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13 septembre 2015 7 13 /09 /septembre /2015 19:23

L’économie japonaise est confrontée à la stagnation et la déflation depuis deux décennies, suite à l’éclatement de bulles boursière et immobilière. En 2013, son PIB nominal était inférieur de 6 % au niveau qu’il atteignait au milieu des années quatre-vingt dix [Rhee, 2015]. La dette publique a suivi une trajectoire explosive, en raison de la faiblesse de l’activité, mais aussi de l’incohérence des plans de relance budgétaire, trop fréquents pour ne pas creuser les déficits budgétaires, mais trop rapidement avortés pour réellement parvenir à stimuler l’activité. Elle représente désormais 246 % du PIB [The Economist, 2015]. Le vieillissement rapide de la population nippone est non seulement susceptible de freiner le potentiel de croissance, notamment en entraînant un déclin de la population active, mais elle promet également de fortement détériorer les finances publiques, dans la mesure où les pensions de retraite vont s'accroître alors même que de moins en moins d'actifs contribueront au financement du système de retraite.

Shinzo Abe a pris ses fonctions de premier ministre en décembre 2012 avec un programme volontariste : il promettait de sortir enfin le Japon de la stagnation et de pouvoir ainsi ramener la dette publique sur une trajectoire plus soutenable. Il inaugura tout un ensemble de politiques économiques que la presse économique a rapidement qualifié d’« Abenomics » et qui repose sur « trois flèches », à savoir une politique monétaire accommodante (la première flèche), une relance budgétaire (la deuxième flèche) et des réformes structurelles (la troisième flèche). C’est l’assouplissement monétaire qui constitue le volet de mesures le plus agressif et le plus innovant. En effet, sous l’impulsion de son gouverneur Haruhiko Kuroda, la Banque du Japon a adopté en avril 2013 un programme d’assouplissement quantitatif et qualitatif afin de ramener l’inflation à 2 % d’ici 2 ans, c’est-à-dire de mettre enfin un terme à deux décennies de déflation récurrente. En l’occurrence, elle a accumulé des titres publics japonais pour un montant de 128 mille milliards de yens, soit l’équivalent de 25 % du PIB. Par conséquent, son bilan est passé de 25 % à 57 % du PIB entre le quatrième trimestre de 2012 et le premier trimestre de 2015. La politique budgétaire a par contre été utilisée de façon quelque peu incohérente : si elle a en effet été initialement expansionniste, elle s’est resserrée avec la hausse de la taxe de consommation de 5 % à 8 % en avril 2014. Enfin, le dernier volet de l’Abenomics, en l’occurrence les réformes structurelles, est restée assez obscur. Si la relance budgétaire et la relance monétaire ont pour but d’amorcer une accélération de la croissance, les réformes structurelles ont plutôt pour but de l’éterniser. Or non seulement les deux premiers volets ne sont peut-être pas parvenus à réellement stimuler l’activité, mais le contenu exact des réformes structurelles est longtemps resté imprécis.

Hausman et Wieland (2014) avaient publié une première évaluation de l’efficacité de l’Abenomics ; ils viennent de l’actualiser dans une nouvelle étude présentée lors de la conférence organisée par le Brookings Panel on Economic Activity. L’Abenomics et en particulier la politique monétaire de la Banque du Japon ont continué d’affaiblir le yen et poussé les cours boursiers à la hausse en 2014. Leurs répercussions sur les variables non financières semblent toutefois limitées. En effet, elles ont alimenté l’inflation, mais les taux d’inflation (global et sous-jacent) et les anticipations d’inflation sont toujours en-deçà de 2 %. Hausman et Wieland estiment que cette faiblesse de l’inflation s’explique pour partie par l’imparfaite crédibilité de la cible adoptée par la Banque du Japon. Surtout, il semble que les effets réels aient été particulièrement modestes. En effet, entre le quatrième trimestre de 2012 et le deuxième trimestre de 2015, la croissance du PIB n’a atteint en moyenne que 0,9 en rythme annuel. Il y a peu de preuves empiriques suggérant que la politique monétaire accommodante influence significativement la consommation : elle n’a pas augmenté malgré la baisse d’un point de pourcentage du taux d’intérêt réel. Par contre, le relèvement du taux de taxe de consommation a exercé un effet particulièrement négatif sur la consommation des ménages.

Enfin, les exportations nettes ont faiblement réagi à la dépréciation du yen. En fait, les importations nettes ont augmenté malgré la dépréciation du yen et la stabilité de la consommation. Trois raisons ont souvent été avancées pour expliquer cette énigme : les prix relatifs des importations ont diminué, la demande domestique d’énergie a augmenté et la demande d’électronique étrangère a augmenté. Hausman et Wieland estiment toutefois que chacune de ces trois évolutions est soit peu visible dans les données, soit trop faible pour expliquer l’ampleur de la hausse des importations.

 

Références

The Economist (2015), « Shinzo Abe’s sliding popularity is putting Abenomics at risk », 15 août.

HAUSMAN, Joshua K., & Johannes F. WIELAND (2014), « Abenomics: Preliminary analysis and outlook », étude présentée à la conférence Brookings Panel on Economic Activity, mars.

HAUSMAN, Joshua K., & Johannes F. WIELAND (2015), « Abenomics: An Update », étude présentée à la conférence Brookings Panel on Economic Activity, 10-11 septembre.

RHEE, Changyong (2015), « Can Abenomics succeed? Overcoming the legacy of the lost decades », iMFdirect (blog), 1er avril.

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12 septembre 2015 6 12 /09 /septembre /2015 09:02

Selon Carmen Reinhart et Christoph Trebesch (2015b), les économistes et les responsables politiques ont trop souvent négligé le fait que l'actuelle crise grecque est avant tout une crise de la dette externe. En effet, la crise qui a éclaté dans la périphérie de la zone euro en 2010 n’est pas tant une crise de la dette publique qu’une crise de la dette externe. Elle en présente en effet plusieurs des caractéristiques, notamment des arrêts soudains (sudden stops) dans les entrées de capitaux, des effets de bilan et un conflit international entre créanciers et débiteurs. Barry Eichengreen et ses coauteurs (2014) ont sur ce point tout à fait raison de comparer la crise de la zone euro à la décennie perdue que l’Amérique latine a connue dans les années quatre-vingt.

Peu d’études ont analysé l’actuelle crise grecque en prenant du recul et en adoptant une perspective historique de long terme. Reinhart et Trebesch ont précisément cherché à combler ces insuffisances dans une étude qu'ils ont présenté lors de la conférence organisée cette semaine par le Brooking Panel on Economic Activity. Ils montrent que les événements qui ont eu lieu depuis 2010 ne sont ni nouveaux, ni uniques dans l’histoire grecque. En effet, au cours des deux derniers siècles, le gouvernement grec a fait quatre fois défaut sur la dette détenue par des créanciers étrangers, en l’occurrence en 1826, en 1893, en 1932 et en 2010. A chaque fois, il a dû être renfloué. Les faits empiriques que Reinhart et Trebesch compilent révèlent de frappants parallèles historiques entre la crise actuelle et les précédentes ; ce qu’ils trouvent le plus surprenant, ce sont les similarités proches dans le processus de résolution des crises.

Les divers défauts que les gouvernements grecs ont subis au cours de l’Histoire ne s’expliquent pas seulement par le niveau de leur dette, mais aussi par sa composition, c’est-à-dire son partage entre dette interne et dette externe. Les cycles d’endettement, de défaut et de dépendance externes ont été récurrents dans l’histoire moderne grecque et ils ont suivi peu ou prou le même scénario : la période précédant le défaut est marquée par un ample endettement auprès de créanciers privés étrangers (ce fut le cas durant les années 1820, les années 1880, les années 1920 et les années 2000) ; l’usage soutenu de l’emprunt étranger se solde par des crises et des arrêts soudains dans les afflux de capitaux ; comme les difficultés de remboursement s’exacerbent, les gouvernements étrangers finissent par intervenir et par renflouer le gouvernement grec. Les prêts du renflouement sont utilisés pour assurer le service de la dette détenue par les créanciers privés. Ils sont accordés en contrepartie de coupures budgétaires et de programmes d’ajustement. Ainsi, les conséquences des cycles de boom et d’effondrement dans l’emprunt externe ne furent pas seulement économiques, mais également politiques. Les créanciers étrangers se sont régulièrement immiscés dans la vie politique grecque, ce qui ouvrit un épisode prolongé de surplomb de dette et d’autarcie financière. Enfin, au cours de chaque crise, si les créanciers externes du pays refusèrent tout d’abord d’accepter l’allègement de la dette, ils finirent par l’accepter, mais parfois après plusieurs décennies de négociations infructueuses et d’accords inefficaces.

Au final, l’intervention des créanciers étrangers tend à prolonger la crise, comme le montre tout particulièrement l’épisode de 1833 lorsque la Grèce échoua à rembourser ses prêts contractés auprès de créanciers privés. La troïka de l’époque, qui réunissait alors la France, la Grande-Bretagne et la Russie, veilla à ce que les créanciers privés soient remboursés et les dettes grecques se retrouvèrent entre les mains des autorités publiques. Après plusieurs décennies de défauts et d’autarcie financière, la Grèce devait toujours rembourser les prêts initiaux plus d’un siècle après. Une telle manière de résoudre la crise impose plusieurs décennies de surplomb de dette, maintient la dépendance externe et empêche définitivement le pays surendetté de connaître un nouveau départ.

Pour Reinhart et Trebesch, de nombreuses preuves empiriques tirées de l'observation des diverses crises externes qui sont survenues à travers le monde suggèrent qu’un allègement substantiel de la dette externe est nécessaire pour restaurer la viabilité économique du pays surendetté. Si le plan Brady a mis un terme à la décennie perdue de plusieurs pays en développement dans les années quatre-vingt-dix, c’est précisément en accordant une large réduction nominale de la dette ; le plan Baker des années quatre-vingt avait échoué parce qu’il ne proposait qu’un allongement des maturités, c’est-à-dire finalement qu’un allègement très limité de la dette externe.

Par conséquent, la résolution de l’actuelle dette grecque doit reposer avant tout sur un large allègement nominal du stock de dette externe publique, voire même privée ; l’allongement des maturités ne conduirait qu’à une répétition des erreurs que la Grèce et ses créanciers ont commises lors des précédentes crises. Allonger les délais de remboursement jusqu’en 2070, comme le propose notamment le FMI, ne conduirait qu’à étirer sur plusieurs décennies les débats sur ce que l’on doit faire de la dette grecque. Or un tel cadre n’est pas propice pour renouveler la confiance et stimuler la croissance en Grèce.

D’autre part, à plus long terme, la Grèce doit privilégier des sources de financement domestiques. Son histoire financière, tout comme celle de biens d’autres pays, montrent les dangers auxquels un pays s’expose lorsqu’il dépend excessivement de l’épargne étrangère et de l’endettement externe. En l’occurrence, la Grèce pourrait s’inspirer des mesures que plusieurs pays émergents ont prises dans les années quatre-vingt-dix après avoir connu des crises financières. Les pays qui sortirent le plus facilement de la crise financière mondiale furent précisément les pays qui enregistrèrent les plus amples déclins dans l’emprunt externe public et privé dans les années qui la précédèrent. Cela peut contribuer à expliquer pourquoi l’accroissement de la dette domestique s’est accéléré dans les pays émergents depuis 2008. Rien ne permet toutefois d’affirmer qu’une plus grande dépendance sur l’épargne domestique préserve la stabilité économique, mais Reinhart et Trebesch concluent leur étude en soulignant que les deux siècles de preuves empiriques dont ils disposent indiquent clairement qu’une dépendance chronique sur le capital externe a régulièrement poussé les pays à la ruine.

 

Références

REINHART, Carmen M., & Christoph TREBESCH (2015a), « Sovereign debt relief and its aftermath », in Journal of the European Economic Association.

REINHART, Carmen M., & Christoph TREBESCH (2015b), « The pitfalls of external dependence: Greece, 1829-2015 », document de travail présenté lors de la conférence du Brookings Panel on Economic Activity, 10-11 septembre.

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9 septembre 2015 3 09 /09 /septembre /2015 20:37

Lors d’une récente conférence tenue à Bangkok, Haruhiko Kuroda (2015) a recensé trois faits stylisés à propos de la croissance asiatique. Premièrement, elle s’est poursuivie à un rythme régulier et très rapide au cours des dernières décennies. Alors qu’elle disposait du PIB par tête le plus faible à travers le monde en 1950, l’Asie a réalisé depuis les meilleures performances de croissance. La crise asiatique de 1997-1998 n’a été qu’une parenthèse, dans le sens où les pays asiatiques ont su recouvrir rapidement leurs pertes en termes de revenu et de production. Le taux de croissance annuel moyen a été de 4 % au cours des six dernières décennies. Par conséquent, le PIB par habitant asiatique a été multiplié par 12 depuis 1950. Deuxièmement, il y a toutefois une forte hétérogénéité en termes de PIB par habitant d’un pays asiatique à l’autre. Si Hong Kong, Singapour, Taïwan et la Corée du Sud jouissent aujourd’hui de niveaux de vie particulièrement élevés, la majorité des pays asiatiques sont des pays à revenu intermédiaire. Même ces derniers présentent des PIB par habitant très différents les uns des autres. Troisièmement, les taux de croissance eux-mêmes ont été très hétérogènes d’un pays asiatique à l’autre. Le Japon enregistrait des taux de croissance à deux chiffres dans les années soixante, mais semble acculé à la stagnation depuis les années quatre-vingt-dix. Après le Japon, ce sont des pays émergents comme Hong Kong, Singapour, Taïwan et la Corée du Sud qui amorcèrent leur décollage et un rattrapage rapide sur les pays riches, puis ensuite au tour de la Chine. Par conséquent, il semble que les pays asiatiques suivent peu ou prou la même trajectoire : le taux de croissance atteint son maximum lorsque l’économie se retrouve parmi les pays à revenu intermédiaire, puis la croissance ralentit, en particulier lorsque l’économie rejoint le club des pays à haut revenu.

De leur côté, Jong-Wha Lee et Kiseok Hong (2010) notent que le PIB réel des pays en développement asiatiques (exprimé en parité de pouvoir d’achat) est passé de 3,3 mille milliards de dollars à 24,5 mille milliards de dollars entre 1980 et 2009. En d’autres termes, il a été multiplié par 7,5 au cours de cette période, alors même que le PIB mondial ne faisait que tripler. Si le PIB par tête réel des pays en développement asiatiques a été multiplié par plus de 4, le revenu mondial moyen a quant à lui été multiplié par moins de 2. Le PIB réel par tête des pays en développement asiatiques reste sous la moyenne mondial, mais il connaît un rattrapage rapide : il représentait deux tiers de la moyenne mondiale en 2009, contre seulement un quart en 1980.

Plusieurs études ont cherché à mettre en lumière les déterminants de la croissance asiatique. Jong-Wha Lee, Steven Radelet et Jeffrey Sachs (2001) avaient par exemple expliqué la forte croissance des pays d’Asie de l’est par le fait qu’ils possédaient un large potentiel de rattrapage, mais aussi une géographie et des caractéristiques structurelles favorables, qu’ils bénéficiaient du dividende démographique et qu’ils mettaient en œuvre des politiques économiques propices à favoriser une croissance soutenue. En décomposant les différentes contributions de la croissance pour 12 pays en développement asiatiques, Lee et Hong (2010) avaient constaté que la croissance rapide des pays en développement asiatiques au cours des trois précédentes décennies s’explique essentiellement par l’accumulation du capital, ce qui confirme les résultats des études antérieures. Par contre, selon leur analyse, les contributions de l’éduction et de la productivité globale des facteurs aux performances de croissance passées de la région ont été assez limitées. Donghyun et Jungsoo Park (2010) ont également recherché les sources de la croissance économique de 12 pays en développement d’Asie sur la période s’écoulant entre 1992 et 2007. Ils concluent que l’accumulation du capital a continué de jouer un rôle majeur dans la croissance des pays en développement asiatiques jusqu’à environ 2002, mais pour voir ensuite sa contribution relative décliner. La croissance de la PGF a de plus en plus contribué à la croissance de l’Asie en développement au point d’en devenir le principal moteur. Leur analyse les amène également à souligner l’importance de facteurs du côté de l’offre, comme le capital humain et l’ouverture aux échanges. 

Encore plus récemment, Manuk Ghazanchyan, Janet Stotsky et Qianqian Zhang (2015) ont également cherché à éclairer les moteurs de la croissance dans les pays asiatiques, en se focalisant tout particulièrement sur le rôle de l’investissement, du régime du taux de change, du risque financier et de l’ouverture des comptes de capital. Ils rappellent que, dans plusieurs pays asiatiques, la majorité des investissements de ces derniers décennies ont été financés par des ressources domestiques, tandis que dans d’autres, les investissements directs à l’étranger (IDE) étaient importants. En outre, plusieurs pays sont relativement ouvertes aux flux des capitaux, mais certains se sont montrés réticents à complètement ouvrir leur compte de capital, notamment par crainte de connaître un afflux déstabilisateur des capitaux et à terme une crise. Les régimes de change sont très hétérogènes : certains pays laissent flotter leur monnaie, d’autres ont un régime de change fixe, mais beaucoup ont un régime intermédiaire dans lequel le taux de change n’est pas pleinement flexible. Depuis la crise asiatique, les pays asiatiques ont eu plutôt tendance à se tourner vers des régimes de change plus flexible, mais leurs banques centrales continuent d’intervenir activement sur les marchés des changes.

Ghazanchyan et ses coauteurs ont utilisé les données d’un échantillon de 25 pays asiatiques au cours de la période s’écoulant entre 1980 et 2012. Leurs résultats suggèrent que les investissements privés et publics constituent des moteurs déterminants de la croissance asiatique, ce qui confirme à nouveau le rôle joué par l’accumulation du capital. Les preuves empiriques sont plus limitées en ce qui concerne le rôle joué par la réduction du risque financier et par l’accroissement des IDE, mais ils semblent tous deux avoir participé également à stimuler la croissance. Le régime de change ne semble pas être un déterminant fortement significatif de la croissance, mais certaines spécifications suggèrent que les régimes les plus flexibles sont associés à de meilleures performances en termes de croissance. Les crises financières tendent à davantage affecter la croissance dans les pays avec les comptes de capitaux les plus ouverts.

Malgré le fort rebond de l’activité immédiatement suite à la crise financière mondiale, les pays émergents, notamment ceux d’Asie, semblent connaître ces dernières années un ralentissement marqué de leur croissance. C’est en particulier le cas de la Chine, qui semble ainsi ne pas échapper à la loi du « retour à la moyenne » que Pritchett et Summers (2014) ont mise en évidence. Kuroda (2015) craint en l’occurrence que l’économie asiatique bascule dans trois « trappes ».

La première est la trappe à revenu intermédiaire (middle-income trap). L’Histoire suggère en effet que les pays émergents ont des difficultés à rejoindre le club des pays à haut revenu et qu’ils sont même susceptibles de finir par stagner et de rester définitivement parmi les pays à revenu intermédiaire. Par exemple, les émergents asiatiques, notamment la Chine, ont pu s’appuyer sur une main-d’œuvre abondante et peu chère pour se développer en exportant, mais ce réservoir de travailleurs n’est pas inépuisable. La littérature qualifie de « point de Lewis » l’instant précis où ce réservoir de main-d’œuvre peu chère se tarit.  Tant qu’un pays n’a pas atteint ce point, il peut connaître une forte croissance via l’accumulation du capital, la croissance rapide de la productivité globale des facteurs et l’usage du facteur travail. Mais une fois le point de Lewis atteint, les hausses de salaires s’accélèrent et les produits domestiques perdent alors de leur compétitivité sur les marchés mondiaux, ce qui entraîne un ralentissement de la croissance. De même, comme l’enseigne le modèle de Solow, la croissance ne peut reposer indéfiniment sur l’accumulation du capital, dans la mesure où celle-ci finit par buter sur les rendements décroissants. Ainsi, le progrès technique doit nécessairement prendre la relève comme principal moteur de la croissance.

La deuxième trappe dans laquelle l’Asie est susceptible de se retrouver piégée selon Kuroda est la « trappe démographique ». Dans cette région, les pays avancés, mais aussi plusieurs pays émergents, connaissent un vieillissement rapide de leur population, avec l’allongement de l’espérance de vie et la baisse des taux de fécondité. Autrement dit, la dynamique démographique va fortement peser sur la croissance, alors même qu'elle la stimulait il y a quelques décennies. En l’occurrence, la réduction de la part de la population en âge de travailler va peser sur la contribution du facteur travail. Enfin, les pays asiatiques sont susceptibles de basculer dans une « trappe malthusienne » : la croissance rapide a entraîné un épuisement rapide des ressources naturelles, alors même que ces dernières sont limitées, ce qui risque de fortement contraindre la poursuite de la croissance.

 

Références

GHAZANCHYAN , Manuk, Janet G. STOTSKY & Qianqian ZHANG (2015), « A new look at the determinants of growth in Asian countries », FMI, working paper, n° 15/195, septembre.

KURODA, Haruhiko (2015), « How to sustain economic growth in Asia », discours prononcé à Bangkok, le 21 juillet.

LEE, Jong-Wha, & Kiseok HONG (2010), « Economic growth in Asia: Determinants and prospects », ADB, working paper, n° 220, septembre.

LEE, Jong-Wha, Steven RADELET & Jeffrey SACHS (2001), « Determinants and prospects of economic growth in Asia », in International Economic Journal, vol. 15, n° 3. 

PARK, Donghyun, & Jungsoo PARK (2010), « Drivers of developing Asia’s growth: Past and future », ADB, working paper, n° 235, novembre.

PRITCHETT, Lant, & Lawrence H. SUMMERS (2014), « Asiaphoria meets regression to the mean », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20573, octobre.

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