 2008 : par exemple, entre 2007 et 2012, le taux de chômage a augmenté respectivement de 16, de 7,8 et de 4,6 points de pourcentage en Espagne, au Portugal et en Italie. En l’occurrence, en Espagne, la part des peu éduqués parmi les travailleurs en emploi a diminué de 8 points de pourcentage entre 2007 et 2012, en passant de 44 % à 36 %.

Grégory Verdugo (2015) a récemment étudié l’ajustement des salaires au cours du cycle d’affaires dans huit grandes économies de la zone euro, en l’occurrence en Autriche, en Belgique, en Espagne, en Finlande, en France, en Italie, aux Pays-Bas et au Portugal, avant et durant la Grande Récession. Il a pris en compte la possible présence d’effets de composition en utilisant les données individuelles harmonisées issues des panels ECHP et SILC. Il a alors obtenu des élasticités de salaires réels au cycle statistiquement significatives : elles sont comprises entre – 1 et – 0,6 pour la période s’étalant entre 1994 et 2011, soit des valeurs proches de celles obtenues par la littérature concernant les Etats-Unis, mais moindres que celles obtenues concernant le Royaume-Uni. Le biais de composition a tout particulièrement contribué à la rigidité apparente des salaires réels moyens dans les données agrégées. Les effets de composition se sont révélés très importants entre 2008 et 2010, ce qui explique la stagnation, voire même l’augmentation, du salaire moyen dans certains pays européens entre 2008 et 2011. Lorsque Verdigo simule une composition de la main-d’œuvre inchangée en termes d’éducation et d’expérience, il met en évidence une forte baisse du salaire moyen au cours de la Grande Récession, en particulier dans les pays les plus affectés par la crise. En outre, certaines preuves empiriques suggèrent que l’ajustement a été hétérogène sur l’ensemble de la répartition des salaires. Verdugo constate que l’élasticité de la croissance des salaires a été plus élevée pour les travailleurs du premier décile que pour le reste des travailleurs. Elle a été deux fois plus importante pour les travailleurs qui ont changé d’emploi que pour les travailleurs qui ont gardé le même emploi.

Ensuite, Verdigo examine plus en détails la répartition des changements salariaux individuels afin d’observer plus finement l’interaction entre l’inflation et les ajustements salariaux. Dans l’ensemble, peu de preuves empiriques suggèrent que les salaires nominaux aient été rigides à la baisse, que ce soit avant la grande Récession ou au cours de celle-ci. Entre 20 % à 40 % des salariés à temps plein qui sont restés au même emploi au connu une baisse de leurs salaires nominaux au bout de deux années et cette proportion s’est fortement accrue avec le récent ralentissement de l’activité. Rien n’indique non plus qu’il y ait eu de plus larges pics à zéro dans la répartition des variations salariales au cours de la Grande Récession. La répartition des variations annuelles de salaires pour les travailleurs qui sont restés au même emploi est devenue plus symétrique ; ce résultat reflète une hausse de la proportion de baisses de salaires dans la répartition salariale. Même si les réductions des salaires nominaux ont été assez fréquentes, l’analyse empirique suggère que la faible inflation en 2009 peut avoir retardé l’ajustement en termes réels. Alors que les baisses nominales furent moins fréquentes en 2010 et en 2011, la part des réductions salariales réelles s’est fortement accrue par rapport à 2009, dans la mesure où le taux d’inflation a augmenté. Les réductions salariales nominales furent plus fréquences dans les pays d’Europe continentale comme la France qu’au Royaume-Uni. Mais comme cette dernière a connu des niveaux d’inflation plus élevés, les réductions salariales réelles furent bien plus importantes au Royaume-Uni.

 

Références

AUDENAERT, David, José BARDAJI, Raphaël LARDEUX, Michaël ORAND & Michaël SICSIC (2015), « La résistance des salaires depuis la grande récession s’explique-t-elle par des rigidités à la baisse ? », in INSEE, L’économie française – édition 2014

SCHMITT-GROHÉ, Stephanie, & Martín URIBE (2013), « Downward nominal wage rigidity and the case for temporary inflation in the eurozone », in Journal of Economic Perspectives, vol. 27, n° 3, été.

VERDUGO, Grégory (2013), « Les salaires réels ont‑ils été affectés par les évolutions du chômage en France avant et pendant la crise ? », in Bulletin de la Banque de France, n° 192.

VERDUGO, Grégory (2015), « Real wage cyclicality in the eurozone before and during the Great Recession: Evidence from micro data », Banque de France, working paper, n° 570, septembre.

Partager cet article
Repost0
19 septembre 2015 6 19 /09 /septembre /2015 16:13

 

L’ouvrage de Thomas Piketty (2013) a profondément renouvelé l’intérêt pour la recherche sur les inégalités de revenu et de richesse et notamment sur leurs interactions avec la croissance économique. Piketty affirmait notamment qu’avec la persistance d’un taux de rendement du capital supérieur au taux de croissance de l’économie, le revenu perd de son importance comme principale source de richesse au cours du temps ; les héritages joueraient par contre un rôle de plus en plus crucial. Cet ouvrage s’appuie sur les travaux réalisés par Piketty et ses divers coauteurs, notamment Anthony Atkinson et Emmanuel Saez. Généralement à partir de données fiscales, ils ont décrit comment la concentration des revenus et des héritages alimente le patrimoine, mais aussi comment ce dernier tend à s’autoalimenter.

