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9 septembre 2015 3 09 /09 /septembre /2015 20:37

Lors d’une récente conférence tenue à Bangkok, Haruhiko Kuroda (2015) a recensé trois faits stylisés à propos de la croissance asiatique. Premièrement, elle s’est poursuivie à un rythme régulier et très rapide au cours des dernières décennies. Alors qu’elle disposait du PIB par tête le plus faible à travers le monde en 1950, l’Asie a réalisé depuis les meilleures performances de croissance. La crise asiatique de 1997-1998 n’a été qu’une parenthèse, dans le sens où les pays asiatiques ont su recouvrir rapidement leurs pertes en termes de revenu et de production. Le taux de croissance annuel moyen a été de 4 % au cours des six dernières décennies. Par conséquent, le PIB par habitant asiatique a été multiplié par 12 depuis 1950. Deuxièmement, il y a toutefois une forte hétérogénéité en termes de PIB par habitant d’un pays asiatique à l’autre. Si Hong Kong, Singapour, Taïwan et la Corée du Sud jouissent aujourd’hui de niveaux de vie particulièrement élevés, la majorité des pays asiatiques sont des pays à revenu intermédiaire. Même ces derniers présentent des PIB par habitant très différents les uns des autres. Troisièmement, les taux de croissance eux-mêmes ont été très hétérogènes d’un pays asiatique à l’autre. Le Japon enregistrait des taux de croissance à deux chiffres dans les années soixante, mais semble acculé à la stagnation depuis les années quatre-vingt-dix. Après le Japon, ce sont des pays émergents comme Hong Kong, Singapour, Taïwan et la Corée du Sud qui amorcèrent leur décollage et un rattrapage rapide sur les pays riches, puis ensuite au tour de la Chine. Par conséquent, il semble que les pays asiatiques suivent peu ou prou la même trajectoire : le taux de croissance atteint son maximum lorsque l’économie se retrouve parmi les pays à revenu intermédiaire, puis la croissance ralentit, en particulier lorsque l’économie rejoint le club des pays à haut revenu.

De leur côté, Jong-Wha Lee et Kiseok Hong (2010) notent que le PIB réel des pays en développement asiatiques (exprimé en parité de pouvoir d’achat) est passé de 3,3 mille milliards de dollars à 24,5 mille milliards de dollars entre 1980 et 2009. En d’autres termes, il a été multiplié par 7,5 au cours de cette période, alors même que le PIB mondial ne faisait que tripler. Si le PIB par tête réel des pays en développement asiatiques a été multiplié par plus de 4, le revenu mondial moyen a quant à lui été multiplié par moins de 2. Le PIB réel par tête des pays en développement asiatiques reste sous la moyenne mondial, mais il connaît un rattrapage rapide : il représentait deux tiers de la moyenne mondiale en 2009, contre seulement un quart en 1980.

Plusieurs études ont cherché à mettre en lumière les déterminants de la croissance asiatique. Jong-Wha Lee, Steven Radelet et Jeffrey Sachs (2001) avaient par exemple expliqué la forte croissance des pays d’Asie de l’est par le fait qu’ils possédaient un large potentiel de rattrapage, mais aussi une géographie et des caractéristiques structurelles favorables, qu’ils bénéficiaient du dividende démographique et qu’ils mettaient en œuvre des politiques économiques propices à favoriser une croissance soutenue. En décomposant les différentes contributions de la croissance pour 12 pays en développement asiatiques, Lee et Hong (2010) avaient constaté que la croissance rapide des pays en développement asiatiques au cours des trois précédentes décennies s’explique essentiellement par l’accumulation du capital, ce qui confirme les résultats des études antérieures. Par contre, selon leur analyse, les contributions de l’éduction et de la productivité globale des facteurs aux performances de croissance passées de la région ont été assez limitées. Donghyun et Jungsoo Park (2010) ont également recherché les sources de la croissance économique de 12 pays en développement d’Asie sur la période s’écoulant entre 1992 et 2007. Ils concluent que l’accumulation du capital a continué de jouer un rôle majeur dans la croissance des pays en développement asiatiques jusqu’à environ 2002, mais pour voir ensuite sa contribution relative décliner. La croissance de la PGF a de plus en plus contribué à la croissance de l’Asie en développement au point d’en devenir le principal moteur. Leur analyse les amène également à souligner l’importance de facteurs du côté de l’offre, comme le capital humain et l’ouverture aux échanges. 

Encore plus récemment, Manuk Ghazanchyan, Janet Stotsky et Qianqian Zhang (2015) ont également cherché à éclairer les moteurs de la croissance dans les pays asiatiques, en se focalisant tout particulièrement sur le rôle de l’investissement, du régime du taux de change, du risque financier et de l’ouverture des comptes de capital. Ils rappellent que, dans plusieurs pays asiatiques, la majorité des investissements de ces derniers décennies ont été financés par des ressources domestiques, tandis que dans d’autres, les investissements directs à l’étranger (IDE) étaient importants. En outre, plusieurs pays sont relativement ouvertes aux flux des capitaux, mais certains se sont montrés réticents à complètement ouvrir leur compte de capital, notamment par crainte de connaître un afflux déstabilisateur des capitaux et à terme une crise. Les régimes de change sont très hétérogènes : certains pays laissent flotter leur monnaie, d’autres ont un régime de change fixe, mais beaucoup ont un régime intermédiaire dans lequel le taux de change n’est pas pleinement flexible. Depuis la crise asiatique, les pays asiatiques ont eu plutôt tendance à se tourner vers des régimes de change plus flexible, mais leurs banques centrales continuent d’intervenir activement sur les marchés des changes.

Ghazanchyan et ses coauteurs ont utilisé les données d’un échantillon de 25 pays asiatiques au cours de la période s’écoulant entre 1980 et 2012. Leurs résultats suggèrent que les investissements privés et publics constituent des moteurs déterminants de la croissance asiatique, ce qui confirme à nouveau le rôle joué par l’accumulation du capital. Les preuves empiriques sont plus limitées en ce qui concerne le rôle joué par la réduction du risque financier et par l’accroissement des IDE, mais ils semblent tous deux avoir participé également à stimuler la croissance. Le régime de change ne semble pas être un déterminant fortement significatif de la croissance, mais certaines spécifications suggèrent que les régimes les plus flexibles sont associés à de meilleures performances en termes de croissance. Les crises financières tendent à davantage affecter la croissance dans les pays avec les comptes de capitaux les plus ouverts.

Malgré le fort rebond de l’activité immédiatement suite à la crise financière mondiale, les pays émergents, notamment ceux d’Asie, semblent connaître ces dernières années un ralentissement marqué de leur croissance. C’est en particulier le cas de la Chine, qui semble ainsi ne pas échapper à la loi du « retour à la moyenne » que Pritchett et Summers (2014) ont mise en évidence. Kuroda (2015) craint en l’occurrence que l’économie asiatique bascule dans trois « trappes ».

La première est la trappe à revenu intermédiaire (middle-income trap). L’Histoire suggère en effet que les pays émergents ont des difficultés à rejoindre le club des pays à haut revenu et qu’ils sont même susceptibles de finir par stagner et de rester définitivement parmi les pays à revenu intermédiaire. Par exemple, les émergents asiatiques, notamment la Chine, ont pu s’appuyer sur une main-d’œuvre abondante et peu chère pour se développer en exportant, mais ce réservoir de travailleurs n’est pas inépuisable. La littérature qualifie de « point de Lewis » l’instant précis où ce réservoir de main-d’œuvre peu chère se tarit.  Tant qu’un pays n’a pas atteint ce point, il peut connaître une forte croissance via l’accumulation du capital, la croissance rapide de la productivité globale des facteurs et l’usage du facteur travail. Mais une fois le point de Lewis atteint, les hausses de salaires s’accélèrent et les produits domestiques perdent alors de leur compétitivité sur les marchés mondiaux, ce qui entraîne un ralentissement de la croissance. De même, comme l’enseigne le modèle de Solow, la croissance ne peut reposer indéfiniment sur l’accumulation du capital, dans la mesure où celle-ci finit par buter sur les rendements décroissants. Ainsi, le progrès technique doit nécessairement prendre la relève comme principal moteur de la croissance.

La deuxième trappe dans laquelle l’Asie est susceptible de se retrouver piégée selon Kuroda est la « trappe démographique ». Dans cette région, les pays avancés, mais aussi plusieurs pays émergents, connaissent un vieillissement rapide de leur population, avec l’allongement de l’espérance de vie et la baisse des taux de fécondité. Autrement dit, la dynamique démographique va fortement peser sur la croissance, alors même qu'elle la stimulait il y a quelques décennies. En l’occurrence, la réduction de la part de la population en âge de travailler va peser sur la contribution du facteur travail. Enfin, les pays asiatiques sont susceptibles de basculer dans une « trappe malthusienne » : la croissance rapide a entraîné un épuisement rapide des ressources naturelles, alors même que ces dernières sont limitées, ce qui risque de fortement contraindre la poursuite de la croissance.

 

Références

GHAZANCHYAN , Manuk, Janet G. STOTSKY & Qianqian ZHANG (2015), « A new look at the determinants of growth in Asian countries », FMI, working paper, n° 15/195, septembre.

KURODA, Haruhiko (2015), « How to sustain economic growth in Asia », discours prononcé à Bangkok, le 21 juillet.

LEE, Jong-Wha, & Kiseok HONG (2010), « Economic growth in Asia: Determinants and prospects », ADB, working paper, n° 220, septembre.

LEE, Jong-Wha, Steven RADELET & Jeffrey SACHS (2001), « Determinants and prospects of economic growth in Asia », in International Economic Journal, vol. 15, n° 3. 

PARK, Donghyun, & Jungsoo PARK (2010), « Drivers of developing Asia’s growth: Past and future », ADB, working paper, n° 235, novembre.

PRITCHETT, Lant, & Lawrence H. SUMMERS (2014), « Asiaphoria meets regression to the mean », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20573, octobre.

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5 septembre 2015 6 05 /09 /septembre /2015 22:59

Afin de démontrer les vertus des régimes de change flexibles sur les régimes de change fixes à une époque où le système monétaire international était organisé autour des accords de Bretton Woods, Milton Friedman (1953) a soulevé l’hypothèse que les régimes de change flexible accélèrent le retour des comptes courants à l’équilibre, donc l’élimination des déséquilibres courants. Selon lui, les taux de change nominaux s’ajustent rapidement, automatiquement et continuellement, ce qui empêche que des déséquilibres s’accumulent et conduisent à une crise douloureuse. Lorsqu’ils laissent librement flotter leur monnaie, les pays déficitaires connaissent une dépréciation de leur taux de change, ce qui restaure leur compétitivité et réduit leur déficit, tandis que les pays excédentaires connaissent une appréciation de leur taux de change, ce qui dégrade leur compétitivité et réduit leur excédent.

Cette hypothèse a très rapidement été acceptée par une majorité d’économistes et elle a été utilisée comme justification les appels à une flexibilisation des taux de change au cours des dernières décennies. Le fait que les pays ayant ancré leur monnaie sur une autre devise semblent avoir le plus lourdement souffert lors de la crise financière semble l’avoir confirmée. De même, encore plus récemment, non seulement la crise de la zone euro montre que l’union monétaire favorise l’apparition de déséquilibres courants, mais aussi parce que la fixité (définitive ?) des taux de change complique l’ajustement des économies. Pourtant, l’hypothèse de Friedman n’a fait que très récemment l’objet de tentatives de vérifications empiriques, en l’occurrence à partir des travaux pionniers de Menzie Chinn et Shang-Jin Wei (2008).

Ces études, bien qu’encore limitées, ne s’accordent pas pour valider ou rejeter l’hypothèse de Friedman. Par exemple, à partir d’un échantillon de 170 pays au cours de la période s’écoulant entre 1971 et 2005, Chinn et Wei ont conclu à l’absence de lien fort, robuste ou monotone entre le régime de change et la vitesse de l’ajustement des comptes courants. Leurs résultats ont toutefois été jugés peu solides, notamment parce que leur étude ne prend pas bien en compte les effets de seuil et qu’elle utilise une classification des régimes de change trop rigide.

Selon Atish Ghosh, Marco Terrones et Jeromin Zettelmeyer (2010), le fait que les régimes de taux de change rigides soient associés à des déséquilibres courants plus importants en valeur absolu, suggérant l’absence des forces correctrices avant l’accumulation de déséquilibres, et le fait que les renversements abrupts de comptes courants soient plus fréquents dans les régimes fixes que les régimes flottants tendent à confirmer l’hypothèse de Friedman. Ghosh et ses coauteurs utilisent une classification des régimes de change qu’ils jugent plus pertinente que celle utilisée par Chinn et Wei et ils prennent en compte les non-linéarités. Ils constatent alors que les régimes flexibles sont associés à un rééquilibrage plus rapide des soldes courants dans la plupart des cas et aussi de larges excédents courants. D’un autre côté, les soldes courants tendent à être plus persistants sous les régimes flexibles dans le cas de larges déficits. Ce résultat peut toutefois être interprété comme reflétant l’occurrence de crises associées aux renversements abrupts de comptes courants dans les régimes plus rigides. En observant un plus large ensemble de déterminants de persistance du compte courant, Erica Clower et Hiro Ito (2012) constatent que, pour les pays en développement et émergents, les régimes de change ne sont généralement pas un déterminant robuste de la persistance des comptes courants, mais aussi que la fixation du taux de change accroît la probabilité d’entrer dans des épisodes locaux non stationnaires. De leur côté, Atish Ghosh, Mahvash Qureshi et Charalambos Tsangarides (2014) ont récemment suggéré que les classifications de régimes de taux de change masquent des relations hétérogènes entre les pays, si bien qu’il faut prendre en compte les accords de taux de change et les flux bilatéraux pour tester l’hypothèse de Friedman. Ce faisant, à partir d’un échantillon de 181 pays au cours de la période s’écoulant entre 1980 et 2011, ils constatent que les taux de change bilatéraux flexibles sont associés à un rééquilibrage plus rapide des soldes commerciaux bilatéraux.

Encore plus récemment, Fernando Eguren-Martín (2015) a analysé systématiquement la relation entre régime de change et vitesse d’ajustement des soldes courants en utilisant un échantillon de 180 pays au cours de la période s’écoulant entre 1960 et 2007. Il utilise une classification alternative des régimes de change et prend en compte le fait que les arrêts soudains (sudden stops) des flux de capitaux puissent brouiller les résultats. A l’inverse des études précédentes, il constate des preuves empiriques en faveur de l’idée que les régimes flexibles accélèrent l’ajustement des comptes courants dans les pays non industriels : ces derniers présentent en effet une plus forte persistance de leurs déséquilibres courants lorsqu’ils disposent un régime fixe que lorsqu’ils laissent flotter leur monnaie. Ainsi, Eguren-Martín tend à confirmer l’hypothèse de Friedman. En outre, il identifie les canaux par lesquels cet effet s’opère. L’analyse empirique suggère que les exportations répondent au comportement de changement des dépenses des consommateurs lorsque ces derniers font face aux variations des prix relatifs internationaux : ils tendent en effet à substituer les produits locaux aux produits étrangers, ou inversement. Le crédit semble effectivement affecter le degré de persistance du compte courante, principalement via ses répercussions sur le financement des déficits.

 

Références

CHINN, Menzie, & Shang-Jin WEI (2008), « A faith-based initiative meets the evidence: Does a flexible exchange rate regime really facilitate current account adjustment? », NBER, working paper, n° 14420, octobre.

CLOWER, Erica, & Hiro ITO (2012), « The persistence of current account balances and its determinants: The implications for global rebalancing », ADBI, working paper, n° 400.

EGUREN-MARTÍN, Fernando (2015), « Exchange rate regimes and current account adjustment: an empirical investigation », Banque d’Angleterre, staff working paper, n° 544.

FRIEDMAN, Milton (1953), « The case for flexible exchange rates », in Essays in Positive Economics.

GHOSH, Atish, Marco E. TERRONES & Jeromin ZETTELMEYER (2010), « Exchange rate regimes and external adjustment: New answers to an old debate », in C. Wyplosz (dir.), The New International Monetary System: Essays in Honor of Alexander Swoboda.

GHOSH, Atish, Mahvash S. QURESHI & Charalambos G. TSANGARIDES (2014), « Friedman redux: External adjustment and exchange rate flexibility », FMI, working paper, n° 14/146.

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1 septembre 2015 2 01 /09 /septembre /2015 10:26

Plusieurs raisons ont amené certains à appeler l’Allemagne à laisser ses salaires augmenter. D’une part, une hausse des salaires allemands contribuerait à réduire l’écart de compétitivité que les pays périphériques accusent vis-à-vis de l’Allemagne. En effet, la zone euro a connu, suite à la création de la monnaie unique, une accumulation de déséquilibres des balances courantes : si les pays périphériques ont eu tendance à générer de larges déficits extérieurs, le cœur de la zone euro (en particulier l’Allemagne) a peu à peu générer de larges excédents extérieurs. Cette évolution asymétrique des soldes courants peut s’expliquer (du moins en partie) par des évolutions opposées du coût du travail : l’Allemagne a embrassé la modération salariale au début des années deux mille, tandis que les pays périphériques ont connu une forte hausse de ses salaires. En outre, si la modération salariale a permis de comprimer la demande domestique en Allemagne, donc de contenir les importations allemandes, les pays périphériques ont connu de leur côté un fort accroissement de la demande intérieure en raison du processus de rattrapage vis-à-vis du cœur, mais aussi du gonflement de bulles immobilières alimentées par le crédit, ce qui stimula au contraire leurs importations. Malheureusement les bulles spéculatives et déficits extérieurs de la périphérie se révélèrent insoutenables : avec la crise financière mondiale, les bulles immobilières finirent par éclater et les capitaux refluèrent des pays périphériques, si bien que ces derniers durent violemment rééquilibrer leur solde extérieur. Ils ont cherché à réduire leur coût du travail et à comprimer leur demande domestique pour gagner en compétitivité et accroître leurs exportations. Or, l’Allemagne continue de générer de larges excédents courants : ces derniers représentent près de 8 % de son PIB. Ainsi, les déséquilibres au sein de la zone euro résultent pour partie d’une politique non coopérative de la part de l’Allemagne : cette dernière désire exporter, mais refuse d’acheter, si bien qu’elle génère des pressions déflationnistes sur le reste de la zone euro, mais aussi tout simplement sur le reste du monde. Aujourd’hui, puisque le reste de la zone euro cherche à adopter le modèle allemand et comprime sa demande domestique, c’est désormais l’ensemble de la zone euro qui exerce des pressions déflationnistes sur le reste du monde, freinant la croissance mondiale. Pourtant, si l’Allemagne laissait son inflation salariale s’accélérer, alors cela réduirait l’écart de compétitivité qu’elle accuse vis-à-vis des pays périphériques et ces derniers pourraient davantage exporter vers l’Allemagne en raison de sa plus forte demande domestique allemande. Le reste du monde bénéficierait également d’un surcroît de demande extérieure.

Ainsi, une hausse des salaires allemands contribuerait à accélérer la reprise dans l’ensemble de la zone euro. En effet, la zone euro dans son ensemble et les pays périphériques en particulier connaissent une insuffisance de la demande globale : la production est toujours en-deçà de son potentiel et les taux de chômage demeurent élevés, tout du moins dans plusieurs pays-membres. Si la zone euro était une première fois tombée en récession en 2008 suite à l’effondrement de la bulle immobilière aux Etats-Unis, elle a de nouveau basculé en récession en 2011 avec la généralisation de l’austérité budgétaire : avec l’éclatement de la crise de la dette souveraine en 2010, les pays périphériques de la zone euro ont adopté des mesures d’austérité pour ramener leur dette publique sur une trajectoire plus stable et ramener la confiance sur leurs marchés obligataires, tandis que le reste de la zone euro a également adopté des mesures d’austérité pour éviter une contagion. Or, si les mesures d’austérité adoptées par les pays périphériques leur ont permis de réduire leurs importations, les mesures d’austérité adoptées par le cœur de la zone euro ont parallèlement contribué à réduire leurs exportations. Le cœur de la zone euro pourrait profiter de sa marge de manœuvre budgétaire pour au contraire embrasser la relance budgétaire, ce qui stimulerait les exportations des pays périphériques. Cette relance pourrait notamment prendre la forme d’un surcroît d’investissement public dans les infrastructures, ce qui stimulerait aussi bien la demande à court terme que le potentiel de croissance à long terme ; et cet investissement public serait d’autant plus le bienvenu que l’Allemagne connaît un vieillissement rapide de ses infrastructures publiques, ce qui ne manquera pas de peser sur ses perspectives de croissance à long terme. En l’absence d’une telle relance, une hausse des salaires allemands pourrait peut-être avoir le même effet bénéfique sur la périphérie.

Selim Elekdag et Dirk Muir (2015) ont modélisé les possibles répercussions d’une hausse des salaires allemands sur le reste de la zone euro. Ils concluent de leur analyse que les répercussions de la hausse salariale dépendent des causes sous-jacentes à cette dernière. En l’occurrence, Elekdag et Muir observent tout d’abord les répercussions d’une hausse exogène des salaires, provenant par exemple d’une réforme du marché du travail renforçant le pouvoir de négociation des travailleurs. Cette hausse salariale réduirait l’excédent du compte courant allemand, mais elle déprimerait l’activité au sein de l’Allemagne comme dans le reste de la zone euro. Elekdag et Muir observent ensuite les répercussions d’une hausse des salaires résultant d’une plus grande demande de travail. Cette hausse salariale stimulerait la consommation ou l’investissement privés allemands. Par ce biais, elle contribuerait à accroître le PIB allemand et à stimuler l’activité dans le reste de la zone euro et ces répercussions seront encore plus importantes si la politique monétaire est accommodante.

 

Références

BERNANKE, Ben S. (2015), « Germany's trade surplus is a problem », 3 avril.

The Economist (2014), « Germany’s economy: Watching the wages », 30 avril.

ELEKDAG, Selim, & Dirk MUIR (2015), « Would higher German wages help euro area rebalancing and recovery? », in FMI, Germany: Selected Issuescountry report, n° 15/188, juillet.

LEGRAIN, Philippe (2015), « The Eurozone’s German problem », in Project Syndicate, 23 juillet.

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