Cependant peu d’études ont analysé la richesse, le revenu et l’héritage dans une perspective comparative transnationale, notamment à cause du manque de données appropriées. C’est précisément ce manque que Pirmin Fessler et Martin Schürz (2015) espèrent contribuer à combler. A partir des données de l’enquête sur la finance et la consommation des ménages (Household Finance and Consumption Survey), ils ont examiné le rôle que jouent l’héritage, le revenu et l’Etat-providence pour expliquer les écarts de richesse nette parmi les ménages entre les pays de la zone euro et au sein de chacun d’entre eux. Ils en tirent quatre principaux constats.

Premièrement, Fessler et Schürz comparent les ménages héritiers avec les ménages qui n’ont reçu aucun héritage. Environ un tiers des ménages dans les 13 pays européens qu’ils étudient indiquent avoir reçu un héritage et ces ménages ont une richesse nette considérablement plus importante que ceux qui n’ont pas hérité. En effet, l’écart de richesse nette atteint environ 100.000 euros au niveau médian de la richesse nette et dépasse 1 million d’euros au 99ème centile de la répartition. Ces chiffres sont énormes, dans la mesure où la richesse nette des ménages héritiers est d’environ 210.000 à la médiane (alors que les ménages qui n’ont pas hérité disposent d’environ 60.000 euros) et d’environ 3.000.000 d’euros au 99ème centile (alors que les ménages qui n’ont pas hérité disposent d’environ 1,2 million d’euros en richesse nette). Sur l’ensemble de la répartition, les ménages qui ont hérité ont des niveaux considérablement plus élevés de richesse nette que les ménages qui n’ont pas hérité.

Deuxièmement, Fessler et Schürz observent comme les transferts intergénérationnels influent sur la position relative des ménages au regard des autres ménages. En moyenne, alors que l’élévation d’un centile sur l’échelle des revenus ne s’accompagne que d’une élévation de 0,4 centile sur l’échelle de la richesse nette, un transfert intergénérationnel élève un ménage de 14 centiles sur l’échelle de la richesse nette. En d’autres termes, un transfert intergénérationnel élève autant un ménage sur l’échelle de la richesse nette que l’élévation de 35 centiles sur l’échelle des revenus. Les transferts intergénérationnels contribuent ainsi tout particulièrement à l’accumulation du patrimoine. Cette importance relative des transferts intergénérationnels par rapport à la position sur l’échelle des revenus varie toutefois fortement d’un pays européen à l’autre. A un extrême, en Slovaquie, un transfert intergénérationnel accroît autant le patrimoine qu’une élévation de 25 centiles sur l’échelle des revenus ; à un autre extrême, en Autriche, il accroît autant le patrimoine qu’une élévation de 52 percentiles sur l’échelle des revenus.

Troisièmement, les régressions transnationales mettent en évidence une corrélation négative entre l’ampleur des dépenses d’Etat-providence et la richesse nette des ménages. Plus l’Etat assure les individus contre les aléas de la vie, moins il est nécessaire pour les ménages d’accumuler de la richesse pour des motifs de précaution. Ce constat suggère que les services sociaux fournis par l’Etat constituent des substituts à l’accumulation de richesse privée. Ces services contribuent à expliquer les écarts observés entre les pays européens dans l’ampleur de la richesse des ménages.

Quatrièmement, l’effet de substitution des dépenses sociales vis-à-vis de la richesse nette diminue avec l’accroissement des niveaux de richesse. La relation négative entre les dépenses d’Etat-providence et la richesse nette des ménages est plus forte en bas de la répartition de la richesse nette qu’à son sommet. Lorsque les dépenses d’Etat-providence augmentent, la baisse de la richesse nette (exprimée en pourcentage) est relativement plus forte pour les ménages les plus pauvres que pour les ménages au sommet de la répartition de la richesse. Avec l’essor de l’Etat-providence, les ménages relativement pauvres sont moins incités à détenir de l’épargne de précaution, si bien qu’ils peuvent consacrer une part plus importante de leur revenu à la consommation. Au final, une hausse des dépenses d’Etat-providence peut s’accompagner d’une hausse (plutôt qu’une baisse) des inégalités de richesse : les indicateurs relatifs standards d’inégalités de richesse (comme le coefficient de Gini) ont tendance à s’accroître. Il est toutefois possible que les politiques de l’Etat-providence influencent à long terme les inégalités via différents canaux. Par exemple, les possibles répercussions sur la mobilité sociale sont susceptibles d’entraîner une baisse des inégalités à long terme. Au final, selon Fessler et Schürz, le retrait de l’Etat-providence depuis les années soixante-dix et l’essor de l’importance de la richesse privée, qui donne aussi un rôle plus important à l’héritage, apparaissent ainsi comme les deux faces d’une même pièce : ils accroissent tous deux la concentration du pouvoir dans nos démocraties.

 

Références

FESSLER, Pirmin, & Martin SCHÜRZ (2015), « Private wealth across European countries: the role of income, inheritance and the welfare state », BCE, working paper, n° 1847, septembre.

PIKETTY, Thomas (2013), Le Capital au 21ième siècle.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher